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Par Roland Yuno Rech à Gyobutsuji en 2021 (France)
Maître Hyakujō disait : « Par quel moyen entrer dans la voie du zen ? C’est par la pratique de la paramita du don. » Et pourquoi cette paramita du don ? Parce que la paramita du don est ce qui nous permet véritablement d’actualiser notre totale interdépendance avec tous les êtres. Au fond, nous ne possédons rien. Même notre propre corps ne nous appartient pas et nous devrons un jour l’abandonner. Toutes nos possessions également, nous devrons les abandonner. Par contre, si nous réalisons que rien ne nous appartient, c’est d’abord un grand éveil, car cela a le mérite de supprimer toutes nos angoisses, nos craintes liées à l’avidité, à l’idée de perdre, de ne pas avoir suffisamment, et cela est une source de joie. Et cette joie de la libération est telle que, finalement, le fait de donner devient quelque chose de naturel, devient l’expression même de cette joie, de ce bonheur de l’éveil de zazen.
Dans le zen, contrairement à ce qui peut être le cas dans certaines religions, le don n’est pas vécu comme un sacrifice, comme quelque chose à laquelle on renonce, mais comme quelque chose de joyeux venant de notre éveil à la véritable nature de l’existence, et non seulement la nôtre, mais celle de toutes les existences. C’est la raison pour laquelle le don figure toujours en premier.
Bien sûr, je parlerai ensuite des différents aspects du don … Comme vous le savez, dans l’enseignement de Bouddha, il y a les Quatre Nobles Vérités. C’est le premier enseignement. Je vais les évoquer rapidement parce qu’on y reviendra plus en détail dans d’autres teisho. Dans les Quatre Nobles Vérités, il y a la prise de conscience de la souffrance, les causes de la souffrance, le fait qu’il y a des remèdes à la souffrance, et ensuite l’Octuple Sentier, dans lequel les différents remèdes à la souffrance sont énumérés comme des formes de pratique.
Tout cela montre que tout l’enseignement est basé sur le fait qu’à partir de son Éveil, le Bouddha a voulu donner à tous les êtres les moyens de prendre conscience de la souffrance (non seulement de la leur, mais aussi de celle de tous les êtres vivants) et en même temps qu’il y a des causes à ces souffrances et par conséquent des remèdes, et il les a énumérés. Le point de départ de tout l’enseignement de Bouddha est un grand cadeau, un grand fuse, un don fondamental, parce qu’il aide tous les êtres à prendre conscience qu’il y a des causes et donc des remèdes à la souffrance. Et parmi ces remèdes, le don joue un rôle important.
Les remèdes enseignés par le Bouddha sont les huit pratiques appelées Octuple Sentier, et aussi les six paramita. J’ai déjà énuméré ces paramita et notamment le don et les préceptes (dont on parlera une autre fois). Les préceptes sont aussi une forme de don. Tout ce que l’on fait en respectant les préceptes est une manière d’éviter de créer de la souffrance. Le premier précepte, c’est “ne pas tuer”. Vient ensuite “ne pas voler”, car c’est aussi ne pas créer de la souffrance. Non seulement on ne vole pas, mais on pratique le don dans le sens de “s’abstenir de prendre ce qui ne nous appartient pas”. Or, comme rien ne nous appartient fondamentalement, on ne peut que donner.
D’autres pratiques de bodhisattva sont ce que Maître Dogen appelait le Shishobo, ou les Quatre Pratiques. Et encore une fois dans ces pratiques, le fuse, le don vient en premier. Ensuite, vient aigo, c’est-à-dire les paroles d’amour, car la parole est une occasion de donner. Aigo, les paroles d’amour, c’est donner du réconfort, donner de la reconnaissance. La façon dont on parle aux autres peut se transformer en pratique du don et en même temps en une pratique d’écoute : le temps que l’on prend et que l’on donne pour écouter les autres est une pratique fondamentale du don. Les gens ont besoin d’être entendus plus que de recevoir des conseils ou des recommandations. Là aussi, on voit que c’est une forme de pratique du don.
Il y a aussi tout l’aspect de la pratique du don que l’on appelle rigyo, c’est-à-dire « rendre service ». Et là, on peut s’apercevoir qu’il y a une et mille manières de rendre service. Par exemple, le service fondamental est le fait de faire samu, ce que vous pratiquez dans le dojo. Mais tout le travail que l’on fait dans la société peut être aussi une forme de don, c’est-à-dire le service que nous rendons à la communauté dans laquelle nous vivons de manière à ce qu’elle fonctionne dans de bonnes conditions. C’est la manière aussi d’utiliser notre énergie de manière généreuse : on ne travaille pas seulement pour s’enrichir ou pour subvenir à ses besoins, mais on travaille aussi pour rendre service à la communauté dans laquelle nous vivons. Cela est une autre forme de don.
Cela veut dire que le don est à la fois l’expression de l’éveil, mais aussi l’occasion de le réaliser. Il y a toujours ces deux aspects dans la pratique du don, et notamment dans le don de notre temps et de notre énergie que nous consacrons à la pratique dans un dojo, que ce soit le zazen, le samu, et même les rituels. Les rituels dans un dojo sont toujours dédiés, comme nous l’avons fait par exemple ce matin, au bien des êtres à qui on dédie cette cérémonie. Toutes les pratiques dans un dojo sont des formes de pratique du don. Mais en même temps, ces pratiques deviennent aussi l’occasion de recevoir nous-mêmes les bienfaits de notre pratique. Il y a toujours une attitude de partage dans la pratique du don, ce qui fait que notre pratique est une pratique heureuse. Souvent dans les religions, il y a une notion de sacrifice. Dans le zen, il n’y a aucune notion de sacrifice, mais au contraire de partage joyeux avec tous les êtres.