Accompagnement Fin de VIe - Photo : Eric Tchéou

Pratique dans un centre de fin de vie

Par Michel Ayguesparsse, dojo de Bâle (Suisse)

Résumé : Michel Ayguesparsse témoigne de sa longue expérience en tant que psychologue et accompagnant : c’est près de 300 accompagnements qu’il a effectués dans un centre de fin de vie, créé dans les année 80 à l’époque des ravages du sida. Il travaillait au sein d’une équipe nombreuse, avec une cinquantaine de bénévoles. Il nous parle de la fin de vie de rêve, « carte postale », avec les idées que l’on se fait sur notre mort, comment, avec qui on voudrait mourir, mais souvent la réalité est complètement différente de ce qu’on peut imaginer. On se fait aussi des idées sur ce qui est bien pour les autres quand ils sont en train de mourir, et à quel point il est toujours très important de vérifier les demandes du patient et de son entourage, et de les aider à réaliser ce qu’ils souhaitent. Il n’y a jamais de solution standard. Mais il y a une personne qui a peu de temps c’est le mourant, donc il vaut mieux le protéger en priorité, sa famille, son entourage dispose de plus de temps.

Mon rapport à l’accompagnement des mourants et son origine

Mon expérience d’accompagnement des mourants se situe dans les unités de fin de vie. (« hospices » en allemand).

En ce qui concerne mon rapport à l’accompagnement des mourants – mis à part que je suis né il y a 64 ans et que je devrai mourir aussi – j’ai été confronté à la mort dans les années 80 où beaucoup de mes amis sont morts subitement dans le contexte des ravages du sida qui a commencé dans ces années-là.

Suite à ça on a établit une institution dans le mouvement des unités Baseler Ligthouse, (Phare) dont le but est d’accompagner les gens en fin de vie, d’une manière sûre, et aussi de les accompagner à la maison. J’ai dirigé cette institution pendant 12 ans et dans ce cadre j’ai accompagné à peu près 300 personnes sur leur dernier chemin.

J’ai changé d’orientation professionnelle, mais cette expérience m’a tellement imprégnée que je la continue dans mon environnement. Depuis dix ans je fais la supervision pour les soignants dans les hôpitaux ou unités de fin de vie, et aussi des bénévoles de la Croix Rouge Suisse qui accompagnent des mourants.

Exemples de la pratique

Au travers de mes exemples je veux parler des idées que l’on se fait soi-même et les autres au sujet de la mort et de « bien mourir ».

L’idée de « ne pas devoir mourir »

e vais commencer par une idée qui n’est pas très répandue dans ce groupe ici : l’idée de ne pas devoir mourir. Quand nous avons ouvert notre institution, l’intérêt dans les médias était très grand. Et on a limité les interviews avec les journalistes à une fois par semaine. Un journaliste du journal Zeit, journal allemand très sérieux, m’a posé la question habituelle « Comment on supportait nous accompagnateurs d’être entourés de gens qui meurent ?» Je lui ai répondu : « Même s’il n’ y a pas beaucoup de liens entre nous, ce qui nous relie c’est le fait que nous allons devoir mourir.» C’était il y a 30 ans, et je le vois encore devant moi, il s’est arrêté de prendre des notes et il m’a dit : « Mais ce n’est pas sûr, on ne connaît pas encore les progrès de la médecine ! »

Encore l’automne dernier dans des journaux suisses et allemands, il y avait l’interview d’un physicien américain, Michio Kaku, très connu aux Etats Unis, le titre de l’interview était : « Ce n’est pas une loi naturelle que l’on doive mourir ! » Il décrivait toutes les recherches qui sont en développement pour ne plus mourir à l’avenir !

C’est évidemment assez extrême, mais même si on accompagne des mourants, on est parfois confronté à cette idée extrême qu’on ne devrait pas mourir. Exprimé d’une manière adoucie ça donne : « Pas maintenant, je suis trop jeune, dans un an, un mois … »

La fin de vie de rêve, « carte postale »

Je vais vous relater un exemple de la pratique de l’époque qui illustre ce qu’a dit Roland Y. Rech dans son introduction, que les mourants peuvent aussi nous apporter quelque chose.

