Le Gyoji à Buchenwald

Shikantaza

Shikan signifie « seulement », « complètement » ou comme le dit Heinz-Jürgen « sans reste ». Za signifie « être assis ». Shikantaza signifie donc « être seulement assis », « être complètement assis », « être assis sans reste ».

Lorsque nous sommes assis en zazen, nous revenons toujours à la concentration sur notre attitude corporelle et à la perception de notre respiration. Nous percevons les pensées et sentiments qui émergent mais nous ne les suivons pas. Ainsi nous sommes un avec chaque instant, sommes tout à fait éveillés, tout à fait attentifs. Nous nous contentons d’être tout à fait cet instant, sans rien ajouter, sans rien rejeter. Quand nous pratiquons si attentivement, aucune parole, pensée ou action douloureuse ne peut naître. En un lieu comme Buchenwald, où tant de douleurs étaient produites par des mots, des pensées et des actions, shikantaza est une pratique d’un grand secours.

Mais ce sont aussi la prise des repas en commun, les cérémonies, la récitation, les prosternations, le travail sur le chemin commémoratif et dans l’atelier de restauration, l’écoute de l’autre en cercle d’écoute, la lecture des noms des victimes … Tout cela devient shikan : shikanrepas, shikanrécitation, shikantravail, shikanêtre, simplement cela.
Pendant la sesshin de Buchenwald, nous pratiquons cela à chaque instant ensemble et en harmonie avec les autres participants. Tous les phénomènes qui viennent à nous pendant ces jours ce sont des occasions de ne pratiquer que cela, sans attachement, sans rejet.

Mushotoku

Mushotoku signifie que nous ne pratiquons pas pour atteindre un but personnel, un profit personnel ou un objectif personnel. Pratiquer zazen, cela signifie lâcher toute forme de volonté relative au moi. Nous n’utilisons pas zazen pour réaliser nos souhaits ou nos idées personnelles. La pure expérience de zazen dépasse tous les souhaits, toutes les idées personnelles. Comme nous ne chargeons pas zazen de nos intentions personnelles, cela devient vaste, ouvert, universel.

Bien sûr, il y a des raisons et des motifs personnels, peut-être aussi des souhaits, qui nous poussent à participer à cette sesshin. Ils sont bons : ils amènent chacun de nous à participer à cette sesshin, à pratiquer zazen, à réaliser les vœux de bodhisattva. Mais dans la pratique elle-même, à chaque instant, nous lâchons tout cela. Alors, zazen est vraiment zazen ; alors, chaque action ici en ce lieu n’est que cette action.

Aucun vouloir ; ne faire qu’être avec ce qui est, avec ce que l’on fait et avec ceux avec qui on le fait. À chaque instant de la sesshin. Toujours ici et maintenant.

Hishiryo

Hishiryo veut dire « au-delà de la pensée et de la non-pensée », « penser du profond de la non-pensée ».

Dans nos enseignements, nous disons toujours : « Laissez passer vos pensées », ou « ne pensez pas ». Notre cerveau produit continuellement des pensées, que nous soyons réveillés ou endormis, de la même façon que notre corps produit constamment des cellules ou les rejette. Nous ne pouvons pas volontairement ne pas penser car le souhait-même de ne pas penser serait une pensée. De quoi s’agit-il donc dans hishiryo ?

En ne suivant pas consciemment des pensées, en ne réfléchissant pas, nous créons de l’espace dans notre esprit. Dans cette espace libre, nos pensées peuvent monter du fond de nos profondeurs. Mais même celles-ci, nous ne les suivons pas ; au contraire, nous revenons à la concentration sur le corps et à la perception de la respiration. Quand nous ne collons pas à nos pensées ni ne les rejetons, quand nous ne les suivons tout simplement pas, quand nous les laissons passer, comme des nuages dans le ciel, l’esprit devient vaste et ouvert. Disponible pour ce qui est, sans penchant, sans aversion. Intégrant chaque instant tel qu’il est.

C’est justement en un lieu comme celui-ci, qui n’est pas un lieu neutre ou protecteur comme l’est un dojo, il est important, pendant zazen et pendant toutes les autres pratiques, de ne pas se laisser emporter par des pensées ou des émotions. Cela ne veut pas dire qu’aucune pensée ou émotion ne peut émerger en ce lieu. Nous les percevons mais nous ne nous y accrochons pas.

Comme ici, à Buchenwald, peuvent naître plus de pensées et d’émotions fortes que lors des autres sesshin, nous avons chaque soir les cercles d’écoute. Il est clair qu’il faut qu’il y ait un échange ici en ce lieu.

Mais même dans ces cercles d’écoute, nous pratiquons mushotoku et hishiryo. Nous pratiquons la pratique de la pure écoute.

Les vœux de bodhisattva

Dans notre pratique ici il s’agit aussi de la réalisation des vœux de bodhisattva. Dans la tradition Mahayana, sont appelés bodhisattva les êtres qui ont atteint l’éveil du bouddha ou s’y efforcent mais renoncent à entrer au nirvana tant qu’ils n’ont pas aidé tous les êtres ressentant à se libérer du cercle de la souffrance, le samsara.

Dans notre tradition, il y a la cérémonie de bodhisattva. Au cours de cette cérémonie, on reçoit 10 règles de vie et s’engage à pratiquer les vœux de bodhisattva pour le bien de tous les êtres. Mais on peut aussi pratiquer ces vœux sans avoir participé à cette cérémonie.