Ensuite les causes de la souffrance : vraiment le Dharma du Bouddha c’est de s’interroger constamment sur les causes de la souffrance, d’utiliser toute souffrance comme un koan, comme un aiguillon qui nous fait réfléchir au sens de la vie et le pourquoi de la souffrance.
S’il y a souffrance, il y a deux solutions.
Il y a la souffrance inévitable que même les grands maîtres, le Shakyamuni Bouddha ont enduré. Ce sont les souffrances de la naissance, de la maladie, du délabrement physique, de la vieillesse et de la mort. Ce sont quatre choses que l’on ne peut pas éviter. Du fait qu’on est né, on va devoir vieillir, tomber malade plus ou moins gravement, un jour ou l’autre notre force, notre énergie vont nous quitter et on va mourir. Et cela, personne n’y échappe.Mais zazen nous aide à l’accepter en abandonnant l’attachement à l’ego qui s’attache à la vie et redoute la mort.
Par contre, tout le reste de la souffrance, ce qu’on appelle dukka dans le bouddhisme, résulte de notre propre attitude vis à vis de cela. Comment réagir face à la maladie, l’impermanence, donc la perspective de devoir mourir, la perte, le fait de ne pas pouvoir posséder définitivement ce que nous aimons, les objets d’attachement nous échappent, ne pas les maîtriser est source d’angoisse, d’anxiété, de stress. Il n’y a qu’à voir le stress des gens employés des grandes compagnies qui risquent constamment d’être victimes d’un plan social suite à l’avidité des actionnaires ; le stress aussi de voir les personnes qu’on aime tomber malades ; les enfants avoir des accidents, les parents sont toujours sur le qui vive avec des enfants en bas âges.
Donc, cette souffrance est là constamment pour nous inciter à approfondir sa cause et nous inciter à pratiquer le Dharma, et pour nous ouvrir en même temps à la compassion où on partage cette souffrance universelle, ce qui fait que tous les êtres sont nos frères et finalement sont comme nous.
D’ailleurs le bodhisattva ne met pas complètement fin à ses propres attachements, à ses propres bonnos parce qu’il a à cœur de rester en contact avec ce qui fait l’universelle souffrance, ses conditions. Il reste dans ces conditions là.
Ce qui est fondamental, c’est d’expérimenter ne serait ce que pendant quelques instants dans la pratique de zazen qu’il y a un au delà possible de la souffrance. C’est à dire comment nous faisons face à la souffrance, à l’impermanence ; comment nous faisons face au non soi, au non ego ; comment nous faisons face à l’interdépendance, qui fait qu’on ne peut pas maîtriser sa vie. Notre vie est dépendante de toutes sortes de causes et de conditions, ce qui fait que nous n’avons pas d’ego séparé et nous ne sommes pas une sorte d’entité fermée sur elle-même comme une monade, un être sphérique complet par lui-même. Nous sommes constamment dans la dépendance de la relation et de l’interdépendance avec les autres, avec les énergies de l’univers, avec tout ce qui nous entoure.
Cela on en prend conscience à travers l’observation dans la pratique de zazen mais en même temps quand on pratique zazen, il y a des moments où justement c’est là que zazen est véritablement le Dharma du Bouddha, c’est quand zazen est pratiqué avec un profond « lâcher prise : shin jin datsu raku », c’est à dire un zazen où vraiment il y a un abandon total de l’attachement au corps et à l’esprit, c’est à dire qu’il n’y a plus de fabrication mentale.
