Réflexion sur une expérience de Mindfulness

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Par Gwendaëlle Kock

Introduction

Dans un premier temps j’ai été séduite par les livres de l’Américain Kabat-Zinn sur le mindfulness (ou Pleine Conscience en français). Je trouvais que cette pratique était proche du zen : développement de l’attention, être présent ici et maintenant, accepter ce qui est, unité avec le corps… Elle avait en outre l’avantage de pouvoir aider des personnes malades.

Le mindfulness, « signifie diriger son attention d’une certaine manière c’est-à-dire délibérément, au moment voulu, sans jugement de valeur. » (Kabat-Zinn). La MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) pour la réduction du stress ou la MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy) pour la prévention de la rechute dépressive sont des programmes reposant sur la pleine conscience. Celle-ci s’inspire de méditations bouddhistes, mais elle se présente comme une technique de soin (commençant d’ailleurs à rentrer de plus en plus dans les hôpitaux européens) sans dimension spirituelle.

Je percevais à ce moment là le mindfulness un peu comme une version « laïque » du bouddhisme. En tant que nonne zen elle me paraissait judicieuse pour aider des personnes non bouddhistes, pour œuvrer dans le social en harmonie avec ma pratique.

Le mindfulness s’étant également développer dans les écoles aux USA, j’étais particulièrement intéressée par le rôle que cette pratique de l’attention pouvait avoir dans l’éducation des enfants. Les élèves d’aujourd’hui ont en effet de grosses difficultés d’attention (on parle de génération zapping), ce qui serait, selon certains chercheurs, une des causes de l’indiscipline grandissante en classe et de l’échec scolaire.

J’ai donc fait les fameuses « huit semaines » du programme MBSR… mais je n’ai pas été jusqu’au bout !

Description de cette expérience Mindfulness

Le groupe participant au programme n’était pas composé de personnes malades mais de formateurs ou de personnes dans la relation d’aide. Il n’y a donc pas eu de « délires » particuliers comme dans le groupe de Serge (voir expérience de Serge Rampal sur le forum). J’ai même trouvé les réflexions des participants souvent très pertinentes.

Lors de ces 8 semaines il nous était proposé des exercices de base à faire régulièrement à la maison et une fois par semaine, nous nous réunissions pour échanger et faire des exercices en plus.

Les exercices de base

– Le bodyscan consistant principalement à porter son attention (alliée à la respiration) sur toutes les parties du corps ce qui favorise le développement de l’attention et un ancrage corporel.

– Des étirements et postures de yoga favorisant la souplesse corporelle et un état de relaxation.

– Une méditation assise et une marche consistant à porter son attention sur ses sensations, respiration, pensées etc…Le sens n’ayant pas été explicité je supposai que s’était pour se détacher de notre fonctionnement mental.

Autres exercices

En dehors de ces exercices de base, il nous était proposé lors de nos réunions hebdomadaires des exercices que je qualifie de psycho-spirituel New-Age. Je ne suis pas certaine que tous les programmes MBSR proposent les mêmes exercices, il semblerait que leurs choix dépendent de la sensibilité du formateur. Ces exercices peuvent paraître séduisants mais je les ai trouvés assez « légers » pour réellement aider des personnes en difficulté.

Par exemple il y a un exercice où l’on est en cercle et l’on doit faire le tour de chaque personne rejoignant à chaque fois en regardant dans les yeux une personne au centre qui a fait également le tour de chaque personne par l’autre côté, et cela avec lenteur et dans le silence. Est-ce un exercice d’attention ? Est-ce que cet exercice était supposé développer notre pleine conscience ? Non, vraiment, j’ai cherché mais je ne vois toujours pas le sens de cet exercice…

Pour autre exemple cet exercice de mise en situation d’une relation de conflit avec 4 scénarios possibles, victime, fuite, agressivité, et souplesse s’inspirant de l’aïkido. Mise en situation difficile à jouer réellement (le cadre ne s’y prêtant pas), donc difficile d’expérimenter vraiment et ceci d’autant plus que les 4 scénarios étaient déjà entièrement construits (joués par la formatrice et donnés comme modèles) et que le sens de l’exercice n’était pas très clair. Si j’ai bien compris il nous fallait réaliser le bienfondé de la souplesse dans la relation…la fuite me semble être pourtant parfois salutaire…mais le scénario « fuite » proposé était clairement négatif ! Avoir l’esprit souple n’est-ce pas le fait de s’adapter aux circonstances plutôt que d’agir de manière idéale et dogmatique ?

Mais pourquoi rajouter ce genre d’exercices?!!! La méditation ne se suffit-elle pas à elle-même ? Ne permet-elle pas justement de voir la vacuité des phénomènes et donc de développer un esprit non figé, plus vaste, une « pleine conscience » ?

