Par Roland Yuno Rech – La Gendronnière, 2008 (France)
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Pendant zazen, revenir régulièrement à la concentration sur votre posture ; le corps est toujours complètement ici, tel quel. Revenir régulièrement à votre respiration ; la respiration se déroule parfaitement. En ramenant constamment son esprit à la posture du corps et à la respiration, on évite de laisser le mental nous entraîner ailleurs.
Lorsque l’on reste concentré sur le corps et la respiration, aucune souillure ne peut intervenir dans notre pratique, c’est-à-dire aucune division, aucune séparation. Si on suit les complications du mental, alors la vie réelle de chaque instant nous échappe et on a forcément l’impression qu’il nous manque quelque chose, mais ce manque est provoqué par l’attachement à nos pensées. La seule chose à faire est de laisser tomber ses pensées, ne pas laisser l’esprit s’obscurcir lui-même et du coup obscurcir toutes nos relations.
Fu zenna, être sans souillure, c’est comme rencontrer une personne et ne pas considérer à quoi elle ressemble. C’est ce que dit Dogen, c’est-à-dire rencontrer la personne telle quelle est, au-delà de tout préjugé, de toute opinion, tout jugement de valeur, même les personnes que nous connaissons ou que nous croyons connaître très bien.
Lorsqu’on rencontre une personne que l’on croit connaître, on ne la rencontre pas telle qu’elle est dans l’instant, on la rencontre avec tous les souvenirs que nous avons engrangés dans l’esprit à son sujet. C’est la même chose pour la rencontre avec soi-même, lorsqu’on tourne son regard vers l’intérieur pour s’observer soi-même, si on se dit : moi, je suis une personne comme ci ou comme ça, on ne fait qu’entretenir l’illusion de l’ego, c’est-à-dire croire que la réalité de la vie, de soi-même, des autres et d’ici et maintenant, est conforme à l’idée qu’on s’en fait.
Mais la vie ici et maintenant est tout le temps complètement au-delà de toutes les idées que l’on peut s’en faire. Alors pratiquer zazen c’est abandonner toutes ses idées, y compris au sujet du zen, du bouddhisme, de l’éveil, du satori etc. Si on veut faire en sorte que notre pratique ressemble à une idée préconçue – l’idée que l’on se fait de ce qu’elle devrait être – notre pratique devient juste une imitation, une illusion, pas le véritable Eveil.
Dogen donne un autre exemple, il dit : « C’est comme ne pas souhaiter plus de couleurs ou de clarté lorsque l’on regarde des fleurs ou lorsque l’on regarde la lune. Lorsque l’on regarde la lune ou les fleurs, voyons simplement la lune et les fleurs telles qu’elles apparaissent. »
C’est le sens du geste de Bouddha faisant tourner la fleur entre ses doigts. Voir juste la fleur telle quelle, dans une totale attention à l’ici et maintenant, sans y introduire toutes sortes de pensées, en particulier, sans spéculer sur le sens du geste lui-même.
Lorsqu’un disciple demandait à Joshu quel est le sens ultime de l’éveil du Bouddha, il lui répondait : « Tu as mangé ta gen mai ? » – « Oui » – « Alors va laver ton bol. » Arrêtez de chercher midi à quatorze heures, arrêtez de croire que c’est ailleurs et plus tard que ça se passe, qu’il s’agit d’autre chose que ce qui est juste ici et maintenant. Zazen est seulement s’asseoir. Si vous pensez que ce ‘seulement’ dénote une insuffisance, qu’il faut ajouter quelque chose, alors vous n’avez rien compris.
Seulement s’asseoir, shikantaza, n’est pas limité à seulement la posture de zazen. Lorsque l’on fait sanpai, c’est seulement se prosterner, totalement. Cela ne renvoie pas à autre chose que d’être totalement prosterné. Lorsque l’on chante un sutra, on est seulement absorbé par le chant lui-même, on n’a même pas besoin de penser à la signification. Etre juste dans l’acte lui-même et oublier toute arrière-pensée, laisser tomber notre mental qui divise, qui sépare, c’est le sens de notre gyoji, notre pratique constante, dans chaque aspect de la vie quotidienne.