Par Pascal-Olivier Kyosei Reynaud, Narbonne, octobre 2024
L’heureuse interaction
Dans le silence de la méditation, la pluie tombe sur Narbonne de manière continue.
Ce matin notre assise est soutenue par l’énergie de la pluie. Vous pouvez laisser cette énergie de la pluie vous laver, rincer vos corps et vos pensées.
Alignez-vous bien dans votre posture. Étirez-vous vers le haut. Gardez la tête droite, le menton rentré et le regard déposé sur le sol avec les yeux entrouverts.
Ne vous attachez à rien en particulier. Restez dans la présence et l’ouverture à ce qui est. Soyez disponible comme chaque goutte d’eau qui tombe libre et verticale. L’eau pénètre tout, même les roches les plus solides.
Rien ne l’arrête, aucun obstacle, elle épouse toujours le terrain où elle se trouve et retourne à sa source. Sa source n’est pas un endroit ou un état en particulier, sa source est sa réalité elle-même et sa réalité est la transformation.
C’est un cycle sans commencement ni fin auquel elle participe dans un processus d’interactions infinies. Elle surgit de l’interaction et retourne à l’interaction. Il en est de même pour toute chose. Pour chacun d’entre nous dans ce qu’il est, dans ce qui le constitue.
Patience et persévérance
Lorsque l’on commence à pratiquer cette Voie d’éveil et de libération, on peut avoir la sensation d’être dans le noir et d’avancer en tâtonnant, en tendant les mains devant soi en avançant à l’aveuglette. En essayant à tâtons de comprendre ce qu’il se passe et comment faire. On avance dans sa pratique en évitant de trébucher et en essayant de saisir quelque chose qui puisse nous éclairer. Ainsi dans notre obscurité, il nous arrive de saisir certaines choses, de s’en faire une idée et de s’y accrocher.
On peut aussi trébucher, tomber. Et si c’est le cas, l’important est de se relever et de persévérer. Au bout d’un certain temps qui dépend de chacun, dans cette obscurité, une lumière se fait et on commence à distinguer des formes. On réalise alors que ce que l’on distingue, ce qui sort de l’ombre, c’est soi-même.
Dans notre obscurité, croyant saisir quelque chose sur son chemin, on ne faisait que se saisir soi-même. Un bras, une main, sa jambe, ses cheveux. Parce qu’en réalité croyant être debout et en train d’avancer nous étions recroquevillés sur nous-mêmes. Enfermé dans notre propre obscurité, comme un poussin enfermé dans sa coquille.
Il paraît que lorsqu’une poule couve ses œufs elle est consciente de la maturité des poussins et lorsque le moment est venu, elle pique de son bec la coquille de l’œuf et le poussin également depuis l’intérieur de l’œuf. Il y a une coïncidence naturelle. Ces coups sur la coquille depuis l’extérieur et depuis l’intérieur brisent la coquille et permettent au poussin de sortir.
Il s’ouvre à la vie extérieure, il est accueilli par sa mère et commence alors sa vie de poussin autonome.
Cette image de la poule, du poussin et de leur interaction naturelle au juste moment est utilisée pour représenter la relation entre le maître et le disciple.
Kanno Doko, l’affinité spirituelle
Pour que la coquille puisse se briser il faut que le maître tape dessus mais également que le disciple tape sur sa coquille et désire en sortir. S’il n’y en a qu’un des deux qui tape sur la coquille cela ne permet pas de la briser. Le moment n’est pas opportun car il n’est pas l’expression de l’unité naturelle.
Certains êtres humains possèdent plusieurs coquilles.
Certains êtres humains refusent de briser et de quitter leur coquille.
Certains êtres humains attendent qu’on les fasse sortir de leurs coquilles.
Ma question pour vous aujourd’hui est : « quelle sorte de poussin, d’êtres humains êtes-vous donc ? ».
Considérez cette question comme un coup de bec sur votre coquille.
