Zazen et les dérèglements possibles de la santé

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Par Dr. Claus Brockbreder

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Pendant zazen nous sommes assis en lotus ou en demi-lotus, nous laissons les pensées, images mentales, souvenirs aller et venir sans les suivre. Ainsi l’esprit reste ouvert et libre.
Ces deux éléments, la position corporelle et ne pas s’occuper de ses pensées, sont inhabituels pour la plupart des gens. De ce fait il est possible, particulièrement lorsque l’on débute la pratique, que surgissent des difficultés mentales ou corporelles. Celles-ci peuvent gêner la suite de la pratique, alors qu’elles sont relativement simples à écarter, lorsqu’on en comprend les causes.

Ces difficultés et leur élimination sont le sujet des présentations suivantes. Ces présentations sont spécialement destinées aux enseignants dans les dojos qui sont confrontés à ces difficultés par les questions que leur adressent les pratiquants.

Ces réflexions sont issues de questions que l’on m’a adressées et des problèmes que j’ai moi-même éprouvé : migraines et douleurs aux ischions.

Les problèmes suivants qui peuvent éventuellement survenir seront examinés:

  1. Problèmes corporels
  2. Problèmes mentaux
  3. Enfin la position de zazen vue sous l’angle de la médecine chinoise traditionnelle

Des pistes pour éviter ces difficultés seront alors proposées.

1. Problèmes corporels

Les phénomènes corporels gênants suivants peuvent survenir :

  • Douleurs
  • Mauvaises sensations ou apparitions de paralysie
  • Vertige, maux de tête, sensation de confusion mentale, trouble de la vision
  • Trouble de la circulation

Douleurs

Le lotus ou demi-lotus produit sur les hanches, genoux, et articulations du pied des contraintes inhabituelles. Ainsi surgissent souvent des douleurs dans les articulations par irritation des capsules d’articulation, et des tendons. Pour les genoux ces douleurs surviennent par la pression de forces tranchantes sur les ménisques.
Ces douleurs peuvent être réduites par une gymnastique préliminaire qui améliore la mobilité des articulations concernées, et/ou par l’utilisation d’un zafu plus plat ou plus haut. De la même façon les douleurs dorsales et sciatiques, qui surviennent à cause d’une mauvaise bascule du bassin, seront évitées par une modification de l’épaisseur du zafu.

Mauvaises sensations ou apparitions de paralysie

Ces problèmes, tels que des impressions d’insensibilité ou de fourmillement, sont les suites de la position forcée des hanches genoux et articulations du pied. La position des mains devant le bas du ventre est aussi caractérisée par une rotation maintenue des poignets.
Les nerfs à proximité des articulations sont ainsi étirés et comprimés. Cela a, comme nous l’avons dit, pour effet de produire de mauvaises sensations. Celles-ci ne sont en générale pas dangereuses et disparaissent le plus souvent en peu de temps, elles peuvent toutefois durer plusieurs jours et alors irritent les personnes qui en sont victimes. Il est ainsi arrivé qu’une pratiquante, après plusieurs jours de mauvaises sensations sur le bord extérieur d’un pied, décide d’arrêter la pratique de peur de se blesser.
Les personnes ayant des antécédents de nerfs endommagés, par exemple par des années d’alcoolisme ou de diabète, peuvent parfois rencontrer des problèmes durables et devraient, selon moi, se limiter à des durées réduites de pratique.

L’apparition de paralysies dans les jambes après zazen provient de la pression sur le nerf du péroné par la tête de péroné. Elle conduit à perdre la sensation du pied.
Là aussi ces paralysies sont généralement sans signification et disparaissent après peu de temps, elles devraient néanmoins conduire le pratiquant à prendre son temps lorsqu’il se lève de la position de zazen. Sinon il y a un risque important de trébucher et de tomber.

Vertige, maux de tête, sensation de confusion mentale, troubles de la vision

Pour comprendre ces phénomènes et pouvoir les écarter, il est important de détailler la position et la respiration en zazen, spécialement suivant le point de vue de la médecine chinoise traditionnelle (cela sera fait plus loin de façon plus détaillée). Pour le moment contentons-nous de : en zazen il y a beaucoup de Qi, l’énergie vitale dans la médecine chinoise, qui est libérée et qui monte à la tête, et produit les effets décrits plus haut. Il s’agit là de Qi dans les méridiens Yang. On le ressent comme une sensation de courant électrique ou de picotement, qui courent le long du dos. Pour revenir à l’équilibre, une énergie Yin de même importance est nécessaire. Celle-ci apparait par la respiration, lorsque pendant l’expiration on exerce une pression sur les viscères et le hara.

