Ce n’est pas quelque chose

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Par Roland Yuno Rech à Saint Laurent du Verdon en 2017 (France)

Pendant une sesshin, nous nous retirons de l’agitation quotidienne et nous nous concentrons sur la pratique de zazen. Nous nous concentrons également sur toutes les autres activités en unité avec zazen de sorte que cela devienne une pratique continuelle, ce que l’on appelle le “gyoji“, la pratique qui englobe tout et ne s’arrête jamais.

Se concentrer ainsi permet de prendre conscience de tout ce qui nous anime. Au lieu d’agir nos pensées, nous les regardons. Zazen devient comme un vaste miroir où tous les contenus mentaux viennent se refléter, d’autant plus que l’esprit de discrimination qui juge, réprime, refoule, rejette ce qu’il n’aime pas, ce qu’il juge mauvais, tout en s’attachant à ce qu’il aime, ce qu’il trouve bon, cet esprit-là est suspendu. Ce mode de fonctionnement de l’esprit est comme mis entre parenthèses, alors l’enchaînement habituel de nos pensées s’interrompt. Comme on ne les agit pas, elles ne nous conditionnent plus ; comme on les regarde, on peut en voir la véritable nature.

Ces pensées, ces sensations, ces émotions sont bien de moi, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui pense dans ma tête, comme le croient des fois les malades mentaux, mais bien que tous ces produits mentaux, toutes ces pensées viennent de moi, je ne suis pas ces pensées. L’esprit vaste les englobe, les reflète, mais ne s’identifie pas à elles. Cela permet de devenir véritablement intime avec soi-même, tout en réalisant que soi n’est jamais le même, toujours changeant. Bien sûr nous avons nos habitudes, notre caractère, notre personnalité, ce que l’on appelle parfois le moi, mais ce n’est pas quelque chose de substantiel. Comprendre cela est déjà un éveil important : je ne suis pas quelque chose.

Un écrivain avait écrit : « L’enfer, c’est les autres », c’est les autres quand ils nous enferment dans leurs jugements, dans leurs opinions, ce qui se passe souvent dans les groupes d’ailleurs, les gens sont catalogués, quand on les voit arriver, on ne voit pas la personne elle-même, mais l’image qu’on s’en fait. Heureusement cette image est fausse, nous ne sommes pas une image, nous ne sommes pas quelque chose, rien de figé, rien de limité, rien qui puisse être défini. Zazen nous fait découvrir la nature infinie de notre existence, ce qui en fait parfois le mystère.

Quand l’empereur demandait à Bodhidharma : « Qui êtes-vous, là, en face de moi ? » Bodhidharma répondit : « Fu shiki », je ne sais pas.
Les gens qui prétendent se connaître eux-mêmes s’illusionnent. Bien sûr on peut repérer un certain nombre de nos caractéristiques, on peut voir l’enchaînement de notre karma, mais cela ne suffit à nous définir, car nous sommes indéfinissables, une sorte d’énergie qui va et se transforme sans cesse au contact de notre environnement, des autres, des rencontres, de la vie. Zazen nous fait prendre conscience de cela et surtout nous aide à nous harmoniser avec cela, c’est-à-dire à réaliser un esprit qui ne stagne sur rien, qui est toujours neuf et donc peut redevenir créatif, arrêter de répéter toujours les mêmes scénarios comme les machines.

Faire une sesshin, c’est arrêter de vivre machinalement comme la société a tendance à vouloir nous faire fonctionner, c’est tellement plus simple ! Les gens sont catalogués, mis dans des postes et on s’attend à ce qu’ils réagissent et fonctionnent toujours de la même manière. Mais la vie est toujours nouvelle, simplement parce qu’elle est totale interdépendance avec toutes les autres existences de l’univers et que dans l’univers, tout est mouvement, surtout dans le vivant et donc en nous-mêmes, tout est mouvement, c’est ce qui permet d’évoluer, de se transformer, de ne pas stagner sur ses illusions.

Si notre ego était quelque chose de fixe, de permanent, on ne pourrait jamais s’éveiller, se libérer mais heureusement, il n’en est pas ainsi, zazen nous le fait découvrir, il nous aide à retrouver une vie créative qui ne crée pas n’importe quoi, n’importe comment, mais qui exprime l’éveil à notre véritable nature car si nous ne sommes pas quelque chose, nous sommes la nature de Bouddha, une vie en unité avec tous les êtres.

La manière d’actualiser cela, c’est de ressentir notre solidarité avec les êtres vivants, les êtres sensibles et d’en faire la base de toutes les valeurs qui animent notre vie. S’éveiller est sagesse, exprimer l’éveil avec compassion, c’est ce que la sesshin nous permet de réaliser, d’actualiser.
C’est pourquoi Dogen disait : « Le Dharma de Bouddha, c’est apprendre à se connaître soi-même, mais se connaître soi-même c’est s’oublier soi-même et être éveillé par tous les êtres », vivre dans notre véritable unité avec tous les êtres.