Le don

Question 3 : Tu as parlé de trois Véhicules, or je n’en connais que deux.

RYR : Le troisième est le bouddhisme tantrique.

Q.3 : Je pensais que cela faisait partie du Mahayana.

RYR : Oui, il en fait partie, mais il se considère lui-même comme un troisième Véhicule. Pour clarifier cela, ce qu’on appelle Hinayana (je n’emploie jamais ce terme) ou Theravada, c’est l’enseignement initial, qui est basé fondamentalement sur les Quatre Nobles Vérités. Bien sûr, les gens qui pratiquent le Grand Véhicule suivent également ces Quatre Nobles Vérités, mais ils se concentrent surtout sur les paramita. L’aspect généreux est beaucoup plus accentué dans ce que l’on appelle le Grand Véhicule. Et justement, il s’appelle « Grand » parce qu’il embrasse tous les êtres, il se veut comme tel. Mais moi, je ne suis pas tellement d’accord avec cela, parce que dans le Theravada, on pratique aussi la générosité. Les gens de ce Véhicule-là dans leurs actions sont beaucoup plus Grand Véhicule que les pratiquants du soi-disant « Grand » Véhicule, qui eux ont des fois des attitudes plus égoïstes que les gens du Theravada !

Question 4 : Comment peut-on pratiquer le don et la bienveillance au travail quand on a un chef qui nous harcèle ?

RYR : Il faut lutter contre le harcèlement par tous les moyens possibles. Mais en premier lieu, il faut essayer de faire comprendre à la personne qui harcèle que c’est une sorte de souffrance pour elle-même. Les gens qui commettent le mal (car harceler est une forme de pratique du mal), créent de la souffrance autour d’eux, mais finalement aussi pour eux-mêmes. Sans en être véritablement conscients, au fond d’eux-mêmes, il se font du mal. Celui qui harcèle les autres fait finalement quelque chose de mauvais pour lui. Quand quelqu’un commet des actions néfastes, la première chose est d’essayer de l’arrêter par tous les moyens possibles, de l’empêcher de continuer. Mais la meilleure manière de l’empêcher de continuer est de le convertir, en lui faisant comprendre que le harcèlement et la souffrance qu’il provoque chez les autres est aussi une mauvaise chose pour lui-même.

Question 5 : Pourquoi dit-on que le donateur, ce qu’on donne et la personne qui reçoit font qu’un ? Comment peut-on comprendre cet enseignement ?

RYR : La personne qui donne est forcément en unité avec ce qu’elle fait, avec le don. En même temps, le fait de donner, c’est se donner soi-même. Il n’y a pas de séparation quand on donne. Évidemment, lorsqu’on on fait un chèque pour l’UNICEF et qu’on le met à la poste, on n’a pas l’impression de se donner soi-même, mais en réalité si. Dans toute forme de don, il y a ce geste d’élan intérieur de renoncer à quelque chose qui soi-disant nous appartient, pour venir en aide aux autres. On est complètement impliqué dans la pratique du don. Donc, le don lui-même provient de soi, c’est quelque chose à quoi on renonce. C’est quelque chose qui fait partie de soi qu’on donne. C’est pour cela que le don et la personne qui donne sont en unité.

Question 6 : Est-il possible qu’en fixant sa respiration, on bloque le zazen ? Que faire dans ce cas-là ?

RYR : Respirer, c’est une pratique de recevoir et de donner. J’inspire et je reçois de l’énergie de l’air que j’inspire, l’énergie du cosmos, puis j’expire et je redonne. Particulièrement en zazen, lorsque l’on expire notre expiration est aussi une forme de don. On lâche prise de ce que l’on veut garder. Vous savez qu’il y a des pratiques dans certaines formes de yoga où l’on fait de la rétention du souffle. Dans le zen, c’est tout l’opposé : tout ce que l’on reçoit, on le rend immédiatement. Cela devient une forme de don, parce que l’air que l’on expire est habité par la pratique de zazen. Au niveau vibratoire, il y a quelque chose de communicatif dans le fait d’expirer ensemble dans un dojo et chacun reçoit les bienfaits de l’expiration des autres. On ne retient rien.

Et surtout ne retient pas les mérites de zazen. Les mérites de zazen sont illimités. Ils sont extrêmement nombreux, mais le bodhisattva qui pratique dans la dimension du Grand Véhicule retransmet immédiatement les bienfaits de sa propre pratique. Il ne les garde pas pour lui-même, mais les dédie aux autres. C’est ce qu’on dit quand on chante après le zazen les Quatre Vœux de bodhisattva. La cérémonie est une dédicace. Jamais on ne fait une cérémonie pour soi-même, en tous les cas dans le zen. C’est toujours pour les autres. D’ailleurs, c’est ce qui fait qu’au Japon les cérémonies durent un peu trop longtemps à mon goût, parce qu’on commence par dédier la cérémonie au Bouddha, puis on fait une deuxième cérémonie avec un deuxième soutra dédié aux Maîtres de la transmission, puis à la famille et finalement à tous les êtres. On veut faire une cérémonie en quatre étapes pour être sûr qu’on a inclus tout le monde dans la cérémonie, car l’essence même de la cérémonie, c’est la pratique du don.

Question 7 : Est-ce que l’attachement exagéré peut bloquer la pratique ?

RYR : Bien sûr que oui, mais ça dépend l’attachement à quoi. De toutes façons, de manière générale, tout attachement bloque la vie et donc bloque la pratique. Mais en même temps, on peut dire que c’est une première étape. Il ne faut pas négliger le fait qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent et qui sont en quête d’un remède à leur souffrance. Ils peuvent commencer la pratique par l’attachement qu’ils ont à l’espoir de remédier à leur souffrance à travers la pratique. Dans ce cas-là, c’est une porte d’entrée : il vaut mieux être attaché à la pratique dans cet état d’esprit que ne pas pratiquer du tout. Mais si on pratique avec un maître qui transmet un enseignement juste, il ne va pas condamner cet attachement à la pratique et aux mérites de la pratique, mais s’efforcer de convertir l’esprit de la personne, afin que peu à peu elle se rende compte que le fait de donner aux autres les mérites auxquels elle est attachée est la forme supérieure de pratique, et que finalement la pratique devient favorable aussi à celui qui pratique avec un esprit mushotoku, c’est-à-dire sans attachement.

Question 8 : Je ne peux pas lâcher prise de ma respiration.

RYR : J’insiste assez souvent sur le fait qu’il y a toujours deux étapes. La première étape est de se concentrer consciemment sur la posture, mais aussi sur la respiration. Se concentrer consciemment est une forme d’attachement. On s’attache à la pratique de la respiration, on pense à expirer profondément, longuement, on fait descendre l’expiration jusque sous le nombril et donc il y a tout un processus conscient de concentration sur la respiration qui est une forme d’attachement. Dès lors que l’on pratique consciemment, il y a une forme d’attachement, mais ici c’est un bon attachement, parce que cela nous permet d’entrer dans la pratique. Puis si la pratique, grâce à cet attachement, devient suffisamment forte, elle va nous entraîner au-delà. Autrement dit, dans un deuxième temps on ne pense même plus à la respiration. Elle se fait toute seule. Donc, cela devient un don et non plus quelque chose qu’on fait pour obtenir quoi que ce soit.