Cela veut dire que par l’allongement de l’expiration, la montée du Qi Yang à la tête et les phénomènes décrits plus haut peuvent être évités.

Ceci dit, il est important de ne pas exercer une pression verticale vers les intestins, celle-ci, comme plusieurs pratiquants me l’ont rapporté, ne conduit qu’à provoquer le besoin de vider ses intestins. Il faut plutôt exercer cette pression vers l’avant sur le hara, qui se trouve environ à une largeur de main sous le nombril.
En outre des vertiges et maux de tête peuvent apparaître lorsque les muscles de la nuque sont trop tendus. J’avais moi-même lu au début de ma pratique du zen que l’on devait exercer une forte tension sur l’arrière de la tête. Cela a eu pour conséquence des attaques régulières de migraines après zazen. Après que j’eus modifié la tension de la nuque les attaques de migraine s’arrêtèrent.

Problème circulatoire

Il arrive régulièrement après zazen, lorsque l’on se lève, que quelqu’un s’effondre.
Cela vient du fait que le sang lorsque l’on se lève descend dans les jambes et provoque une perte à court terme de l’irrigation de la tête. Cela peut être évité en faisant en sorte de prendre son temps avec le buste penché pour tasser son zafu, de façon à ce que le sang puisse se repartir lentement dans le corps, au lieu de se redresser rapidement.

Une question régulièrement discutée, est de savoir si de longues assises peuvent conduire à de dangereuses thromboses dans les veines des jambes. Je n’ai jusqu’à présent pas entendu parler d’un cas de thrombose lié à zazen. Mon avis est que l’on n’a pas à s’attendre à un tel cas car la respiration profonde pendant zazen a pour effet de produire une pression changeante sur les veines du ventre, et de la zone du bassin, par laquelle le sang reste en mouvement dans les veines des jambes. De petites veines dermiques superficielles, particulièrement au creux des genoux, peuvent effectivement s’agrandir sous l’effet de zazen ; mais cela est plutôt un problème esthétique.

En résumé :
Je ne vois pas dans les effets de zazen de dangers pour la santé corporelle, si l’on habitue les articulations lentement à la position assise inhabituelle, et si les limitations inhérentes à des maladies particulières comme par exemple l’arthrose, les dommages nerveux liés au diabète etc., sont prise en compte.

2. Problèmes mentaux

La libération de la souffrance est le sens d’une pratique bouddhiste. Pour cette raison des hommes et des femmes qui souffrent fortement sont naturellement attirés par les enseignements et la pratique bouddhiste, ils ont parfois de lourds problèmes psychiques ou des maladies. Ces dérangements peuvent gêner leur pratique ou celle des autres dans le dojo, lorsqu’ils se laissent irriter par les phénomènes qui peuvent survenir pendant qu’ils s’exercent.

Les phénomènes suivants peuvent survenir:

  • Hallucination
  • Illusions
  • Modification des sensations corporelles
  • Peurs
  • « Apparition d’images du passé »
  • Approche neuronique du zen

Avant que je ne m’occupe de ces sujets un par un, voici quelques réflexions sur la question de ce qu’est la santé psychique.

Il n’y a pas de définition claire de la santé psychique. Le critère le plus important pour moi est la faculté de se distancier. Je veux montrer par un exemple ce que j’entends par là.

– Une de mes relations souffre d’une lourde psychose schizophrène. Il se sent influencé par des voix agressives qu’il entend autour de lui. Il entend constamment ces voix, parfois plus, parfois moins intensément. Lorsqu’il va mal, ces voix prennent des formes fictives, qui le menacent et il réagit avec de fortes peurs ; lorsqu’il va bien il sait que ce sont des illusions, et il peut vivre avec.

C’est cela que j’entends par “ se distancier ”, reconnaître les choses telles qu’elles sont, au lieu de leur donner une signification.

C’est exactement l’attitude avec laquelle, pendant zazen, nous laissons les pensées et images internes aller et venir sans leur donner une signification ou les suivre.

Venons-en aux phénomènes qui peuvent éventuellement survenir.

