Les trois sceaux du Dharma

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Roland Yuno Rech, Décembre 2015

L’origine de la pratique du zen est l’éveil du Bouddha à l’universalité de la souffrance. Naissance, maladie, vieillesse et mort sont souffrance ; ne pas obtenir ce qu’on désire, perdre ce à quoi on est attaché est souffrance. En bref : les cinq agrégats d’attachement sont souffrance. Les deux grandes caractéristiques de l’existence, l’impermanence et la vacuité, sont souffrance pour qui ne les comprend pas et ne les accepte pas, c’est-à-dire ceux qui restent identifiés à leur ego.

La cause en est l’ignorance, le non-éveil qui produit désirs et haines. Ce sont les trois poisons dont la pratique juste de zazen, c’est-à-dire avec sagesse et compassion, peut nous libérer. Aussi les trois sceaux du Dharma, dukkha, anicca et anatta font place au quatrième : le nirvana. Le bouddhisme n’est donc pas un pessimisme mais une voie de libération et de bonheur authentique, à condition de ne pas y être attaché. Sa pratique fut énoncée dès l’origine comme étant la Voie octuple que l’on exprime dans le zen par kai, jo, e.

Comment cela peut-il se réaliser en pratique ? Comment transformer les trois sceaux du Dharma en éveil ?

Ces trois sceaux sont les caractéristiques de l’existence : l’impermanence et le non-soi ou vacuité, et la souffrance qui résulte de leur non-acceptation. Zazen nous fait réaliser un esprit qui ne demeure sur rien, hishiryo : ne s’identifier à aucune pensée, ne demeurer sur rien, retrouver sa fluidité naturelle. C’est ce que Sensei appelait « revenir aux conditions normales », arrêter de transmigrer en fonction de nos désirs et de nos aversions en faisant de notre vie un samsara.

La naissance est souffrance car elle est séparation. On apprend à devenir un individu en construisant un ego qui rejette hors de lui ce qu’il pense être non-moi : les autres, la nature, tout l’univers. Nous nous trouvons ainsi coupés de nos racines, de notre interdépendance avec toutes les existences et nous avons toujours l’impression qu’il nous manque quelque chose. C’est ainsi que commence l’enchaînement des désirs pour toutes sortes d’objets qui s’avèrent tous finalement insatisfaisants, car ce qui nous manque réellement, c’est de retrouver notre unité native avec tous les êtres. Pour la réaliser il faut cesser de penser avec des mots et retrouver la pensée avec le corps tout entier.

Zazen permet de réaliser shinjin datsu raku, l’abandon de nos cinq agrégats d’attachement qui forment notre faux soi. C’est possible par la concentration et l’observation justes, intuitives et immédiates, car à notre naissance, ce n’est pas un ego qui naît mais une forme transitoire de la nature de bouddha. Zazen nous aide à nous défaire de l’illusion de cet ego en cessant de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas. Penser avec le corps permet de retrouver notre unité avec tout l’univers. C’est l’esprit de foi, non-deux, symbolisé par le gassho et les mains en hokkai join. C’est ce qui favorise l’esprit de compassion, de bienveillance et la solidarité. C’est aussi ce qui permet une attitude d’amour et de respect de la nature sans laquelle une véritable écologie est impossible. C’est pour cela que la réalisation de la non-naissance est le nirvana, l’extinction des attachements causes des trois poisons que sont l’avidité, la haine et l’ignorance. Ainsi notre illusion a été le point de départ de bodaishin, un mal pour un bien, résumé par l’expression « bonno soku bodai ».

Par la pratique de zazen l’esprit de discrimination cesse de nous diriger, on ne sépare plus noble et vulgaire. Le samu fait partie de la pratique de la Voie au même niveau que le zazen, l’étude des sutras ou les cérémonies réunis dans un même gyoji.

Les maladies sont le deuxième aspect de la souffrance évoqué par le Bouddha. Si la pratique de zazen renforce l’homéostasie en réduisant le stress, elle n’empêche pas de tomber malade car il y a de multiples causes aux maladies, notamment l’environnement. Se soigner devient une pratique qui donne l’occasion de se faire aider et donc d’éprouver de la gratitude pour tous les soignants. C’est l’occasion de méditer sur l’impermanence et de se demander plus profondément ce que nous souhaitons vraiment vivre. La maladie nous rend aussi solidaire de tous les êtres malades, à l’exemple du bodhisattva Vimalakirti.

La vieillesse est un autre facteur inévitable de souffrance par toutes les pertes qu’elle occasionne. Elle nous fait travailler le lâcher-prise et permet aussi de développer le merveilleux esprit de la grand-mère. Quant à la mort, elle fait partie du devenir naturel et cesse d’être un scandale. Zazen nous à mourir à notre ego et à renaître d’instant en instant. La mort n’est qu’un passage suivi d’une nouvelle naissance conditionnée par la force de notre karma ou de nos vœux. Mais zazen est aussi l’expérience de l’éternel présent.

Ne pas obtenir ce qu’on désire ou perdre ce à quoi on est attaché sont deux autres aspects de la souffrance avec lesquels nous sommes familiers. L’objet de notre désir finit toujours par nous échapper et c’est pourquoi les cinq agrégats d’attachement sont souffrance. Mais zazen nous fait expérimenter que les cinq agrégats sont vacuité. Il n’y a donc au fond personne qui souffre et l’esprit est libéré de tout obstacle.

Ainsi la Voie du Bouddha, loin d’être pessimiste, nous ouvre une perspective de vie qui a un sens positif en transformant nos souffrances en koan, qui nous donnent l’occasion de nous éveiller et donc de nous libérer avec tous les êtres.

Le Dharma nous montre le chemin et les moyens de surmonter les obstacles. Il nous montre aussi que nos illusions font partie de la réalité de la vie : même si on aime les fleurs et qu’on regrette leur chute, notre amour et nos regrets sont inmo, la réalité telle quelle est, sans substance comme nos rêves.

Nos vœux sont comme un rêve. Sauver tous les êtres est doublement impossible car chacun ne peut que s’éveiller par sa propre pratique. C’est finalement la pratique qui nous sauve en nous mettant en contact avec notre véritable nature qui est le bodhisattva Kannon. C’est cette nature de bouddha qui sauve réellement les êtres, comme le remarquait Eno. Impossible aussi car, comme le rappelle le Sutra du Diamant, tant que l’on croit qu’il existe des êtres à sauver on est encore attaché à une notion d’être, d’ego ; on n’est plus alors un être d’éveil, un véritable bodhisattva, et la compassion est douloureuse. Autrement dit, le bodhisattva participe à la souffrance des êtres par son ego et les libère par le non-ego.

Pour être des bodhisattva il nous faut redevenir comme des enfants, pratiquer yuge zanmai le samadhi du jeu, l’esprit mushotoku.