Nombreux satori, nombreux éveils

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Par Roland Yuno Rech

Lorsqu’on pratique zazen, par la concentration sur la posture du corps et par la concentration sur la respiration, on peut atteindre rapidement la paix de l’esprit. On laisse passer les pensées, on ne discrimine plus entre ce qui est agréable et désagréable, on ne s’attache pas aux pensées qui apparaissent, on ne cherche pas à les éliminer. Le combat cesse. Ainsi l’esprit devient paisible et clair. Mais il ne faut pas confondre cette paix de l’esprit qui procure un certain bien être, avec la réalisation de l’éveil. Car cette paix de l’esprit est conditionnée par notre manière de nous concentrer sur le corps et la respiration.

Lorsque Maître Dõgen enseigne que la pratique de zazen est en elle-même non pas une pratique de méditation mais la réalisation de l’éveil suprême, il veut dire que en zazen, non seulement on réalise la paix de l’esprit, mais qu’à travers la clarté de la conscience en zazen, on a la compréhension intime, profonde de la vacuité. Et c’est cette compréhension qui est éveil durable. Pas simplement un répit, un moment de paix dans l’agitation quotidienne. Déjà Shakyamuni Bouddha lui-même mettait en garde ses disciples pour qu’ils ne s’arrêtent pas à la réalisation du samadhi, c’est-à-dire cette grande concentration. C’est un état conditionné. Mais les encourageait à aller au-delà vers la réalisation de la Prajna Paramita, de la Grande Sagesse, qui provient de la vision claire de la vacuité de tout ce qui constitue non seulement notre ego, mais tout l’univers avec lequel nous sommes en interdépendance.

Alors dans le chapitre Maka Hannya Haramitsu Maitre Dõgen dit : « Prajna Paramita est Bouddha, et Bouddha est Prajna Paramita. » Alors s’adressant à Subhuti, il ajoute : « N’est il pas vrai que l’éveil du Tathagata, c’est-à-dire du Bouddha, vient de Prajna Paramita ? De plus les bodhisattva, les grands êtres, mahasattva, les pratyeka bouddha, les arhat, et ceux qui ont atteint les différents degrés, anagamine, sakrdagamine ou srota apanna, tous proviennent de Prajna Paramita. Et même les Dix Bonnes Actions – c’est-à-dire le respect des préceptes – les quatre types de méditation, les cinq pouvoirs surnaturels, les quatre sortes de méditation sur la vacuité, tout cela vient aussi de Prajna Paramita. Donc tous les bouddha ne sont autres que Prajna Paramita. Et la Prajna Paramita n’est autre que la totalité du Dharma de Bouddha. »

Alors comme parfois les enseignements du Bouddha sont survolés en quelques lignes, il faut revenir un petit peu en détail. Shakyamuni dit donc que tous les bodhisattva, les mahasattva, les pratyeka bouddha et les arhat et ceux qui ont atteint les différents degrés de libération, proviennent de Prajna Paramita. Autrement dit, même s’il y a des différences dans la réalisation des disciples de Bouddha, ils proviennent tous de la même source, leur réalisation provient de la même source. Elle est simplement plus ou moins approfondie dans leur vie. Cette réalisation provient de la pratique de zazen avec non seulement la grande concentration, mais aussi la vision claire, la vision juste de la vacuité, et donc le lâcher prise qui s’ensuit d’avec tous nos bonno, nos illusions, nos attachements. Mais ce lâcher prise n’est pas immédiat et total. C’est pour cela qu’il y a des degrés. Et notamment entre les états d’anagamine, sakrdagamine, srota apanna, qui sont des étapes de la réalisation des disciples jusqu’à l’état d’arhat dans le Hinayana. Chaque étape est caractérisée par un certain degré de libération par rapport aux bonno jusqu’à la pureté parfaite de l’état d’arhat. Et donc chacun de ces trois états jusqu’à l’état d’arhat sont des étapes où celui qui les a franchies soit n’aura plus qu’à renaître un certain nombre de fois, soit une seule fois, soit n’aura plus à renaître du tout dans cette vie pour réaliser la libération, le nirvana.

Evidemment dans la pratique du zen on ne pense pas dans ces termes. On enseigne le shin jin datsu raku, le lâcher prise, l’abandon de tous les attachements du corps et de l’esprit.

A ce sujet Maître Nyojo enseignait à Dõgen que chaque fois qu’un pratiquant de zazen abandonne ne serait ce qu’une illusion, un attachement, il rencontre Bouddha face à face, c’est-à-dire qu’il devient semblable à Bouddha, dans ce moment de lâcher prise, d’abandon d’un bonno.

Ce qui veut dire qu’il y a de nombreux satori, de nombreux éveils. Et que cela doit être constamment renouvelé, continué dans le gyoji quotidien. C’est dans l’ici et maintenant que cela se réalise, mais on ne se préoccupe pas des renaissances futures, du nirvana après la mort. Mais seulement de notre état d’esprit ici et maintenant. Qu’est ce qui m’attache ici et maintenant et comment je peux m’en libérer ? Comment je peux traverser ce monde d’illusions et en être libre sans attendre la réalisation d’un état futur ? Mais ici et maintenant.

D’autre part dans cette description il y a aussi la mention des bodhisattva, mahasattva, pratyeka bouddha, arhat.

  • Les mahasattva sont des Grands Êtres, de grands bodhisattva. Les bodhisattva eux-mêmes sont ceux qui pratiquent les Six Paramita, et de vies en vies se consacrent à aider tous les êtres à se libérer. Certains disent qu’ils sacrifient leur éveil, leur nirvana, le reporte à plus tard pour aider les autres maintenant, mais en réalité dans leur grande compassion, ils sont déjà totalement éveillés, libérés. Pas du tout dans le sacrifice.
  • Les pratyeka bouddha ce sont les éveillés solitaires, ce qui veut dire qu’il n’est pas exclu de s’éveiller sans maître. Mais dans ce cas là il n’y a pas de transmission reçue, ni de transmission aux autres, on reste un solitaire. Aussi cette réalisation n’est pas tellement appréciée dans le bouddhisme Mahayana.
  • Les arhat sont de grands moines éveillés. Il est faux de dire qu’ils sont sans compassion. Dans les monastères zen au Japon il y à toujours un lieu où reposent les statues des grands arhat. Par exemple Ananda, Mahakashyapa étaient des arhat. Et en réalité ces arhat sont complètement aussi animés par la compassion. Sinon ils ne seraient pas des éveillés. Mais dans la vision ancienne du bouddhisme, leur action éveillée, leur compassion se limitent à cette vie-ci puisqu’ils ne renaîtront plus après leur mort à la différence des bodhisattva.

Quant au Bouddha, par exemple Shakyamuni, il est faux de dire qu’il est totalement éteint, disparu de ce monde après sa mort. Dans le Sutra du Lotus il déclare qu’il a toujours été éveillé et qu’il continuera toujours à éveiller les êtres dans ce monde. Simplement il réapparaît sous différentes formes à travers les bodhisattva, les maîtres qui se consacrent à transmettre le Dharma, à aider les autres.

Tout cela pour dire que dans la pratique de zazen la concentration n’est pas suffisante. Il faut pratiquer l’observation juste comme le rappelait Maître Deshimaru. Cette observation juste est ce qui permet de s’éveiller à la vacuité de toutes nos causes d’attachement et de souffrances. C’est ce qui permet ici et maintenant la véritable libération. C’est ce qui fait que zazen est éveil. Vous avez sûrement entendu cela de nombreuses fois, l’important est de le pratiquer à chaque instant, de se le rappeler.