Le cas d’Alois illustre bien ça. Alois avait 24 ans quand il venu dans la maison Basel Lighthouse. Il était déjà très malade et faible, il n’était pas encore obligé de rester au lit mais il passait beaucoup de temps à l’intérieur, il rendait visite aux autres patients, parlait aux accompagnateurs, c’était le patient exemplaire. Un jour il a appelé la dirigeante et moi, ses parents étaient assis à côté de son lit, il était si faible qu’il ne pouvait quasi plus parler. On s’est assis, il disait qu’il voulait nous dire quelque chose d’important, il s’est retourné vers ses parents, et je connaissais bien la relation difficile qu’il avait avec eux. Ses parents étaient membres d’une église indépendante et ils avaient du mal avec le mode de vie de leur fils. Il s’est retourné vers eux, il les a remercié pour la vie que ses parents lui ont donnée et tout ce qu’il a reçu d’eux, il n’a pas du tout évoqué les périodes difficiles qu’il a vécues avec eux. Ensuite il s’est retourné vers nous, nous a remercié pour le séjour dans le centre. Puis il a dit que le temps était venu, il a fermé les yeux, et nous quatre, on ne savait pas ce qu’il se passait, après deux minutes, la dirigeante s’est levée, a pris le pouls et elle a confirmé sa mort. C’est vraiment une fin de vie de rêve, idéale, « carte postale », comme on dit en allemand.

Si je raconte ça c’est aussi pour vous provoquer, on se fait des idées sur notre mort, sur comment, avec qui on va mourir, mais souvent la réalité est complètement différente de ce qu’on peut imaginer. On se fait aussi des idées sur ce qui est bien pour les autres quand ils sont mourants.

La « bonne » ou la « mauvaise » fin de vie des autres (nos projections)

Une des qualités des centres de fin de vie c’est de beaucoup travailler avec des bénévoles, et ils disposent ainsi de beaucoup de ressources, il y a des gens qui ont du temps pour accompagner les autres. Comme il y a tellement de gens qui s’intéressent à l’accompagnement des mourants, on voulait connaître leur motivation. Une jour une dame, Mme C. est arrivée dans notre équipe bénévole, elle rayonnait. Elle nous a dit qu’elle avait déjà accompagné beaucoup de vieilles personnes dans une maison de retraite et qu’elle savait exactement ce dont les mourants avaient besoin dans leurs derniers moments. Plus on parlait, plus j’étais sceptique de l’intégrer dans notre équipe. A l’époque il y avait encore des lecteurs de cassettes audio, elle a sorti une cassette, en disant : « Je le sens, chaque fois que quelqu’un est en train de mourir, je passe cette cassette. » Il s’agissait de musique folklorique suisse ! Elle la passait chaque fois que les gens mouraient ! Vous rigolez mais cette dame était très sérieuse et elle était très convaincue de son efficacité ! Il va sans dire qu’elle n’a pas intégré notre équipe…

Enfin seul ….

M. Jean David, avait 45 ans, à l’origine il venait de Genève, il voulait vivre en liberté son homosexualité loin de sa famille. Il était bien connu de la sangha à Bâle, il était toujours joyeux, très beau… Il est arrivé chez nous avec un cancer de la peau et son visage était atteint, à cause de ça il a quitté son environnement pour que personne ne le voie dans cet état. Sa mère, qui vivait à Genève, venait lui rendre visite, elle voulait essayer de rétablir la relation avec lui. Elle passait beaucoup de temps au centre près de son fils. Et Jean David a dit plusieurs fois à sa mère et à l’équipe que c’était trop pour lui. La mère désirait absolument être présente au moment de la mort de son fils. Le fils résistait et ne voulait pas mourir. La mère a continué à venir, elle restait dans la chambre et ne la quittait que quelques instants pour aller à la toilette, elle ne voulait absolument pas manquer le moment de la mort. Cependant elle même était aussi malade et elle devait suivre un traitement qu’elle repoussait continuellement. Un jour elle a dû se résoudre à quitter le centre pendant 10 heures. Un quart d’heure après son départ, Jean David mourait. Souvent, on pense que c’est important que les mourants meurent dans un environnement spécial, pas seul, avec la famille… En fait, c’est toujours très important de vérifier les demandes du patient et de son entourage, et de les aider à réaliser ce qu’ils souhaitent.

