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Par Roland Yuno Rech à Pégomas en 2012 (France)
Quand nous partons pour faire une sesshin nous quittons notre maison, notre famille.Nous partons en voyage, pour arriver au lieu de la sesshin. Et ce lieu dès qu’on installe le dojo, et que l’on y pratique la Voie devient un monastère. Chaque personne qui y pratique expérimente la vie du moine, au moins pendant le temps de la sesshin. On devient shukke, hors de notre demeure, de notre famille, on devient comme moine et nonne, c’est-à-dire Un avec la Voie en se concentrant totalement sur la pratique de chaque instant, en oubliant le passé et n’attendant pas le futur. Nous contactons la vie réelle ici et maintenant, la vie sans séparation, la vie au delà de nos fabrications mentales, que nous laissons tomber durant chaque expiration.
Dans le Koshoji koroku Maître Dogen dit : « Pratiquer la Voie au temple de Kuanin ou au temple de Shanglan – ce sont deux temples où Maître Joshu avait été shusso – c’est être un moine mendiant en voyage ». Et il ajoute « c’est encore vrai pour le fait de visiter des temples fameux ou des maîtres zen, si souvent que nous usons complètement nos sandales de paille. Qu’est-ce qu’un moine mendiant en voyage? C’est le corps et l’esprit rejetés : datsu raku. »
Dans l’enseignement du Zen même s’il est souvent question d’anciens moines, d’anciens maîtres, des temples au fin fond de la Chine il y a mille cinq cents ans, il s’agit toujours en réalité de nous-même ici et maintenant, car nous sommes tous des moines mendiants en voyage. Notre vie même est un voyage, non seulement entre la naissance et la mort, mais aussi entre la mort et une nouvelle naissance, à l’infini.
Partir en voyage c’est au-delà d’aller et venir sur la terre. Ce qu’on appelle henzan, c’est comme partir en pèlerinage. C’est s’harmoniser avec la Voie, avec le fait que tout l’univers n’est autre que le corps du Dharma de Bouddha, c’est-à-dire la réalité profonde telle qu’elle est.
En partant en voyage nous allons à la rencontre de cette réalité, en abandonnant nos habitudes mentales, nos attachements égotiques. Notre esprit s’ouvre à l’expérience de la réalité de chaque instant. Cette ouverture se réalise dans ce que Dogen appelle corps et esprit dépouillés – shin jin datsu raku -.
Et pour cela il faut pratiquer avec la plus grande énergie et donner toute notre attention à la pratique de chaque instant. Si en zazen on ne fait que ruminer ces préoccupations quotidiennes, si on pratique avec tiédeur, mollement, avec hésitation, alors c’est très loin du véritable henzan.
Si on reçoit avec ferveur l’enseignement et si on met toute son énergie à le pratiquer, en se concentrant sur chaque chose à chaque instant, d’un seul esprit, alors on devient intime avec l’essence de la Voie. C’est le sens de henzan. Le sens de ce voyage est de réaliser la véritable voie qui ne dépend d’aucun lieu, qui ne dépend pas du fait d’aller ou de venir ici ou là. La Voie se réalise toujours ici et maintenant. Devenir Un avec cela c’est zazen.
La Voie est sous nos pieds. Elle consiste à revenir à la véritable réalité de notre vie, au delà de nos rêves et de nos conditionnements.
Maître Nyojo disait : « Sanzen –c’est-à-dire la pratique profonde du Zen- c’est corps et esprit rejeté. Vous n’avez pas besoin de bruler de l’encens, de réciter des prières ou des mantras, de vous infliger des mortifications ou de réciter des soutras. Il s’agit seulement de s’asseoir d’un seul esprit, shikantaza ». Et comme Dogen lui demanda : « Mais qu’est- ce que c’est corps et esprit abandonnés ? » Nyojo répondit : « C’est zazen ».
Autrement dit il n’y a pas d’autre zazen que le zazen où l’on rejette totalement le corps et l’esprit. Si cet abandon ne se produit pas ce n’est pas le véritable zazen. Mais lorsqu’il se produit alors c’est la réalisation de l’éveil, dans le moment même du lâcher-prise.
Lâcher-prise de quoi ? De tous nos désirs illusoires, de possession, de sexe, de nourriture, de renommé, même de sommeil. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin de nourriture, de sommeil, de sexualité, mais ces besoins ne doivent pas se transformer en désirs illusoires. C’est-à-dire nous laisser croire que le sens de notre vie est de les assouvir et qu’il n’y a rien au-delà comme le pense la majorité des gens dans cette société matérialiste à l’heure actuelle. Seulement l’argent, le pouvoir, le plaisir. Ce n’est pas que ces choses soient un mal en elles-mêmes mais que de s’y attacher vous éloigne d’une réalisation beaucoup plus profonde : une vie en harmonie avec le Dharma, avec la réalité profonde. Et sans cette harmonie il n’y a pas de véritable bonheur stable dans cette vie.
Tant qu’on ne s’harmonise pas avec la véritable nature de notre existence on n’est jamais satisfait et on cherche toujours autre chose. On est littéralement aliéné. On devient autre que soi-même, prisonnier des objets et des êtres qu’on réduit à l’état d’objet.
Par contre si on pratique le zazen avec shin jin datsu raku, alors tous les obstacles de notre vie sont éliminés d’un seul coup, tout ce qui obscurcit notre esprit : l’avidité, la colère, la paresse, la susceptibilité et le doute. Ces obstacles qui ne nous laissent jamais en paix font obstacle à notre réalisation de la Voie, à notre réconciliation avec notre véritable nature. Et cela ne peut pas être réalisé par notre conscience personnelle, par notre ego, en le voulant, mais seulement dans le lâcher-prise, en s’en remettant totalement à la pratique de la Voie. Corps et esprit en unité. Cette pratique nous entraîne littéralement au-delà de nous-mêmes, au-delà des limites de notre petit ego. C’est le sens de la Voie.