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Par Roland Yuno Rech, Sesshin des Pyrénées en novembre 2013 (France)
Pendant zazen ne perdez pas votre temps précieux à suivre vos pensées. Mieux vaut se concentrer sur la respiration. Les pensées nous distraient de la réalité présente, l’attention à la respiration nous y ramène. Donc, contentez-vous d’observer votre respiration. Quand vous inspirez, soyez pleinement conscient de l’inspiration, c’est à dire corps-esprit en totale unité avec le mouvement de l’inspiration. Lorsque vient l’expiration, expirez complètement, corps-esprit en unité avec cette expiration. Si pendant l’expiration une pensée surgit, une émotion, un désir, un phénomène mental, on en prend conscience un instant et on laisse passer dans l’expiration. L’expiration aide au lâcher prise.
On a reçu de l’air pour respirer, pour s’oxygéner et ce qu’on a reçu on le redonne, on ne le garde pas, on ne s’y attache pas, on expire, on se vide complètement de son air sans rien garder. Souvent, on n’ose pas expirer à fond, on est comme quelqu’un qui ne sait pas nager et garde de l’air dans les poumons comme une bouée. En faisant cela, quand on est stressé (parce que la peur arrive), on retient son souffle, on n’a pas confiance de pouvoir traverser les difficultés. Si on ne peut pas abandonner l’air qu’on a inspiré, le rejeter, alors on ne peut pas pleinement renouveler l’oxygène de son corps à travers la prochaine inspiration et on s’intoxique. Si on est attentif à ce moment de la respiration on prend part activement à ce qui est : recevoir et donner.
Nous n’existons qu’à travers ce que nous avons reçu : ce corps reçu de nos parents, et cette vie s’est développée grâce à leur amour et aussi à travers tout ce que l’on a reçu, de notre environnement et finalement de l’univers entier. Donc on réalise que notre vie est interdépendante de cet univers, comme une vague à la surface de l’océan, qui à aucun moment on ne peut s’en séparer. Notre vie est entièrement interdépendante de notre environnement proche et éloigné.
Observer cela à travers la respiration du corps et de l’esprit tout entier, c’est réaliser l’éveil comme le Bouddha Shakyamuni qui s’est exclamé au matin de son satori : « J’ai réalisé l’éveil avec tous les êtres de l’univers ». Il avait réalisé la vie au-delà de son petit ego et en unité avec tous les êtres de l’univers. Or, cet éveil, il l’avait reçu, il avait reçu le Dharma, l’enseignement, de tout l’univers. Il a décidé de le redonner en faisant le vœu de le transmettre à son tour.
Cette expérience, ne vivre qu’en relation d’interdépendance avec tout l’univers, nous fait comprendre pourquoi notre ego n’est qu’une construction qui n’existe pas réellement, une idée que l’on se fait soi-même, selon un certain nombre de caractéristiques auxquelles nous nous sommes identifiées et qui n’ont aucune substance réelle, autonome. Aussi bien notre corps que notre esprit sont constamment changeants, sans substance fixe.
Ces deux caractéristiques sont les deux Sceaux du Dharma : l’impermanence et la vacuité de substance fixe. Ce sont les deux aspects fondamentaux de la réalité, non seulement dans laquelle nous vivons, mais qui nous constitue. Si on ne réalise pas cela, notre vie devient dukkha, souffrance, le troisième Sceau du Dharma. Si on le réalise et vit en harmonie avec cette réalité, notre vie connait la paix et la joie du nirvana, le quatrième Sceau du Dharma. Mais en général on s’est identifié à son petit ego qui est devenu une construction illusoire. Si on ne voit pas qu’on n’est pas le centre du monde, alors on ne peut pas voir la réalité. On reste dans l’illusion et le Dharma nous est étranger. Mais ce n’est pas qu’on ne puisse pas le réaliser, car il concerne la réalité qui nous est la plus intime. Cette nature d’éveil, c’est la nature de Bouddha. Si on ne veut pas la voir (car il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir), c’est parce qu’on a peur, on ne la comprend pas, parce qu’elle dérange nos préjugés égocentriques.
Etre en zazen permet d’apprivoiser cette réalité, de devenir intime avec elle, de s’apercevoir que non seulement elle est véritable mais aussi libératrice : la réalité telle qu’elle est. L’apprivoiser consiste à s’harmoniser avec l’impermanence en réalisant l’esprit qui ne stagne sur rien et qui est pleinement conscient des phénomènes qui apparaissent et disparaissent d’instant en instant, et qui est tout à fait intime avec les Sceaux du Dharma. Et c’est ce qui permet de lâcher prise de nos illusions et de nous harmoniser avec la réalité de notre interdépendance avec tous les êtres de l’univers.
Faire une sesshin veut dire être en contact intime avec l’esprit, shin, avec les Sceaux du Dharma, avec notre corps et toutes les existences. Et finalement, au lieu de la redouter, on doit se plier à cette prise de conscience et se libérer de ses illusions, non pas seulement avec la compréhension intellectuelle, par exemple en étant d’accord avec mon kusen, mais en l’intégrant profondément dans notre manière de fonctionner, d’être dans la vie.
C’est pour cela que la sesshin est aussi un terrain d’entraînement idéal. En suivant le gyoji au rythme de la pratique collective, on est obligé d’abandonner ses préférences personnelles pour ne plus être dirigés par notre ego mais par le Dharma, même si parfois, il renâcle, résiste. Finalement quand il lâche prise, c’est une grande libération. Si on en fait l’expérience, on a envie de continuer à vivre ainsi et que cela soit la base de notre manière d’être.
Comme cela est libérateur, quand on l’a réalisé, on a aussi envie de le partager avec les autres. N’étant plus égocentré, l’esprit de compassion peut apparaître et se développer. Alors le sens de notre vie est de partager la Voie, le Dharma, avec tous les êtres, et c’est ce qui nous fait prononcer le grand vœu de compassion : aider tous les êtres à s’éveiller. Et toutes les autres pratiques ne sont là que pour mieux nous aider à le réaliser. C’est le grand vœu de tous les bouddhas et les bodhisattvas, de tous les êtres qui ont réalisé l’éveil.