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Par Roland Yuno Rech à Godinne en novembre 2012 (Belgique)
Dans la vie sociale seulement lâcher prise, ça ne marche pas.
Pour faire zazen on se concentre totalement sur la posture. Le dos bien vertical, le menton rentré, on pousse le ciel avec le sommet de la tête et la terre avec les genoux. Les épaules sont bien relâchées, le ventre détendu, on inspire et on expire profondément par le nez, on suit la respiration et on ne poursuit pas les pensées. On laisse passer toutes les fabrications mentales, jusqu’au point où finalement l’on ne fait plus rien, pas même zazen, c’est-à-dire jusqu’au point où la pratique devient inconsciente et naturelle, sans besoin d’intervention de notre conscience personnelle, de notre volonté personnelle.
Tant que l’on fait zazen, il y a un ego qui fait quelque chose, qui intervient. A ce moment là la pratique peut apporter un certain nombre de bienfaits. Par exemple, on va améliorer sa capacité de concentration. Mais lorsque l’on ne fait plus rien, lorsque ce n’est plus l’ego qui fait zazen, alors c’est zazen lui-même qui nous dirige, zazen qui devient plus fort que notre conscience personnelle, alors zazen nous entraîne littéralement au-delà des limites de notre ego. Ce zazen là a le pouvoir de libérer de la transmigration, du samsara. C’est le zazen de Bouddha.
Naturellement lorsque l’on entend cet enseignement, on a envie de pratiquer le zazen de Bouddha. On se dit que zazen doit être pratiqué naturellement, inconsciemment et automatiquement. On a tendance à rejeter toute intervention de la volonté, de la conscience personnelle, alors qu’en réalité les deux aspects sont importants : la pratique consciente et la pratique inconsciente, la volonté et le lâcher prise. Si ne l’on pratique qu’à l’aide de sa volonté personnelle, on se fatigue rapidement. Mais si on privilégie exclusivement le lâcher prise, la pratique inconsciente et naturelle, alors on court le risque que nos vieilles habitudes mentales reprennent le dessus.
À ce sujet, dans le Gakudo Yojinshu, maître Dogen était très clair. Il disait : « Lorsque vous commencez à étudier la Voie de Bouddha, vous devez rendre visite à un Maître, écouter son enseignement, et pratiquer en accord avec cet enseignement. Et à ce moment là, il y a une chose que vous devez comprendre : le Dharma vous entraîne et vous entraînez le Dharma. Quand c’est vous qui entraînez le Dharma, vous êtes fort et le Dharma est faible. Quand c’est le Dharma qui vous entraîne, c’est le Dharma qui est fort et vous qui êtes faible ». Et il ajoutait : « Mais ces deux aspects sont toujours présents dans le Dharma de Bouddha ». Autrement dit pour la pratique de zazen comme pour la pratique de notre vie, il y a des moments où il faut exercer un contrôle conscient sur ce que l’on pratique et d’autres moments où il vaut mieux lâcher prise. Mais on ne peut pas fonctionner toujours sur le même mode.
Dans la vie sociale seulement lâcher prise ça ne marche pas. Il y a beaucoup d’occasions où il faut réfléchir, prendre des décisions, utiliser sa volonté. C’est la fonction du mental. Comme je l’ai déjà dit, si l’on ne fonctionne que comme cela, alors il y a tout un aspect profond de la vie qui nous échappe complétement, toute la dimension de l’harmonie avec le Dharma, avec l’ordre cosmique, qui se réalise dans les moments de lâcher prise, lorsque l’on pense au-delà de la pensée et de la non-pensée, lorsque c’est la conscience hishiryo de zazen qui nous dirige. Lorsque l’on répète cette expérience, cette pratique inconsciente et naturelle en zazen, alors cela devient la source de notre vie. On peut toujours y revenir périodiquement, mais il ne faut pas s’attacher à ne fonctionner que comme cela, sinon on crée une nouvelle illusion, une nouvelle cause de souffrance. Car une fois la sesshin terminée, on rentre dans la vie sociale et on s’aperçoit que l’on ne peut pas toujours fonctionner comme ça. Alors si l’on oppose les deux manières au lieu de les harmoniser, on ressent constamment un conflit intérieur. C’est comme ça que l’on en vient à souhaiter de s’enfermer dans un temple, pour supprimer ce genre de conflit, dans l’espoir de pouvoir toujours pratiquer naturellement, inconsciemment et automatiquement, en suivant un gyoji régulier, où l’on n’ait quasiment aucune décision à prendre, simplement suivre la règle. Si l’on fait ce choix, alors on ne peut guère aider les autres. Car la très grande majorité des êtres ont toujours vécu dans le monde. Donc l’attitude des moines zen qui sont des bodhisattvas, c’est de trouver l’équilibre dans leur propre vie et d’enseigner cet équilibre aux autres. Avec des périodes de retraites comme des sesshins, les angos, et des périodes de retour dans la vie sociale.
Et même pendant une sesshin il y a des moments pour penser consciemment et d’autres pour penser inconsciemment, en particulier tous les responsables doivent réfléchir comment organiser les choses, prendre des décisions. Les gens qui sont trop jeunes dans la pratique ont du mal à faire cela. C’est-à-dire, lorsqu’ils se mettent à penser consciemment pour résoudre un problème, cette pensée consciente envahie complètement leur esprit. Et après ils n’arrivent pas à faire véritablement zazen. Ils n’arrêtent pas de penser à l’intendance, à l’organisation, ils ne parviennent pas à laisser passer ces préoccupations. Lorsque l’on avance dans la pratique, on parvient de plus en plus rapidement à passer d’un mode de penser à l’autre. Réfléchir, prendre une décision et rapidement laisser tomber et passer à un autre mode de pensée. Et cela en étant toujours parfaitement ici et maintenant.
Ici et maintenant, qu’est-ce qui est important ? Se concentrer seulement sur le point important de l’ici et maintenant, sans se laisser polluer l’esprit par des ruminations mentales. Alors on peut garder un esprit libre et frais, toujours neuf, même au milieu des phénomènes de la vie quotidienne. Alors la sesshin nous a véritablement appris un art de vivre, qui permet de continuer la pratique de la Voie dans toutes les circonstances de l’existence. Et ainsi de réaliser le nirvana, c’est-à-dire la paix de l’esprit dans le samsara, dans l’agitation des phénomènes, sans opposer les deux, mais en les harmonisant.