Il faut se rappeler que le mindfulness s’adresse à des personnes malades, (notamment par la dépression) donc un programme plus large que la méditation peut se justifier pour encadrer au mieux ces personnes fragiles. Si j’ai bien compris, la formation Mindfulness est une formation complémentaire à celle de thérapeute. La pratique de la méditation en effet ne suffit pas pour être un « bon » soignant, il est également nécessaire d’avoir une solide formation médicale ou psychologique (ce qui n’était pas le cas de ma formatrice, ni des personnes de la formation de Serge Rampal semble-t-il) pour utiliser la méditation à bon escient (certaine personne par exemple sont trop fragiles pour la pratiquer) et l’entourer d’exercices sérieux, « digérés » et adaptés. Je ne remets pas en doute le travail de Christophe André, chef de file de ce mouvement en France, mais celui de certains formateurs Mindfulness qui n’ont pas ou peu de formation en dehors de la méditation.

Mindfulness et zazen

Pratiquant zazen, c’est surtout la méditation assise qui me posait problème car il n’y avait que très peu d’indications sur la posture. Et lorsque quelqu’un demanda comment ne pas suivre ses pensées, la formatrice ne su que répondre. Zazen nous montre concrètement comment le faire en portant son attention sur la respiration, la posture du corps. Il ne suffit pas en effet de dire « observez vos pensées » pour sortir d’un fonctionnement mental et « regarder ce qui est » ! De même pour la marche « en conscience ». Dire à quelqu’un de marcher consciemment en lui donnant comme indication de faire attention me semble bien insuffisant pour pouvoir le réaliser! Mais bon, me suis-je dit, en s’appuyant sur la respiration c’est peut-être possible, mais là encore… cette indication était, à mon sens, pas suffisamment formulée.

Ce peu d’intérêt pour la posture dans la méditation Mindfulness entraine, je trouve, un manque de concentration. le mindfulness semble donc plus axée sur l’observation, mais cette observation n’est pas réellement profonde puisqu’il n’y a pas ce jeu de va-et-vient entre concentration et observation comme en zazen.

Je suis consciente d’être conditionnée, pour nous zazen est l’éveil même, alors il était évidemment difficile de pratiquer quelque chose de relativement proche (posture assise, marche) sans ressentir un certain (gros) « décalage », la comparaison se faisant automatiquement et ce malgré que je me sois bien dit en début de formation de ne pas le faire !

Mushotoku

Mais à mon avis ce qu’il manque surtout à la méditation Mindfulness c’est l’esprit Mushotoku. Pour développer un esprit vaste, pour sortir de nos coagulations mentales il faut évidemment se détacher des phénomènes mais pour cela il ne suffit pas de les voir, il faut aussi arrêter de vouloir les saisir (ou les rejeter). Dans la méditation Mindfulness, la notion de Mushotoku semble absente, le but étant d’arriver à la pleine conscience pour acquérir la santé ou un bien être personnel. Si mes souvenirs sont bons, Kabat-Zinn cependant en parlait dans son livre (ce qui n’était pas le cas dans ma formation) et j’ai également entendu une conférence de Christophe André où il mettait au premier plan le fait qu’il fallait ne rien vouloir obtenir…mais avoir un esprit Mushotoku pour obtenir la guérison (même si on la met en arrière plan) ce n’est pas vraiment être Mushotoku !

Il y a donc ici une grande différence avec notre Voie du Bouddha car sans cet état d’esprit de non obtention (certes moins séduisant et plus exigeant) on ne peut que rester dans l’illusion et l’avidité, sans ce lâcher-prise il n’y a pas de possibilité de libération. C’est tout le sens de notre pratique-réalisation, de zazen.

Mais tout cela vous allez me dire, je le savais dès le départ, puisqu’il était bien clair pour moi que le mindfulness était une technique. Son propos n’est d’ailleurs pas la libération mais d’aider des gens à aller mieux.

Alors pourquoi ce malaise ?

Mindfulness et bouddhisme : une certaine ambiguïté

En fait je crois que tout cela ne me poserait pas de problème si le mindfulness se positionnait plus clairement par rapport au bouddhisme, ce qui est loin d’être le cas. Officiellement le mindfulness veut se différencier du bouddhisme. Elle a en effet, selon la charte d’engagement du programme MBSR, la volonté de se baser uniquement sur l’expérience et la pratique, en dehors de tout concept, croyances, philosophies etc…

Cette démarche me parait aujourd’hui assez paradoxale…l’expérience n’est-ce pas précisément la Voie de Bouddha ? D’ailleurs le mindfulness ne récupère-t-elle pas des pratiques du bouddhisme parce que justement celui-ci se fonde sur l’expérience de la méditation? Elle veut cependant se séparer du bouddhisme (tout en y faisant référence) pour s’appuyer uniquement sur l’expérience !!!

C’est probablement la raison pour laquelle cette séparation d’avec le bouddhisme n’est pas si simple dans les faits. Dans cet atelier hebdomadaire la formatrice citait très souvent le bouddhisme, il était donné en exemple de sa propre pratique de méditation (telles que ses retraites). Il faut savoir que beaucoup de formateurs Mindfulness appartiennent à différentes écoles bouddhiques puisque pour être formateur, il faut avoir notamment une pratique de méditation. La position du formateur est donc plutôt délicate, il est difficile en effet de ne pas faire le lien avec sa propre pratique bouddhiste (j’ai eu moi-même ces difficultés)…puisque la méditation est une pratique bouddhiste ! Comment enseigner une pratique sans vraiment l’enseigner, là est la question….

