Par Roland Yuno Rech, La Gendronnière, août 2024
Kusen 1
Par la pratique, on cherche souvent la sagesse. Mais comme on dit en français : « Un sage triste est un triste sage ».
Lorsqu’on est triste, on cherche à se libérer de la tristesse, et si on est joyeux, on n’a pas besoin de rechercher autre chose. On peut se contenter d’être simplement tel que l’on est, ainsi. C’est ce qui se passe dans la pratique de zazen, à condition bien-sûr, de ne pas être à la recherche de l’obtention d’un résultat, mais d’être simplement assis, en unité corps et esprit. On se contente d’être simplement assis, c’est-à-dire tel que l’on est, simplement ici et maintenant. Il n’y a rien à ajouter ni à retirer.
Ce que beaucoup de gens recherchent dans la pratique de la Voie nous est déjà donné dès le début. Mais souvent à cause de l’esprit compliqué, on ne le voit pas, on ne le réalise pas. Alors, on se met à poursuivre toutes sortes d’objets, on n’est jamais satisfait. Comme quelqu’un d’assoiffé qui recherche de l’eau et qui s’aperçoit brusquement qu’il est en fait au milieu de l’eau, et que l’eau n’a donc jamais manqué.
Alors lorsqu’on réalise ça, c’est une grande joie. C’est la source d’une grande paix de l’esprit. Malgré tous les accidents de l’existence, au fond demeure une paix profonde.
Dans la vie, on éprouve souvent de la joie lorsqu’on a enfin obtenu ce que l’on désirait, alors que la joie de zazen c’est la joie d’être libéré de toute attente. Si notre joie dépend de ce que l’on a obtenu, cela s’accompagne forcément de l’inquiétude de le perdre. On se dit : « Pourvu que ça dure ». Mais on se doute que cela ne durera pas.
Mais si notre joie provient de la libération de tout esprit d’obtention, alors cette joie est au-delà du gain et de la perte. Et même une perte devient un gain, c’est-à-dire l’occasion de lâcher prise.
Kusen 2
Maître Ryōkan vivait très pauvrement dans son ermitage, il termina un poème en disant :
« Chers amis, j’ai un petit conseil à vous donner. Pour être véritablement heureux, nous n’avons pas besoin de beaucoup de choses ».
C’est ce que l’on peut réaliser en zazen, particulièrement durant les sesshin.
Souvent dans la vie quotidienne, on s’agite et on s’active pour atteindre toutes sortes de choses. Mais au fond, de quoi avons-nous réellement besoin ? Avoir l’esprit en paix, arrêter tout combat aussi bien à l’intérieur de notre esprit qu’avec notre environnement. Abandonner les poisons de l’avidité qui entraînent la haine de tout ce qui nous empêche d’obtenir ce que l’on veut obtenir.
Toute avidité provient d’un sentiment de manque, que l’on croit pouvoir compenser en possédant beaucoup de choses. Alors que le manque dont on souffre le plus, c’est de ne pas être, en réalité, en harmonie avec l’Ordre Cosmique, avec le Dharma, en unité avec tout l’Univers.
Dans cette unité, rien ne manque, ni n’est en trop. Ce que nous croyons posséder, en réalité, ne nous appartient pas vraiment. C’est seulement quelque chose qui nous est prêté par l’Ordre Cosmique, pour un temps limité.
Donc, la perte n’est pas une catastrophe, elle fait partie de la vie. Au point que maître Kōdō Sawaki disait :
« Suivre la Voie de Bouddha, c’est apprendre à perdre, pas à obtenir. »
Car ce que l’on vit comme une perte pour notre ego peut se transformer instantanément en lâcher-prise. En occasion de lâcher-prise, c’est-à-dire en occasion de libération.
Un jour, ma grand-mère avait laissé tomber un vase précieux. Au lieu de se lamenter, elle a dit immédiatement : « Bon, je n’en avais pas vraiment besoin ». Lâcher-prise, ce n’est pas seulement de la résignation, c’est la Grande Libération de retrouver un esprit souple et harmonieux.
Se lamenter n’a jamais aidé à résoudre aucun problème. Souvent les gens se plaignent de leur vie. Il leur manque toujours quelque chose pour être heureux. Mais si on réalise la chance inouïe que l’on a d’être né sous forme humaine, et en plus d’avoir rencontré la voie de Bouddha, alors on n’a plus besoin de se plaindre de quoi que ce soit, car cette joie l’emporte sur tout le reste.
En effet, suivre la voie de Bouddha signifie avoir la capacité de transformer toutes les circonstances, apparemment bonnes ou mauvaises, en occasion d’Éveil. Alors il n’y a plus de mauvais jour, ni de mauvais lieu, pour qui est animé par cet esprit d’Éveil.
Alors, exprimer la joie de vivre, c’est le meilleur stimulant pour aider chacun à retrouver cette joie, et l’énergie créatrice qui va avec. C’est ce que nous faisons chaque fois que nous pratiquons zazen dans un dojo.