La joie dans la pratique du Dharma

Question 8 : « Tu parles souvent de se poser la question : « Qu’est-ce qui se passe ? » au niveau des émotions ou autres choses qui se passent en nous. Je pense qu’une autre question qu’on doit se poser (mais je ne sais pas si on en parle beaucoup), c’est : « Qu’est-ce que je peux faire ? »

En fait, en zazen, quand on a réalisé quelque chose et qu’on a lâché prise en se disant : « Bon, c’est comme ça », cela décrispe, on est moins crispé sur ce qui nous énerve et donc on se détend. Mais à ce moment-là, si on se demande : « Qu’est-ce que je peux faire ? », c’est souvent vraiment une source d’inspiration positive vers les autres ».

Roland Rech : « Oui : méditation et action, c’est très important. Souvent, on a l’impression que la méditation nous rend passif. On médite, on réfléchit, on comprend beaucoup de choses, mais qu’est-ce qu’on fait de ce qu’on a compris ? Le zen en particulier est une voie de l’action dans la vie quotidienne. Toutes les actions de notre vie quotidienne peuvent devenir des formes de pratique de la Voie.

C’est la raison pour laquelle par exemple après zazen, on fait samu, ce qui est une action. Samu, ça veut dire quoi ? Ça veut dire travailler, s’engager physiquement pour rendre service à la communauté. Donc c’est une action.

Parfois on s’est demandé si on ne devrait pas, en tant que dojo zen, s’engager dans des actions sociales relativement visibles : offrir la gen mai aux gens qui n’ont pas à manger ou s’engager à nettoyer certains endroits particulièrement sales et faire un samu de nettoyage. Mais finalement, on est toujours revenu au fait que « C’est bien », mais qu’il vaut mieux le faire à titre individuel et pas en tant que « Nous sommes le dojo zen » et puis on hisse la bannière zen, pour dire : « Voilà, on fait du bien autour de nous » (sourire).

Question 9 : « Ce matin, juste avant de commencer cet atelier, on a fait un kito suite à la catastrophe naturelle qui s’est passée dans l’arrière-pays niçois. On avait annoncé ce kito sur notre page Facebook. Dans son commentaire, un utilisateur demande : « Il faudra m’expliquer, comment un Bouddhisme « agnostique » gère cette contradiction philosophique évidente de faire un kito, qui est quand même une chose un peu surnaturelle. Ceci dit, je trouve ce geste particulièrement bienvenu et solidaire ».

Roland Rech : « J’étais comme lui avant, je voyais les kito un peu comme de la magie et je n’y croyais pas trop. Jusqu’au moment où, étant devenu enseignant, on m’a demandé de faire un kito pour des personnes qui avaient eu un accident de voiture en Argentine et qui étaient tombées dans le coma.

Et donc, bien que je n’y croie pas, par compassion pour les gens qui faisaient cette demande, les survivants de l’accident, j’ai fait le kito. Et le lendemain, les personnes qui avaient demandé ce kito m’ont dit que les blessés étaient sortis du coma quelques minutes après la fin du kito, compte tenu du décalage horaire. Cela m’a sidéré et je me suis dit : « Il y a là vraiment quelque chose qui se passe, et cela vaut la peine de le faire … »

C’était en contradiction avec ms croyances précédentes. Je crois fondamentalement à la valeur de l’expérience … Je suis quelqu’un plutôt comme le Bouddha, c’est-à-dire rationnel, car Bouddha est très rationnel : il y a de la souffrance, des raisons à la souffrance et donc on peut trouver des remèdes. C’est rationnel comme démarche et c’est thérapeutique … Je n’étais pas du tout porté à croire des phénomènes qui paraissent irrationnels, mais je me dis finalement que ce n’est pas si irrationnel que cela.

Nous vivons dans un certain monde, à un certain niveau, mais il y a d’autres niveaux (que l’on appelle dans le Bouddhisme « le monde invisible ») et dans ce monde invisible, il se passe des choses de l’ordre de l’interdépendance qui ne sont pas perceptibles par nos sens habituels, mais qui fonctionnent. Je crois maintenant à cela et j’imagine même que dans quelques années (ou plus), on trouvera l’explication scientifique de l’existence de ces mondes « parallèles ».

D’ailleurs, il y a déjà des théories qui se développent actuellement, comme la « théorie des cordes », etc. qui montrent qu’il y a des mondes parallèles et que donc il se passe des choses sûrement à ce niveau-là. C’est un niveau qui est au-delà de nos perceptions habituelles. D’ailleurs, nos organes des sens sont extrêmement limités. Il y a des choses que nous ne percevons pas, mais qui existent et que certains instruments permettent de mesurer (au niveau vibratoire, ondulatoire, etc.) Mais nous, nous ne les sentons pas …

Donc, je crois qu’il ne faut pas être borné, se mettre des œillères et dire : « Ce que je ne sens pas n’existe pas ». Je ne comprends pas comment cela fonctionne, mais dès l’instant où cela se produit, il y a forcément une cause qui m’est inconnue. Et j’accepte le fait que cela s’est passé.

Et donc, si j’utilise le kito comme moyen d’aide, tout en ne comprenant pas vraiment ce qui s’y passe, c’est du domaine de la Foi. La Foi, c’est croire parce que je ne comprends pas. Si je comprends, ce n’est pas du domaine de la Foi ».

Question 10 : « La pratique du zen est-elle compatible avec la foi chrétienne ? »

Roland Rech : « Oui, bien sûr. Cette question est archi-classique et j’y ai répondu des centaines de fois (sourire). C’est compatible pour beaucoup de raisons, dont la principale est que le Christianisme est la religion de l’amour universel (car l’amour du Christ est universel) et que nous-mêmes, nous souhaitons vivre dans cet état d’amour, de compassion.

Dans le Bouddhisme, on parle de « compassion » et dans le Christianisme « d’amour », mais au fond, c’est la même chose. La compassion, c’est l’amour altruiste. Il y a d’ailleurs beaucoup de religieux chrétiens qui pratiquent zazen : certains ont écrit des livres, ont témoigné de cela. Le premier est Jean-Baptiste de La Salle, un père jésuite. Il a écrit « Méditation zen et prière chrétienne ». Il était jésuite, mais aussi maître zen et il a créé un dojo dans le Sud de la France. Il pratiquait et enseignait le zazen, et il y a même un Père Benoit à Paris qui disait la Messe en posture de zazen.

Donc il n’est plus à démontrer qu’il y a une compatibilité complète entre la pratique du zen et le Christianisme. Il a peut-être certaines formes du Bouddhisme qui sont plus difficilement compatibles, mais je ne connais pas les détails des diverses croyances. Mais le zen n’est pas basé sur des croyances et donc ne peut pas être en contradiction avec d’autres croyances, c’est ça le principe.

Le zen est vraiment une pratique et une expérience, qui est universelle, qui ne dépend pas de la culture, du savoir, des convictions, mais qui dépend juste de l’expérience que l’on peut faire quand on s’assied face à un mur, qu’on tourne son regard vers l’intérieur et qu’on découvre des choses qui se passent. On ne peut pas ne pas les accepter, puisqu’elles se passent … C’est l’expérience, voilà.

Bon weekend et bonne continuation pour votre pratique et soyez joyeux ! »