Zazen - Photo : Eric Tchéou

Aspects énergétiques de la posture

Traductions ABZE disponibles (PDF) :  

par Claude Emon Cannizzo

Même si dans les enseignements, on ne parle pas forcément de l’aspect énergétique de la posture, elle est malgré tout basée sur un principe énergétique. Le sujet n’est pas de faire un cours magistral sur l’énergétique, mais il me semble intéressant de noter quelques aspects au sujet de la posture en relation avec les fonctions énergétiques.

D’abord, c’est quoi la vie ?

Dans l’approche orientale de l’apparition de la vie, il y a trois principes fondamentaux que sont le ciel, la terre et l’interaction les deux. La relation entre ces polarités, c’est-à-dire ce qui est donné par le ciel (yang), traduit par la “vertu” et ce qui est donné par la terre (yin), traduit par “force”, ki, donne naissance au potentiel de vie : L‘homme, les formes, les phénomènes.

Le ki crée la forme. Quand la forme apparait, l’esprit se manifeste. De la forme et de l’esprit apparaissent les idées. Des idées apparaît la motivation et la motivation donne naissance à l’action, le mouvement. C’est ce qui est appelé la Vie…

Dans notre corps, la jonction de ces deux polarités se fait dans ce que l’on appelle le hara, le kikaï tanden, l’océan de l’énergie. Cet endroit se trouve à deux à trois centimètres sous le nombril, c’est-à-dire là précisément où peut aboutir l’expiration profonde de zazen lorsque le corps est complètement détendu, lorsque l’esprit est complètement libre, c’est-à-dire sans intention, sans volonté. C’est le sens de mushotoku, c’est à dire libre de toutes intention ou attente, qui est une des particularités du zen.

Comment toucher l’énergie, que sont les méridiens ?

Des chemins qui parcourent le corps et transportent le ki. Ce sont les méridiens qui nous permettent d’entrer en contact avec le ki ! La définition que j’ai reçu de mon Maître K. Sasaki c’est : « Les méridiens sont la Fonction Energétique et Organique de Vie. »

Sans entrer trop dans les explications de la médecine énergétique, chaque méridien est une des douze qualités énergétiques qui ensemble forment la vie au niveau du corps et de l’esprit. Chacun des méridiens est en relation avec un organe (yin) et un viscère (yang.) Le zazen a un effet sur les méridiens qui parcourent le corps et correspondent au système nerveux ainsi qu’au réseau de la circulation sanguine et lymphatique.

Deux méridiens sont principalement stimulés et harmonisés par la posture de zazen.

Tou Mo (Le Vaisseau Gouverneur) sur l’axe postérieur du corps, maître du yang. Il débute entre les parties génitale et l’anus, monte le long de la colonne vertébrale sur l’axe du crane pour arriver derrière les dents supérieures contre le palais. Du fait de sa communication avec la tête, ce vaisseau est en étroite relation avec le cerveau, la colonne vertébrale et les reins. Le vaisseau gouverneur gouverne les méridiens « yang ». Il est le garant de la stabilité intérieure dans les situations de stress, sa stimulation a pour effet de renforcer le moral et d’éclaircir l’esprit.

Jen Mo (Le vaisseau conception) sur l’axe antérieur du corps correspond à l’énergie yin. Il débute également entre les parties génitales et l’anus longe l’abdomen et arrive dans la bouche à la base du frein de la langue. C’est lui qui gouverne les méridiens yin et les relie harmonieusement entre eux. Il participe à notre faculté d’être calme et ouvert, il nous apporte la paix spirituelle.

« Dans la posture juste de zazen l’assise sur le zafu est principalement situé au niveau du point de départ de ses deux méridiens par l’action de la bascule du bassin. Le placement de la langue contre le palais derrière les dents supérieures réuni également ses deux méridiens dans la bouche. Ceci crée une circulation harmonieuse rythmée par la respiration de zazen. »

N.B. La langue est un organe très important car elle reflète les qualités de notre énergie.

