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Par Roland Yuno Rech à Nice en mars 2012 (France)
Pendant zazen, ne suivez pas vos pensées. La conclusion du Shobogenzo Zazengi de Maître Dogen reprend à peu près terme pour terme son enseignement dans le Fukanzazengi au sujet de la manière de penser en zazen. Il nous dit :
« Assis en zazen, silencieusement et immobiles, pensez à ne pas penser. Qu’est-ce que penser à ne pas penser ? Sans penser. Ceci est en soi-même l’art essentiel de zen. Zazen n’est pas l’apprentissage du zen, c’est la porte du dharma, du grand repos et de la félicité. La pratique-réalisation sans souillure. »
Comme ces deux ou trois phrases résument vraiment l’essentiel de la pratique, elles méritent d’être profondément méditées ; et en même temps, il faut les comprendre simplement, sans se compliquer l’esprit à leur sujet, sans que ça donne trop à penser.
« Assis en zazen silencieusement » : il est évident qu’en zazen on ne parle pas, à part l’enseignant parfois. Mais « silencieusement » veut dire aussi : arrêtant tous les bruits intérieurement, toutes les discussions que l’on poursuit souvent avec soi-même.
« Immobile » : bien sûr le corps ne bouge pas, encore que, imperceptiblement, l’on rectifie sa posture, au début volontairement et consciemment, puis, avec l’habitude, inconsciemment et naturellement. Mais immobile veut dire aussi cessant de poursuivre quoi que ce soit. Ce n’est pas seulement la posture du corps qui est verticale, et immobile, l’attitude de l’esprit aussi est verticale. C’est-à-dire totalement concentrée ici et maintenant. Rien n’adhère à cette verticalité de l’esprit, tout glisse, comme sur un mur parfaitement lisse. Rien ne nous entraîne en arrière ou en avant, dans le passé, dans le futur, dans l’ailleurs.
On est parfaitement ici et maintenant grâce au fait de « penser à ne pas penser », c’est-à-dire de se rappeler de ne pas suivre ses pensées. Les pensées apparaissent, ont une tendance naturelle à se développer, à s’associer les unes aux autres, dans un déroulement infini, par associations. En zazen on peut laisser ces associations se dérouler. C’est le fonctionnement naturel de l’esprit, qui reflète le fonctionnement naturel du cerveau, qui dès le réveil, et même la nuit, tant qu’on est vivant, entretient ses connexions neuronales en mettant constamment à jour ses circuits. Donc un cerveau vivant ce n’est pas l’électroencéphalogramme plat, la totale inactivité, mais ce sont des échanges, des interactions permanentes. Mais ces échanges, ces interactions se déroulent indépendamment de notre volonté, de notre conscience, de notre volonté de réfléchir, de résoudre des problèmes, etc.
En zazen on peut laisser faire ces connexions naturelles ; car vouloir les arrêter est extrêmement difficile et contre-productif ; on va contre le courant naturel de la vie. Quand bien même on arriverait à certains moments de totale inactivité cérébrale et de totale non-pensée, cela représenterait une expérience tout à fait extraordinaire, éphémère, et l’activité normale du cerveau et de l’esprit reprendraient de toute façon peu après.
Comment « penser à ne pas penser » ? Simplement sans y penser, sans utiliser la pensée volontaire, consciente et en se rappelant de ne pas suivre les pensées, donc de pratiquer le lâcher prise d’instant en instant en revenant à la verticalité du dos et à l’attention à la respiration.
Ainsi zazen n’est pas l’apprentissage du zen en tant que philosophie, religion. C’est simplement, et beaucoup plus essentiellement, l’expérience immédiate de la « pratique-réalisation sans souillure ». C’est à dire sans les souillures du mental dualiste, qui discrimine et s’attache aux objets de pensée, qui crée les dualités moi, les autres, ma pratique, mon éveil futur, etc.
Expérimenter cette pratique-réalisation suppose une grande foi, une grande confiance dans le fait qu’il n’y a besoin de rien ajouter à notre existence telle qu’elle est, que tout est déjà là, qu’il suffit juste de laisser tomber ce qui obstrue notre vision claire de la réalité.
Alors s’ouvre toute grande « la porte du Dharma, du grand repos, et de la félicité », c’est-à-dire du nirvana, de l’extinction de toutes les causes de turbulences et de souffrance. Ce n’est pas seulement extinction, « grand repos », qui après tout semblerait équivaloir à la mort, le nirvana comme extinction, mais Dogen parle de « félicité ». Il y a une grande joie, un grand bonheur à cette réalisation. Un véritable amour de la vie, de la vie éveillée, de la vie de bouddha, de la vie en relation avec tous les êtres, qui est source de joie, pas seulement extinction dans la vacuité.
C’est une joie qui est porteuse d’activité, qui porte à partager avec les autres ce qui est source de joie et les aider à remédier à ce qui est cause de souffrances.
Tel est le sens de la pratique transmise depuis Bouddha, clarifiée à nouveau par maître Dogen puis à sa suite Maître Deshimaru et actualisée par chacun d’entre nous à chaque fois que l’on réalise cette pratique-réalisation, cette pratique juste.