Nous devons étudier cela profondément ensemble.
En compléments …
Pour éclairer ou compléter cet enseignement voici quelques apports sur le thème de la communion intime qui se réalise entre soi et le Dharma ou/et entre le maître et le disciple et que l’on nomme en japonais « Kanno doko ».
Maître Dōgen Zenji dans le recueil Hokyo ki rapporte entre autres cet échange entre lui et Maître Rujin (Tendo Nyojo) :
Dōgen a demandé à Rujing à minuit : « Dans votre discours sur le Dharma, vous avez dit : « Celui qui s’incline et celui devant qui on s’incline sont vides par nature. La communion mystique – kanno doko – entre les Bouddhas et les êtres sensibles est merveilleuse et inconcevable ; son cœur est profond, et il ne peut pas être connu. Il n’y a aucun moyen de l’atteindre superficiellement. Le doute ne peut pas l’atteindre. » Les enseignants de l’école scripturale parlent également de communion mystique. Est-ce la même chose que ce qui est enseigné dans le chemin ancestral ? ».
Rujing a répondu : « Vous devez connaître précisément l’importance ultime de la communion mystique. Sans elle, les Bouddhas ne seraient pas apparus, et Bodhidharma ne serait pas venu en Chine. C’est une erreur de considérer les enseignements écrits comme hors de la voie ancestrale. Considérer le Dharma du Bouddha écrit comme incorrect, c’est comme utiliser une robe ronde et un bol carré. Vous ne pouvez pas faire cela, n’est-ce pas ? S’il vous plaît, n’essayez pas d’utiliser une robe ronde et un bol carré. Vous devez savoir qu’il y a toujours une communion mystique ».
Il en est question également dans l’aspiration du Bodhisattva :
Cette aspiration altruiste à libérer tous les êtres et à réaliser l’éveil naît dans la communion mystique, l’affinité spirituelle ou kanno doko en japonais. Le kan est le fait de percevoir ou avoir l’intuition de quelque chose. O est la réceptivité. Donc kanno c’est percevoir intuitivement une réponse de Bouddha, de la nature de Bouddha. Bouddha nous répond toujours. Bouddha n’est pas quelque part ailleurs, en dehors de nous. Notre propre bouddhéité – la nature ouverte, compatissante et illimitée de l’esprit – est juste là, mais généralement nous ne sommes pas en contact avec elle.
Lorsque nous suivons notre aspiration et que nous sommes réceptifs, nous pouvons rencontrer Bouddha. Notre nature de bouddha répond toujours à notre nature d’être sensible, et parfois nous pouvons apprécier cette rencontre.
Maître Dōgen y revient dans plusieurs chapitres du Shobogenzo, par exemple :
Dans le chapitre Shinjin Gakudō – l’étude par le corps et l’esprit de la voie :
« Après la communion mystique – kanno doko – et l’aspiration à l’éveil, prenez refuge dans la grande Voie des Bouddhas et des Patriarches et consacrez-vous à la pratique de l’esprit qui aspire à la Voie. »
Dans le chapitre Hotsu Bodaishin – Éveiller l’aspiration à l’éveil, Bodhichitta :
« Dans la communion mystique, dans l’affinité – kanno doko – [entre les Bouddhas et les êtres sensibles, et aussi entre l’enseignant et l’élève], l’aspiration à l’éveil surgit. Elle n’est pas donnée par les Bouddhas ou les Bodhisattvas, et elle ne peut pas être créée par soi-même. L’aspiration naît en réponse à l’affinité ».
Dans le chapitre Kie Sanbō – Prendre refuge dans les Trois Trésors :
« L’acte de se réfugier dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha se réalise par la communion mystique, kanno doko. Que vous soyez dans le royaume divin, le royaume humain, le royaume de l’enfer, le royaume des fantômes affamés ou le royaume animal, lorsque vous avez une communion mystique avec Bouddha, le Dharma et la Sangha, vous prenez invariablement refuge en eux ».