Peur et non-peur

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Mondo avec Roland Yuno Rech

Question : Qu’est-ce que la peur ?

Réponse : La peur est une émotion, un trouble. C’est très curieux, la première fois que j’ai entendu Maître Deshimaru parler en public, à une conférence, c’était pour dire : “Vous devez avoir peur, peur de l’ordre cosmique”, c’était son discours. Et puis, quasiment la dernière fois que je l’ai entendu parler, il a dit : “vous ne devez pas avoir peur”. La peur n’a pas une valeur en soi et il y a toutes sortes de peurs, il y a la peur positive et la peur négative. Par exemple, la peur c’est très important pour protéger la vie, la vie des autres. Si on n’avait pas la peur, on deviendrait téméraire et on serait constamment en péril. Par exemple, les enfants, il faut qu’ils fassent l’expérience du feu, après ils ont peur du feu et heureusement. Il y a toutes sortes de peurs qui sont très positives, par exemple, on peut avoir peur de la pollution, des mines antipersonnel dont tu t’occupes, c’est important. Ce sont des petits exemples, on peut en trouver des centaines. Tout le karma humain qui crée de la souffrance, on doit en avoir peur, c’est très dangereux.

La peur est aussi une source d’éveil. On peut aussi avoir peur de gaspiller son temps et sa vie, avoir peur de la mort d’une certaine manière, de l’impermanence. C’est le point de départ de la voie de Bouddha. La peur, contrairement à ce qu’on pense en général, peut être un instrument extrêmement positif et même la source de l’éveil. C’est un stimulant. Quand on a peur, on court très vite pour éviter le danger : la preuve que c’est très stimulant.

Il y a aussi des peurs paralysantes, c’est l’inverse, on est comme fasciné par le danger et on ne peut plus bouger. On n’a plus l’esprit clair, on est complètement troublé. Aussi quand on critique la peur, c’est quand il y a attachement, c’est l’ego qui a peur. On est attaché, par exemple, à ses possessions et que l’on a peur de les perdre. On est attaché à la vie et on a peur de la mort et cela peut empoisonner notre existence. Autrement dit, il y a la peur qui est liée à l’avidité, à l’attachement de notre ego. C’est souvent une peur très négative qui cause des souffrances terribles. Mais la peur du danger pour les autres, pour l’avenir de l’humanité est une peur positive. Il ne faut pas se dire : “Ah! La peur ce n’est pas bien”. A chaque instant, quand on a une émotion, il faut se demander quelle est la nature de cette peur, il y a trente-six sortes de peurs. Est-ce une peur qui me montre un danger réel important contre lequel il faut lutter ou est-ce une peur égoïste où il y a mes petits attachements, auquel cas, il faut laisser tomber. Par exemple, quelqu’un qui a peur d’être trompé par sa compagne, qui vit dans la jalousie constante, il va l’isoler, lui empoisonner l’existence, cela aboutira même à une rupture, c’est vraiment stupide. Ou la peur de tomber dans la pauvreté, alors on veut constamment amasser de l’argent, on devient avare, on se prive d’être généreux et on ne veut pas aider les gens qui n’ont pas d’argent. Cela augmente l’inégalité sociale. Cette peur est négative.

Question : En même temps, il y a le terme de la non-peur.

Réponse: C’est justement le thème pour faire un symposium sur la Non-peur que Maître Deshimaru nous avait proposé avant de mourir. La non-peur n’est pas séparée de la peur. Il y a à la fois la peur positive, qui elle, donne le sens de la responsabilité. C’est ce que Maître Deshimaru appelait dans sa première conférence la peur de l’ordre cosmique, c’est-à-dire être conscient que toutes nos actions ont des effets, qu’on est responsable. On peut appeler cela d’une certaine manière, la peur de se tromper, qui maintient en éveil. Et puis, il y a aussi la non-peur qui n’est pas le contraire, qui est dans un autre registre, la non-peur qui est liée au détachement par rapport à notre égoïsme, qui est véritablement une libération.

Je crois qu’il ne faut pas vouloir rejeter toutes les sortes de peurs. Finalement, comme on ne contrôle pas cela, tu ne contrôles pas cela, on peut juste prendre conscience de: “qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qui arrive, là?” Il faut en tenir compte ou laisser passer, suivant l’objet de cette peur. Par exemple, à travers l’expérience que l’on a eue dans sa vie, on s’est rendu compte de certaines erreurs. Il y a des gens qui ont sombré dans l’alcoolisme, dans la drogue et qui se sont rendu compte des dégâts que cela a provoqués pour eux et qui ont réussi à s’en sortir. Pour ces personnes, avoir peur de replonger dedans est important, c’est une protection. Vous pouvez continuer à y réfléchir vous-mêmes, il y a toutes sortes d’exemples.
Cette question me fait penser que généralement les êtres humains veulent que tout soit d’un côté, ou tout de l’autre. On voudrait détenir une vérité passe-partout alors qu’en fin de compte, la vie est beaucoup plus complexe que cela. Vivre seulement dans la peur ou bien s’attacher à la non-peur n’est pas la conduite juste.