Un autre exemple est celui d’un jeune patient atteint d’un cancer, Jean Marco. Il était d’abord à l’hôpital universitaire de Bâle, il avait un cancer de l’œsophage. Le personnel de l’hôpital avait de plus en plus de difficultés avec lui, car Jean Marco a constaté que prendre un bain le soulageait de ses douleurs et cet hôpital a fermé les salles-de-bain à clef pour qu’il arrête de prendre des bains partout ! Sa première demande en venant chez nous, c’était de s’assurer qu’il pourrait prendre des bains. En effet, il a passé plusieurs heures par jour dans le bain, et c’est du bord de la baignoire qu’on a eu les conversations les plus belles et profondes avec lui.

Un mourant peut-être un maître qui montre la Voie

Je n’ai pas encore beaucoup parlé de spiritualité.

Je reprends le cas d’Alois, il avait un formulaire d’inscription sur lequel il avait mis « bouddhisme » comme confession religieuse. Je lui ai demandé une ou deux fois, ce que ça signifiait pour lui, mais je n’ai pas reçu de réponse, ça restait flou. Alors je me posais pas mal de questions. Il est mort au printemps et au mois de juillet de la même année, je me mettais sur la Voie, j’ai commencé avec Vipassana. Et donc on peut aussi voir les mourants comme des maîtres …

Questions

Qu’est-ce qui soulageait les douleurs dans la baignoire ?

Une chose que j’ai apprise, c’est qu’on n’a pas besoin de tout comprendre, seulement accepter, si le patient le dit.

Comment fais-tu, quand tu es rentré à la maison par rapport à ton vécu de la journée ?

Il n’y a pas de séparation entre le temps au centre et quand je le quitte, mais ça ne veut pas dire que tu ne prends pas un peu de distance. C’est fluide. On ne peut pas décider de ne plus y penser. Et si on est conscient soi-même de sa mortalité, ce qui a commencé très tôt chez moi, ça ne pose pas de problème. Ce qui ne veut pas dire qu’une certaine hygiène psychologique n’est pas nécessaire. On était une grande équipe, de cinquante personnes avec les bénévoles, nous avions une supervision toutes les deux semaines où on pouvait exprimer notre vécu. Une autre aide c’est aussi de connaître et accepter ses limites pour ne pas être trop bouleversé quand on s’y heurte.

Quand tu vois qu’il y a un désaccord entre un mourant et famille, à quel moment tu décides d’intervenir ou proposes quelque chose ?

Il n’y a pas une réponse type, ça dépend de la situation. Il y a une personne qui a peu de temps c’est le mourant, donc il vaut mieux le protéger, sa famille son entourage a normalement plus de temps.
Je me rappelle d’un cas d’une mère dont le fils n’était plus capable de manger, quand il n’y avait personne, la mère persistait à lui donner à manger alors qu’il ne pouvait plus avaler. Chaque fois que la mère quittait la chambre, il fallait vider la bouche du patient. C’était un peu un compromis, la mère pensait faire du bien à son fils, mais de l’autre côté on devait libérer le fils du contenu de sa bouche.

Tu as accompagné beaucoup de gens, il y en certains que tu connaissais très bien, des amis, est-ce qu’il y a une différence pour toi ?

Chaque personne est différente indépendamment de la relation, il y a aussi des gens que je préfère et avec d’autres j’ai plus de distance. Et suivant la relation, ça me touche plus ou moins profondément. J’ai aussi perdu à cette époque-là mon partenaire.

