Ainsi sont donc exprimées dans la cérémonie trois grands sentiments ou valeurs spirituelles : l’actualisation de la sagesse, la compassion et la gratitude.
Mais pourquoi les cérémonies changent-elles ? Parce qu’on en comprend mieux la signification, tout simplement. Et non, en ce qui me concerne, parce qu’il faut en mettre de plus en plus et les rallonger. Mais je pense qu’il faut les faire de la manière la plus juste possible et perfectionner le sens et la cohérence de ce que nous faisons par rapport au sens que ça a.
Pour les gens qui s’offusquent du fait que ça change souvent, ou même tout le temps, je voudrais quand même insister sur le fait que fondamentalement la Voie de Bouddha est la Voie de mujo, de l’impermanence. C’est la Voie qui nous apprend à nous harmoniser avec l’impermanence, à réaliser un esprit souple, doux, qui ne se sclérose pas, qui ne se cristallise pas sur des acquis ou des choses que l’on croit maîtriser, sur lesquelles on veut s’appuyer définitivement.
Evidemment c’est agaçant quand on se dit « Je croyais bien connaître comment faire la clochette ; et il y a un changement et il va falloir encore réapprendre ». Je conçois très bien que ça fatigue, ça énerve même. Il ne faut donc pas exagérer non plus dans ce sens-là.
Mais il faut quand même comprendre que, accepter qu’il y ait du changement, ça fait partie aussi de la pratique et de l’éveil.
Que faire concrétement dans nos dojo ?
Maintenant abordons les questions beaucoup plus concrètes : vous venez à la Gendronnière et vous espérez en repartir en ayant des bases claires pour ce que vous allez pratiquer dans les dojo. C’est normal : c’est un peu le temple mère ici, où on vient se former, s’informer.
Chaque godo, chaque sangha a probablement sa façon de voir les choses mais pour ce qui me concerne, je pense que la pratique à la Gendronnière se rapproche de plus en plus d’une pratique de temple. C’est donc le lieu où l’on peut prendre connaissance et faire l’expérience de la façon dont on pratique le rituel dans un temple. Mais dans les dojo qui sont en ville, le matin, on n’a pas beaucoup de temps pour le zazen, on ne peut pas se permettre de rajouter des tas de rituels. Ce n’est pas nécessaire.
En plus de ça, la plupart des gens qui viennent au zen, y viennent parce qu’ils ont été déçus par leur religion d’origine qu’ils trouvent généralement trop ritualisée, comme par exemple, le catholicisme. On vient au zen parce que l’on trouve que c’est dépouillé, c’est l’essentiel, seulement s’asseoir, seulement méditer. On ne vient pas là pour passer énormément de temps à faire des rituels, même si je crois qu’en faire un minimum est bien.
Si vous jugez que c’est plus important de faire un long zazen le matin, puis de sonner la cloche et de partir, ou de faire sanpai et de s’en aller, c’est possible. Il n’y a aucune obligation de faire un rituel.
De même, si vous créez un groupe qui est nouveau, avec plein de débutants que vous ne voulez pas embêter avec les cérémonies : à la fin du zazen, un coup de cloche, c’est terminé. Ca suffit, pas de nécessité d’en faire plus.
Mais d’une manière générale, pour les dojo bien établis avec une sangha où il y a déjà des moines et des nonnes, on peut chanter, par exemple comme on fait à Nice ou en sesshin le week-end, le Sutra du kesa, l’Hannya shingyo puis alternativement, suivant le temps qu’on a, soit le Sandokai, soit l’Hokyozanmai, soit les Patriarches, suivi par l’Eko,qui doit correspondre à ce qu’on a chanté, et par le Ji Ho San Shi. Si l’on est pressé, on peut faire comme à l’époque de Maître Deshimaru au dojo de Paris où on chantait simplement un Hannya shingyo, les Quatre Vœux, le Shigu Sei, l’Eko et le Ji Ho San Shi.
Encore une fois, si l’on est vraiment très pressé, on peut ne rien faire du tout ! Pas de problème. C’est la base. Si vous comprenez qu’il n’y a aucune nécessité, alors vous pouvez pratiquer librement et considérer les cérémonies comme un moyen parmi d’autres d’exprimer la réalisation du zazen, c’est-à-dire la gratitude, la compassion, la sagesse, la capacité d’être attentif et de s’harmoniser avec les autres. Tout cela s’exprime tout aussi bien dans le samu, dans les actes de la vie quotidienne, les repas pris ensemble, le respect qu’on doit aux autres dans la vie quotidienne, dans les lieux publics, les toilettes, le bar, les chambres etc.
En fait l’univers entier est un lieu où peut s’exprimer la réalisation de la Voie : ce n’est pas limité à un petit rituel qui se passe dans un dojo, qui est un espace restreint et coupé du reste du monde.
Il en va de même avec les sutra. On a parlé des Douze Sortes d’Ecritures : tous les sutra ne se limitent absolument pas aux écritures et aux paroles de Bouddha. En fait, tous les phénomènes sont des sutra. Les herbes, les arbres, le lac, le soleil, la lune, les étoiles, les phénomènes de la vie quotidienne, les repas, le travail : tout ça ce sont des sutra. Ils sont l’actualisation de l’ultime vérité.
Et si, à travers la pratique de zazen, on s’ouvre à l’intuition de cette réalité, on la retrouve partout.
Et « partout » devient sutra et l’occasion d’exprimer l’éveil de zazen, par-delà les rituels formalisés qui se passent dans un dojo.
Voilà ce que je voulais vous dire.