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Par Roland Yuno Rech – Pégomas 2015 (France)
Lorsque nous pratiquons zazen nous pratiquons la même méditation que Shakyamuni. Le zazen est la méditation par laquelle il s’est éveillé à la réalité profonde de l’existence, pas seulement la sienne, mais de toutes les existences. Il en a compris l’impermanence et nous pouvons faire la même expérience que lui à chaque instant.
Dans la pratique de zazen d’un instant à l’autre le corps et l’esprit se transforment. Et si nous observons les phénomènes de notre vie, nous voyons bien qu’aucun ne demeure fixe, tout passe, pour le meilleur et pour le pire. Si nous observons profondément cette réalité de l’impermanence, nous apprenons à lâcher prise d’avec nos coagulations mentales. L’impermanence ne se traduit pas systématiquement par une perte. Elle permet aussi de nous libérer de nos conditionnements, de nous repentir de nos erreurs passées, de renouveler notre vie et de partir sur des nouvelles bases, sur la base du Dharma, de la réalité à laquelle nous nous sommes éveillés.
Lorsque nous voyons clairement que notre égo est sans substance, nous ne pouvons plus être égocentriques. Il n’y a même pas un gros effort à faire pour abandonner l’égo, juste en voir clairement l’illusion et renouveler régulièrement cette vision claire, ne pas l’oublier. Comme cette expérience est libératrice on éprouve une grande gratitude pour le Bouddha qui l’a transmise, ce qui nous fait prendre refuge en lui avec confiance. Nous le prenons comme notre maître originel. Nous étudions son enseignement comme l’expression de cet éveil. En suivant ses recommandations nous vérifions la validité de ses enseignements à travers notre propre expérience.
Pendant l’ordination de bodhisattva on prend refuge dans le Dharma. C’est l’enseignement de Bouddha qui va guider notre vie et notre pratique, et nous nous associons avec la communauté de ceux qui partagent la même confiance afin de nous entraider pour approfondir cet enseignement. Ainsi le Bouddha, le Dharma et la Sangha sont ce que l’on appelle les Trois Trésors, ce que nous avons rencontré de plus précieux dans notre vie. Lorsque nous faisons le vœu de prendre refuge dans le Bouddha, nous disons que nous faisons ce vœu avec tous les êtres sensibles. Ce n’est pas seulement une affaire personnelle, car nous faisons ce vœu pour pouvoir venir en aide à tous les êtres sensibles, partager avec eux l’expérience heureuse de cette réalisation.
On parle de réalisation car il ne s’agit pas seulement de comprendre avec le mental, avec l’esprit, mais avec le corps tout entier. Si on comprend la vérité mais que le corps ne suit pas, alors on éprouve une contradiction douloureuse et cela veut dire que l’on n’a pas vraiment compris. C’est pourquoi dès que l’on reçoit un enseignement il faut aussitôt le pratiquer avec le corps, avec tout son être, s’en imprégner dans sa manière de fonctionner. La sesshin est le meilleur moment pour cela.
Ce que nous réalisons avec tout notre corps c’est ce que l’on appelle « tai do », l’expression c’est « tai ge daido » : « tai » – le corps – « ge » – comprendre et « daido » – la Grande Voie. « Do » c’est à la fois la Voie en tant que chemin à suivre mais c’est aussi l’ultime réalité, le tao. Suivre la Voie en la pratiquant vraiment avec tout notre corps nous harmonise naturellement avec le tao, avec la Voie en tant que ultime réalité et éveil à cette réalité. C’est le fondement de l’enseignement de notre école, le Zen Soto, l’enseignement de Maître Dogen de la non-séparation entre pratique et réalisation.
Shusho ichinyo. Lorsque la pratique est juste, lorsque le corps est dans la posture juste et l’esprit fonctionne sur le mode de la conscience hishiryo, c’est-à-dire sans stagner sur quoi que ce soit, alors dans cet instant même la pratique est éveil. Car nous fonctionnons alors en harmonie avec l’ultime réalité, dans le total lâcher-prise d’avec toutes nos illusions. Mais évidemment comme toute chose, cet éveil immédiat est aussi impermanent. C’est pourquoi il faut pratiquer constamment, ce que l’on appelle « gyoji », jour après jour, instant après instant. Sinon nos mauvaises habitudes anciennes reprennent le dessus et on oublie l’éveil de zazen.
On parle souvent de pratique progressive et d’éveil immédiat en pensant qu’on pratique progressivement pour finalement réaliser l’éveil dans un instant particulier. Mais dans le Zen Soto c’est le contraire. Nous pratiquons l’éveil immédiat, mais ensuite nous continuons une pratique progressive d’harmonisation avec cet éveil, pour nous déconditionner de nos anciennes habitudes. Et là aussi la sesshin est le moment et le lieu le plus favorable.