Tout cela amène donc à une certaine ambigüité.

Un bon exemple de cette ambigüité c’est le fait que l’association (francophone) pour le développement du Mindfulness (l’ADM dont Matthieu Ricard est membre d’honneur) semble avoir fait sa demande d’adhésion à l’Union Bouddhiste de France (du moins il en est question dans le compte rendu d’atelier de l’UBF du 6 novembre 2010 je ne sais si à ce jour l’association est à l’UBF) tandis qu’elle se présente officiellement en « dehors de tout contexte religieux » sur la page d’accueil de son site Internet… qui propose cependant des retraites Vipassana !

Mais il faut reconnaitre que les bouddhistes entretiennent également cette ambiguïté : lors du Wesak 2012 dont le thème était la méditation, Christophe André a donné une conférence à la pagode de Vincennes…

En ce moment les bouddhistes « surfent » sur la vague médiatique de la Mindfulness comme celle-ci le fait sur celle des bouddhistes, mais je ne suis pas certaine que cela soit bénéfique ni pour les uns ni pour les autres.

Cette ambigüité me semble en tout cas problématique pour nous, car elle provoque de la confusion sur le bouddhisme…dans le titre d’un article du Point du 5 février, Kabat-Zinn est présenté comme un maître zen ! Le public ne peut en effet que s’y tromper. Plusieurs personnes de ma formation ont exprimé clairement le fait d’être venues là dans une démarche spirituelle…

Position de Roland Yuno Rech sur le Mindfulness

Notre maître défend le Mindfulness, à la réunion des responsables de dojo de la sesshin de Grenoble le 8/9.12.2012 il a déclaré : « Donc, c’est tout à fait positif de voir le mot « méditation » faire son apparition accompagné d’un label de guérison. En effet, « pleine conscience » c’est observer et ne pas laisser les pensées négatives s’enclencher et pratiquer le lâcher-prise de zazen. Ainsi le traumatisme d’une ancienne souffrance peut ne plus générer une rechute dépressive ou peut, même, la supprimer. (…) en tant que Bouddhistes nous ne devons pas regretter que cette méditation soit présente sur le marché puisqu’elle peut apporter des bienfaits, et que ce sont en fait « des moyens habiles » pour découvrir un autre aspect du zazen. »

Oui certes, le Mindfulness peut aider des personnes à aller mieux, peut être qu’elle fait découvrir un autre aspect de zazen…mais peut-être aussi qu’elle nous en éloigne. Certaines personnes, en effet, vivant un certain mal-être, seraient venus au dojo (ce qui je pense fut la raison de notre premier pas dans la pratique pour un grand nombre d’entre nous) mais se dirigent à présent vers le Mindfulness. Je trouve cela dommage car parfois une personne qui cherche à aller mieux aspire au fond (sans forcément le savoir au départ) à pratiquer autre chose qu’une technique de bien être. Je parle ici de ces groupes Mindfulness qui se développent de plus en plus, en dehors de tout contexte médical, le but étant juste le bien-être. Mais ces groupes sont-ils suffisamment encadrés ? Quel est le sérieux de ces groupes et de leurs responsables?

Conclusion

Ne croyez pas que je sois contre cette méthode d’attention qu’est le Mindfulness. Elle peut, si elle est pratiqué sérieusement, aider des personnes, en leur permettant une certaine prise de distance par rapport à leurs émotions, douleurs etc…Elle peut peut-être ouvrir à plus de conscience et aider à savoir mieux gérer le stress mais elle ne libère certainement pas de l’illusion du moi et de la souffrance qu’elle engendre. On pourrait d’ailleurs dire que c’est là toute la différence entre le Mindfulness et l’esprit religieux (dans le sens de religare : relier) de zazen qui fait apparaître par la pratique de Mushotoku, la conscience Hishiryo nous unissant au cosmos entier…

Certes la méditation et les exercices abordent certains aspects du bouddhisme mais comme l’essentiel de l’enseignement n’est pas explicité et pratiqué, le Mindfulness reste, à mon sens, « en surface » et n’a donc plus rien à voir avec lui.

Cette expérience m’a montré d’ailleurs à quel point la conception d’une version « laïque » du bouddhisme était incohérente. Et si le Mindfulness ne le fait pas, il me semble important que nous, bouddhistes, nous nous clarifions face à elle car cette méthode est de plus en plus enseignée dans les universités de psychologie ou médecine (Belgique, Angleterre, Suisse…et débute en France). Certes, Bouddha était considéré comme un grand médecin, mais le Mindfulness est fondamentalement différente du bouddhisme, elle ne nous libère pas et d’ailleurs ne prétend pas vouloir le faire.

Aussi si quelqu’un, tel qu’un nouveau dernièrement dans un dojo, vous dit que notre pratique est un peu comme le Mindfulness, surtout dites-lui bien : notre pratique nous aide mais elle fait bien plus que cela !