Zazen - Photo : Eric Tchéou

Spécificité du zazen de l’école Sôtô

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Par Roland Yuno Rech

Maître Dôgen, le fondateur de l’école zen Sôtô au Japon, ne voulait pas que la pratique de méditation qu’il enseignait à partir de son expérience auprès de maître Nyojo en Chine soit considérée comme spécifique au sens de spéciale. Pour lui zazen c’était Butsudo, la Voie du Bouddha, l’essence du bouddhisme. Ce n’était donc pas un moyen pour obtenir l’éveil et atteindre la libération. Il enseigna shikantaza, seulement s’asseoir, sans utiliser les autres pratiques bouddhistes.

Or si nous étudions quelles étaient les caractéristiques de la méditation pratiquée et enseignée par Shakyamuni selon les sutras les plus anciens rédigés en pali, nous trouvons la description qu’il donna dans le Bhayabhérava-sutta, 4e sutta du Majjhima-nikaya. C’est la méditation qu’il pratiqua la nuit de son Éveil. Il la décrivit comme les quatre étapes de dhyana, qui sont autant de dépouillements ou lâcher-prise.

Dans la première étape sont abandonnés les désirs et les pensées inefficaces. Joie et bonheur nés de la séparation des bonno sont éprouvés. Mais demeurent le raisonnement et la réflexion. Par leur abandon le méditant entre dans le deuxième dhyana qui est apaisement intérieur, unification de l’esprit dépourvu de raisonnement et de réflexion, né de la concentration et qui consiste en bonheur.
Puis par le détachement de ce bonheur le pratiquant entre dans le 3e dhyana, fait d’équanimité, de conscience et de vigilance où reste un bonheur pur. Puis, par l’abandon de ce bonheur et de la tristesse, le pratiquant pénètre le 4e dhyana où ne sont plus ni plaisir ni douleur mais qui est pureté parfaite d’attention et d’équanimité.
C’est dans cet état que Shakyamuni déclara avoir vu ses vies antérieures et compris la loi du karma et les Quatre Nobles Vérités. Mais il s’agit là de ce qui deviendra une méthode progressive avec ses étapes préétablies, alors que shinjin datsuraku enseigné par maître Nyojo et réalisé par maître Dôgen, est un lâcher- prise immédiat de tout attachement et de tout obstacle dans la concentration totale sur la posture assise et la respiration et l’abandon de tout objet de pensée.
Pour Dôgen, quand il est pratiqué de manière juste, le zazen est lui-même éveil et libération. La conscience hishiryo est ce qui révèle la réalité telle qu’elle est. Concentré sur le corps et la respiration, lâchant prise d’avec tout attachement, zazen nous ré-harmonise avec cette réalité. Maître Deshimaru appelait cela « revenir à notre véritable condition normale. »

Par la suite, Shakyamuni souligna que ces états de dhyana étaient encore des états conditionnés et impermanents et il insista davantage sur la pratique de l’attention juste telle qu’il la décrit dans le Satipatana sutta : attention au corps et à la respiration, aux sensations, à l’esprit et aux objets mentaux, à leurs facteurs d’apparition et de disparition et donc à leur impermanence et à leur vacuité.
Il terminait ce sermon en disant que celui qui pratiquerait cela, même seulement une semaine, réaliserait l’éveil. C’est devenu la pratique de vipassana. Cela ressemble aussi à l’observation qui, avec la concentration, constitue le point commun de toutes les méthodes de méditation bouddhistes. On retrouve cette pratique dans le makashikan enseigné par le bouddhisme Tendai que maître Dôgen commença par étudier quand il devint moine. Shi veut dire samatha ou concentration et kan, vipassana ou observation : c’est une méthode pour abandonner ses illusions et réaliser l’éveil.

On retrouve ces recommandations aussi dans le zen de l’école du Nord suivant l’enseignement de Jinshu qui le décrivait comme la pratique qui consiste à sans cesse essuyer le miroir de l’esprit pour ne pas laisser la poussière des illusions s’y déposer. Eno objecta que dans la vacuité le miroir n’existe pas. Comment la poussière pourrait-elle s’y déposer ? Cette intuition abrupte de la vacuité devint l’essence de ce qu’on appela le « zen subit » qui semble l’avoir emporté sur l’école du zen graduel issu de Jinshu. Le zazen de l’école Sôtô est aussi une pratique-réalisation relevant du « zen subit ». Dôgen parla de shusho ichinyo : pratique et réalisation sont unité.
Mais une des spécificités du zen Sôtô fut de rejeter ces oppositions sectaires comme le fit, au début du Sandokai, maître Sekito : « Il y a des différences entre les capacités des hommes qui sont plus ou moins aiguisées, mais dans la Voie il n’y a ni patriarche du Nord ni patriarche du Sud. »