Dans votre organisation, tout le monde est formé à accompagner, mais parfois des gens sont confrontés à accompagner sans être préparés. Quel conseil peux-tu donner à des personnes qui se trouvent dans cette situation ?

D’une manière provocante, je dirais que ce n’est pas nécessaire d’avoir une formation pour accompagner. Bien sûr il faut des connaissances médicales … Avec la mort, c’est comme avec la naissance, il y a des personnes sages femmes mais on peut donner la vie sans sage femme tout comme on peut mourir sans professionnels. Je pense que nous sommes tous des accompagnants.

Frauke B. C’est devenu étrange aujourd’hui. Autrefois on mourrait à la maison, en famille et le corps était exposé. Maintenant on ne fait plus ça, mais je pense qu’on doit retrouver cette dimension. C’est bien d’avoir des professionnels et des institutions, des soins palliatifs, car dans notre société, parfois il n’y a pas de famille, ou la famille est très occupée, elle n’a pas le temps… Mais c’est bien qu’on approche l’idée que la famille soit prête à s’occuper, et qu’il y ait la possibilité que le mourant reste à la maison avec l’aide et le soutien de services palliatifs ambulants. C’est certainement la meilleure chose que celle de mourir à la maison. Mais c’est aussi bien qu’il y ait cette alternative d’unités de fin de vie, où la famille peut être présente, ils y trouvent le soutien, ce n’est pas seulement leur responsabilité, mais c’est important alors que tout le monde y participe.

Qu’est-ce que tu ferais si on ne t’acceptait pas comme accompagnant ?

C’est arrivé chez nous. Boti Moka, qui venait d’Afrique Centrale, ne voulait pas venir chez nous, mais il n’y avait aucune institution qui voulait l’accueillir. Il a mordu quelques uns de notre équipe. Son refus était très fort. On a dû apprendre à s’en occuper, il criait, une fois on a essayé de le mettre à l’hôpital psychiatrique mais trois heures plus tard ils l’ont renvoyé chez nous ! A la fin, on a trouvé une solution, par hasard on a vu qu’une de nos chambres au rez-de-chaussée avait une fenêtre qui donnait sur un grand arbre et on avait constaté qu’une fois qu’il était dans le jardin, dans une chaise roulante, il se calmait. Alors on a fait en sorte qu’il ait cette chambre, là il a pu mourir en paix.
Mais quand le refus est là, il est là… Il ne s’agit pas de rentrer dans une lutte. Mais un bénévole qui veut s’occuper des autres, s’il est repoussé, c’est difficile à accepter, car il se dit : « Moi qui suis si sympa et qui me sacrifie ! » C’est pour cette raison qu’il faut un suivi psychologique.

Connais-tu une situation où il y a un mourant, et à côté il y a un parent qui ne supporte pas la situation, qui pleure, et du coup, le mourant ne peut la supporter et souffre aussi.

Oui cette situation arrive souvent, on ne peut pas supporter la fin de vie d’un être aimé, et là aussi c’est à nous de donner un soutien. Mais de nouveau celui qui meurt a peu de temps et il doit avoir la priorité. C’est semblable à la naissance même si le père s’évanouit, il faut d’abord s’occuper de la femme et puis du père !

Si les gens ont du mal à supporter la situation, des deux côtés, le mourant et les proches, que conseilles-tu ?

Il n’y a pas une solution standard, il y a différentes formes de communication dans la famille. On ne peut pas donner une solution, on peut essayer de faciliter la communication quand elle est difficile.

Heike. On peut donner des impulsions, il y a souvent des choses qui ne sont pas dites ou exprimées et on essaye de les identifier, et ensuite on essaye d’offrir quelque chose. Pas seulement par la communication, ce qui fait du bien à ce moment-là peut être un rituel, par exemple. Il faut tâcher de sentir ce qui fait du bien.

On avait aussi des exemples des proches qui ont perdu quelqu’un de bien aimé, et même des années après la mort, la famille venait à l’institution pour échanger, pour partager leur expérience avec d’autres familles. Certaines de ces personnes proposaient leur aide bénévole.

Crédit Photos : Eric Tchéou