La posture

Le dos est souvent courbé dans la vie quotidienne ce qui cause des tensions et des barrages dans la circulation de l’énergie. En étant assis sur le zafu les jambes croisées, le bassin basculé vers l’avant, favorise l’ouverture du bassin en tonifiant le kikaï et la zone des reins, siège de l’énergie innée (potentiel de vie hérité de nos parents à notre naissance.) En enracinant par la bascule du bassin les genoux au le sol cela impulse le redressement du dos. Le contact de la partie latérale externe des genoux sur le sol stimule le méridien de l’estomac qui avec le pancréas est en relation avec notre réserve d’énergie acquise (celle que nous fabriquons par nous-même en mangeant, en respirant, dormant…) La posture des jambes croisées stimule également le méridien de la vésicule biliaire qui avec le foie tonifie les muscles et tendons.

Sur le dos, les points du méridien de la vessie se situent de part et d’autre de la colonne vertébrale. Au niveau de chaque espace intervertébral se trouvent les points (Yu ou Shu) qui rééquilibrent chacun un organe ou un viscère. Par exemple, le point Yu du poumon se trouve entre la troisième et quatrième vertèbre. Pendant zazen, le dos est redressé, ce qui a pour effet une tonification de la circulation de l’énergie dans toute la zone dorsale, particulièrement le méridien de la vessie et du rein qui stimule le système nerveux central.

Ouvrir la zone de la poitrine en rejetant les épaules en arrière permet d’étirer les espaces entre le sternum et les épaules de part et d’autre. Ceci a pour effet de stimuler le méridien du poumon (qui est en étroite relation avec le rein) qui se trouve dans le deuxième espace intercostal jusqu’au sternum. Cette ouverture entraine également celle du diaphragme à la hauteur du plexus solaire, libérant ainsi les tensions en relation avec nos émotions.

Le regard est posé au sol, le menton rentré, nuque étirée en poussant le ciel avec le sommet de la tête, permet de dégager la zone occipitale. Cela favorise la stimulation de cerveau profond (l’hypothalamus). À la base du crâne existent des points très importants. Ces points sont les fenêtres du ciel qui sont très souvent en tensions. Ces fenêtres relient le corps physique et le corps spirituel et émotionnel. Ils aident à soulager les désordres psychosomatiques, le stress. En zazen, l’étirement de la nuque participe au relâchement de ces points. En outre, sur le sommet du crâne, se trouve un point (Bai Hui en chinois) et signifie « les cent réunions » ou « point de la joie ». Il reçoit l’énergie du ciel et est important pour l’activité cérébrale et les troubles psychiques. (Lorsque la posture est correcte, se point se trouve aligné avec le « Genki » dans le hara, qui « contrôle » l’énergie vitale.) De part et d’autre de la nuque sur les épaules se trouve un point fameux de la vésicule biliaire (V.B.21) sur lequel est donné le kyosaku. Lorsqu’il y a trop d’énergie dans la tête par exemple trop de pensées, ce point fait descendre le yang. Ceci a entre autre pour effet de calmer le mental.

Au fil des respirations, l’abdomen (hara) se relâche et une sorte de « massage des organes » se met en place. Dans le kikaï tanden, c’est à dire deux ou trois doigts sous le nombril, en profondeur se trouvent la zone appelée « Genki », lieu où nos deux qualités d’énergies (acquise et innée) fusionnent et stimulent l’énergie de vie. Cette force énergétique est la source de toutes les activités, aussi bien du corps que de l’esprit.

Les mains sont jointes, en « hokkai join » (le sceau de l’océan du Dharma), les extrémités des pouces se joignent en formant une ligne horizontale. Par leur intermédiaire, les branches du méridien du poumon qui gouverne le ki, se rejoignent. Les mains sont souples et ouvertes, les doigts posés les uns sur les autres formant un ovale et les tranchants des mains posés contre le bas ventre. Les mains ainsi positionnées donnent aux bras une position d’ouverture favorisant la circulation dans le méridien des poumons, ce qui donne un effet bénéfique à la respiration.