Hallucinations

Il y a une histoire dans le zen, après qu’un disciple alla voir son maître et lui rapporta qu’un bouddha doré lui était apparu, le maître lui répondit “c’est très intéressant, mais as-tu déjà fait la vaisselle ? ”
Je connais quelqu’un qui, lorsqu’il s’asseyait en zazen, voyait un grand bouddha orange dans la pièce. Il ne s’en occupa pas et après plusieurs jours le bouddha avait disparu.

Illusions

Par là on entend – tout au moins dans la terminologie allemande – le phénomène par lequel l’appareil de perception visuel fait apparaître un objet, par exemple le soir tombant on confondra souvent un arbre pour un homme se tenant debout. Pendant zazen on prendra les structures du mur, devant lequel on est assis pour des figures, qui même éventuellement bougent.

Modifications des sensations corporelles

Il peut arriver qu’on sente qu’une moitié de son corps est plus grande que l’autre, ou qu’une sensation d’absence corporelle apparaisse.

Tous ces problèmes sont sans danger et s’arrêtent après quelques temps. Toutefois lorsqu’on leur donne une signification ils peuvent provoquer de l’agitation ou de la peur.

En voilà un exemple:
Il y a plusieurs années il y eu dans le journal allemand “ Zeitmagazin ” un article sur zazen et La Gendronnière. Au camp d’été suivant beaucoup de débutants allemands furent présents. Je fus amené à parler à deux d’entre eux. Il s’avéra qu’ils étaient tous deux médecins en formation de psychiatrie. Ils quittèrent après peu de jours La Gendronnière presque précipitamment. Ils avaient peur de devenir lourdement malade psychiquement car ils faisaient l’expérience de tous les phénomènes décrits ci-dessus, qu’ils ne connaissaient autrement que par le témoignage de leurs patients.

Un exemple supplémentaire :
Il y a plusieurs années à La Gendronnière une jeune femme se présenta à moi à propos d’attaques de panique dans le dojo. Ces états de panique avaient pour origine une sensation d’absence corporelle qu’elle avait vécue pendant zazen. Elle y associait l’expression souvent utilisée dans le zen “mort de l’ego”. Cette association avec le terme mort provoquait la peur chez elle. Après qu’elle en eut compris la signification, elle pu continuer à pratiquer.

Peurs

Les peurs se manifestent – comme décrit plus haut – lorsqu’on donne une signification à un phénomène.
Un nouvel exemple : Un homme, qui pour une peur maladive avait suivi un traitement psychothérapeutique, avait pendant zazen l’impression que le sol commençait à bouger. Il pouvait maîtriser la peur qui en résultait car il avait appris, au lieu de donner une signification aux phénomènes, à continuer à se concentrer sur la posture et la respiration.

Souvenirs et images

Il est possible pendant zazen que des souvenirs et des images se manifestent massivement. Quelqu’un appela ce phénomène “ érection des images du passé ”. Cela arrive particulièrement fréquemment aux personnes ayant expérimenté des drogues. Là aussi il est valide qu’à la fin cela n’a pas de signification, et on laisse passer images et souvenirs.

Certaines personnes sont toutefois psychiquement si facilement irritable, par exemple en cas de schizophrénie lourde, qu’ils se sentent submergés par ces images, et ne peuvent supporter zazen, tout au moins pendant de longues périodes.

Approche neuronique du zen

Un nombre non négligeable de personnes associent au zen une aura de mystère et de surnaturel. Ainsi viennent parfois au zen des personnes –tout au moins l’ai-je vécue- avec l’attente que la pratique leur donnera une certaine omnipotence, et des pouvoirs surnaturels, comme cela peut par exemple être suggéré dans les films de kung-fu. Pour ceux-là la structure hiérarchique de la sangha représente une possibilité de compenser leur sentiment d’infériorité, ou bien leur donne l’impression de suivre un esprit de samurai.

En voici un exemple :
Une de mes relations s’intéressait au zen. Je lui avais raconté comment cela se déroule au dojo. Alors qu’il était là pour la deuxième fois, un remplaçant du dirigeant du dojo dirigea le zazen et au lieu de 40 minutes laissa l’assise continuer environ 60 minutes. Ma relation en fut si irritée qu’il ne revint jamais au dojo.

Bien entendu c’est en ordre de rester assis pendant 60 minutes quand cela était convenu au préalable ou quand c’est l’expression de l’intuition spontanée du maître zen. Sinon on aurait l’impression que quelqu’un prétende quelque chose qui ne lui appartient pas.

