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Par Roland Yuno Rech – Nice, 2017 (France)
Lorsqu’on entre dans le dojo, on met les mains en gasshô et on s’incline devant Bouddha. Mais la statue de Bouddha sur l’autel, c’est juste un rappel à ce qu’est en réalité notre vraie nature. Nous devons devenir des Bouddhas vivants. Comment devenir semblable à Bouddha ? Autrement dit comment devenir éveillé ? Il ne suffit pas simplement de se réveiller le matin en prenant un café, mais de s’éveiller véritablement à la vraie nature de notre existence. Une existence sans séparation d’avec tout l’univers. Combien de temps cela prend-il ?
Certains croient que pour s’éveiller il faut de longues années de pratique. Mais Kodo Sawaki faisait remarquer : « Combien de temps cela prend-il pour devenir un voleur ? » Un instant ! Quelqu’un a oublié quelque chose et hop, on le prend et on le met dans sa poche. En un instant on est devenu un voleur. En un instant de zazen, on peut devenir un Bouddha.
C’est juste l’instant où on lâche prise avec nos pensées. Non pas en les réprimant, en les supprimant, mais en cessant de s’y attacher. En revenant à la posture du corps, en se reconcentrant sur la respiration, on laisse passer toutes les pensées. Le fait de laisser passer abolit toute séparation. Car c’est cesser de s’attacher à quelque notion que ce soit, et réaliser un esprit vaste comme le ciel, qui laisse passer les nuages, inclut le soleil, les étoiles, accueille tous les éléments. Donc un esprit englobant.
Pour désigner l’esprit qui est Bouddha, on parle d’esprit vaste comme le ciel. Maître Nyojo, lui, aimait plutôt dire « esprit souple », yunan shin, un esprit qui ne s’attache à rien, qui ne demeure sur rien. Autrement dit un esprit qui s’harmonise avec la réalité, sans cesse changeante.
Mais en même temps, nous répétons chaque jour la même pratique. A chaque instant de zazen, nous répétons la même concentration sur le corps, la même attention à la respiration, et le même mouvement de l’esprit de lâcher-prise. Il y a quelque chose de constant dans notre pratique, au milieu du monde impermanent. Tout comme chaque printemps, les fleurs éclosent et les arbres déploient leurs feuilles. Le printemps ne dure pas, il fait place à l’été, mais il revient chaque année, comme nous revenons chaque matin au dojo. Cette constance au milieu de l’impermanence est une chose merveilleuse.
Si on ne voit que l’impermanence, on peut devenir nihiliste. Mais ne s’attacher à rien ne veut pas dire être nihiliste, mais au contraire être capable de pénétrer profondément la réalité de chaque instant avec un esprit neuf, et de vivre chaque jour avec un esprit créatif. Justement, parce que c’est un esprit qui ne stagne sur rien.
Nous répétons chaque jour la même pratique, et en même temps ce n’est jamais tout à fait la même. Nous nous réveillons chaque matin, dans le même corps, mais ce n’est plus tout à fait la même personne. Ce qui veut dire qu’on peut créer sa vie à nouveau chaque jour, même en répétant la même pratique. L’esprit reste toujours neuf, toujours frais. La répétition est ce qui permet d’approfondir la pratique. Toujours semblable, mais jamais identique.
La pratique constante est en même temps ce qui permet d’apprécier la nouveauté de chaque journée. Car dans la pratique constante, on abandonne l’esprit d’hier et d’avant-hier. Nous ouvrons une nouvelle page de la vie chaque jour. En devenant toujours parfaitement présent à l’instant, au jour qui vient.
Kodo Sawaki disait : « L’éternel présent, c’est devenir véritablement soi-même, devenir semblable à Bouddha ».