La respiration

Pendant zazen, la respiration est essentielle. La bascule du bassin avec le dos droit, permet au hara d’être totalement relâché et ainsi pouvoir accueillir une respiration profonde. La respiration par le nez est calme, paisible dans un rythme lent et naturel. L’expire est longue et profonde, mais sans forcer. L’inspire, plus courte, vient naturellement lorsque l’expire est arrivée au bout d’elle-même, c’est à dire le plus profondément possible vers le kikaï.

Respirer est une faculté innée et le mot « respiration » est synonyme de vie. Notre environnement citadin n’est pas très favorable pour respirer à plein poumon et nos capacités respiratoires ne sont pas très développées. Même si au début nous aurions tendance à s’appuyer sur l’action volontaire, afin de suivre les indications données lors de l’initiation, il ne s’agit pas d’un simple contrôle conscient de la respiration, mais bien de la libération des tensions qui entravent la circulation du ki à travers l’ensemble du corps, des articulations et des méridiens. Cette respiration balaie les complications du mental, l’esprit devient clair comme un ciel sans nuage.

Pour influencer la circulation du ki chez une personne, il faut non seulement une posture et attitude corporelle correcte mais aussi une attitude de l’esprit tranquille, une respiration profonde et calme. L’inspire emplit le corps de la tête aux pieds. L’expire est concentrée et portée sur notre hara (abdomen). Plus précisément, en profondeur du hara ou l’expire va rencontrer le « Genki » situé en profondeur. A cet endroit l’énergie générée par la respiration va rencontrer l’énergie du « rein » (siège de notre ki vital hérité de nos parents), les effets de cette rencontre seront diffusés dans tout le corps par le réseau des méridiens. Une respiration complète en profondeur est relaxante et ne demande pas d’effort particulier. Lorsque la respiration qui accompagne la posture devient naturelle, elle jouera alors pleinement son rôle de régulation vitale dans notre corps et l’attitude de notre esprit.

L’attitude de l’esprit

De même que la respiration juste ne peut surgir que d’une posture correcte, l’attitude de l’esprit découle naturellement d’une profonde concentration sur la posture et la respiration. En zazen, les images, les pensées, les formations mentales passent comme des nuages dans le ciel et s’évanouissent naturellement.

Sans chercher à atteindre la vérité ni à couper les illusions, sans fuir ni poursuivre quoi que ce soit, la conscience universelle se manifeste naturellement. Ainsi réalise-t-on une conscience intuitive, originelle, radicalement différente des fabrications mentales habituelles du moi. Zazen est sans but, sans fin. Au-delà du profit personnel, simplement l’instant présent. Le zen met l’accent sur l’aspect altruiste de la pratique. Zazen est pratiqué pour et avec toutes les existences, et toutes les existences pratiquent avec nous.

Retour à la condition normale

Nous pouvons dire que le mental est moins présent dans les parties du corps dont nous n’avons pas conscience, qui sont par conséquence isolées. Il y a donc dans ces zones moins de circulation et moins de fonction. En nous concentrant sur la posture, c’est à dire sur les différentes parties du corps, on fait y revenir l’esprit, par conséquence, la conscience. Par-là, la circulation du sang et de l’énergie s’en trouve améliorée. Rencontrer une région douloureuse est une réaction tout à fait naturelle, (la douleur fait partie de la vie.) Ordinairement, sauf quelques exceptions, nous n’utilisons plus beaucoup notre corps. Prendre la posture de zazen peut se révéler difficile. Mais en réalité, ce n’est pas vraiment la posture qui est difficile, mais le retour à notre condition normale qui s’avère être difficile. Développer à nouveau la conscience de chaque partie du corps, pour à nouveau pouvoir lâcher les tensions qui s’y sont installées et ainsi redevenir intime avec soi-même. L’esprit et le corps doivent être totalement en contact dans une totale intégrité. Quand nous pratiquons la posture de zazen, l’esprit et le corps sont totalement un en pleine présence ici et maintenant. Ici dans ce lieu, avec le corps et maintenant dans le temps avec la respiration. Le Zen, c’est juste ça !