Les personnes, qui utilisent zazen d’une façon neuronique, ne se créent généralement pas de tors à eux même, mais peuvent être à l’origine de conflits dans la sangha.

Pour éviter cela, il est important de s’en tenir aux structures et arrangements existants, et de prendre conscience de ses motivations.

En résumé :
Les gens avec de lourds problèmes psychiques peuvent également pratiquer zazen, s’ils sont capables de se distancer des phénomènes décrits précédemment qui peuvent survenir pendant zazen, et s’ils sont capables de s’harmoniser avec la vie de la sangha.

3. La position de zazen du point de vue de la TCM

(TCM = Médecine Chinoise Traditionnelle)

Pendant l’introduction à zazen, il est souvent demandé pourquoi on doit s’exercer à zazen dans une position aussi difficile à prendre pour des occidentaux. Le plus souvent il sera répondu que c’est pour des raisons énergétiques sans que cela soit davantage détaillé.

Du point de vue de l’enseignement des méridiens de TCM il est facile de comprendre pourquoi l’exercice du lotus ou du demi-lotus est avantageux d’un point de vue énergétique. Cela va être expliqué dans ce qui suit.

Pour la pratique de zazen il est important que la base de l’assise soit correcte, cela veut dire que la pression du corps pendant l’assise repose sur trois points :

Le périnée et les deux genoux. Ces trois points correspondent aux points d’acuponcture KG 1 et Ma 36 (voire figure). Pour que le dos puisse se redresser, une légère rotation du bassin par l’articulation iléon correspondant au point BI 28 est nécessaire. Ainsi il est naturellement possible de s’assoir “ comme si l’anus voulait voire le soleil ”.

Quand la bascule du bassin se produit sur l’articulation lombosacrée – comme cela est souvent décrit dans les livres – on doit cambrer les reins pour pouvoir s’assoir droit. De la survient une tension considérable dans tout le dos.

Lorsque la base de l’assise est bonne, la colonne vertébrale peut naturellement s’étirer avec une légère tension dans la partie supérieure des vertèbres lombaires correspondant aux points d’acuponcture LG 4 et BL 23. La nuque s’étirera légèrement vers le haut à partir de CG 14, ainsi le menton peut naturellement rentrer, la gorge s’ouvre de façon à ce que la salive puisse circuler, et les yeux peuvent sans effort être maintenu à demi ouverts.

Pendant kinhin la position du dos ressemble à celle de zazen. La base de la station debout est le point du pied Ni 1. La pression des mains ne doit alors pas s’exercer sur le creux de l’estomac mais plutôt un peu plus haut sur le xiphoïde, l’appendice du sternum. Ainsi le point d’acuponcture KG 17 dans la partie intérieure du sternum sera actif, la poitrine peut s’ouvrir et l’on peut respirer profondément.

Comme brièvement mentionné plus haut, pendant zazen beaucoup d’énergie yang est dirigé vers la tête par l’intermédiaire des méridiens du dos. Ceci peut conduire à des maux de tête, et aux symptômes mentionnés plus haut. Pour générer le contrepoids yin il est nécessaire pendant l’expiration d’exercer une pression des viscères sur le hara correspondant au point d’acuponcture KG 6. Ce point est également pressé par la tranche des mains pendant zazen.

Il y aurait certainement davantage de points d’acuponcture à évoquer mais cela n’aurait qu’un effet de confusion.

Lorsque l’on se concentre sur ces points peu nombreux, on aura d’après mon expérience une position très riche en énergie et stable, de façon à ce qu’il soit facile de s’assoir pendant de plus longue périodes sans douleurs importantes. L’esprit peut ainsi devenir vaste et tranquille.

En résumé :
On peut dire que zazen ne présente absolument pas de risques pour la santé lorsque l’on se tient à ces recommandations très simples et claires:

  • Se concentrer constamment sur la posture et la respiration en tenant en compte ses propres limitations de santé. Ceci faisant la concentration sur les points d’acuponcture décrits plus haut est d’après moi très utile.
  • Laisser passer les pensées, images et émotions sans leur donner une signification.
  • “ Ne rien attendre, n’aspirer à rien, ne s’attacher à rien ” (Dogen). C’est-à-dire pratiquer zazen avec l’esprit mushotoku.

Ainsi zazen devient au lieu d’un exercice de Quigong l’expression d’une position religieuse.