Cette expérience de shin jin datsu raku c’est l’éveil de Dogen. Tout le Shobogenzo, tout l’enseignement de Dogen ont été fondés sur cette expérience là. Quand on dit que zazen lui-même est éveil, est satori, Dharma du Bouddha, ce n’est pas n’importe quel zazen dont on parle. On parle du zazen dans lequel « shin jin datsu raku » survient, donc un zazen avec un total lâcher prise. Hors de ce lâcher prise, hors de cet état d’abandon total de notre attachement égotique, le zazen peut être parfois même infernal, avide et on peut passer des zazen dans lesquels on expérimente justement les différents volets de la souffrance parce que on est dans la colère, dans l’impatience, « pourquoi la cloche ne sonne pas, pourquoi cet imbécile n’arrête pas de bouger à côté de moi, il me dérange dans ma concentration , pourquoi le godo fait un trop long kusen, pourquoi au contraire il n’y a rien aujourd’hui ; j’étais venu pour entendre un bel enseignement et il n’y a rien » bref je suis dérangé dans mon avidité, dans mon envie de quelque chose et frustré ou alors ma colère est réveillée, mon impatience est réveillée etc…
Ne vous désolez pas si vous éprouvez ces différents états de transmigration dans le zazen parce que précisément la réalisation du nirvana, la réalisation de l’éveil, la libération par rapport au samsara, cela ne veut pas dire en être à tout jamais séparé. Cela veut dire être capable de traverser ces états en n’en étant pas possédé, en n’en étant pas englouti c’est à dire d’être capable de ressentir la tristesse, l’angoisse, une colère, une impatience et de dire c’est juste une impatience, c’est juste de la colère et ne pas s’identifier à cela, ne pas en être possédé. Lorsqu’on dit qu’en zazen on laisse passer les pensées, ce ne sont pas des pensées intellectuelles. Quand on dit de laisser passer les pensées c’est laisser passer tous les phénomènes, mentaux, les pensées aussi, les sensations, les perceptions, les désirs, les anxiétés et même les sensations de plaisir, de bien-être, de béatitude. Tout cela on le laisse passer, parce que c’est dans le laisser passer, c’est à dire le lâcher prise, dans le fait de revenir à un état dans lequel on ne s’empare de rien, on est sans demande à zazen, on ne demande rien.
Dans cet état là, il y a une véritable libération, une véritable réalisation du Dharma du Bouddha, vraiment de l’essence de son enseignement, au sein même du samsara c’est à dire au sein même des conditions d’interdépendance qui font qu’on est amené à éprouver ces pensées, ces sensations, ces perceptions qui ne sont pas toujours agréables.
Hishiryo, qui décrit l’état de conscience en zazen, veut dire au delà de la pensée. C’est cet au delà de la pensée qui mesure. Shiryo étant la pensée calculante, la pensée qui cherche à atteindre un objectif, à saisir, c’est la pensée de l’ego. Hishiryo d’une manière générale c’est au delà de toute pensée conditionnée par les émotions, par le karma etc.
Faire l’expérience en zazen des moments de lâcher prise qui sont vraiment cet état de nirvana, d’extinction des trois causes fondamentales de la souffrance : l’avidité, la haine et l’ignorance, la méconnaissance du fait que notre propre ego qui souffre n’a pas de substance, n’est pas quelque chose.Cela nous aide à lâcher prise, à ne pas nous identifier à quoi que ce soit et à réaliser cette liberté intérieure.
Quand on réalise cela, cet éveil, cette libération en zazen, devient vraiment le Dharma et devient ce qui va soutenir notre pratique. Ce n’est pas qu’on va se dire « j’ai obtenu ça, je le tiens, j’ai eu le satori, maintenant ça suffit, j’ai eu ce que je voulais », parce qu’ en fait cette réalisation est liée à un certain état d’esprit qui est lié à une certaine pratique. Ceci n’est pas forcément la pratique de zazen aussi mais peut être la pratique de kin-hin, la pratique du samu, manger,marcher.Mais celà correspond toujours à l’état du corps–esprit en unité et en même temps au lâcher prise.
C’est à dire que cela remet donc en question une pratique basée uniquement sur la volonté, sur l’ego qui veut quelque chose. Je le répète souvent, la volonté nous amène souvent jusqu’à la porte du dojo, nous aide à tenir la posture et à la pratiquer .Mais si on ne pratique qu’avec la volonté, on n’obtient pas le véritable lâcher prise, pas de véritable libération ; on ne fait pas l’expérience du Dharma du Bouddha et donc on peut se lasser au bout de deux ou trois ans.
« Je croyais avec zazen venir à bout de mes souffrances, puis je vois que je ne m’en sors pas, donc je vais voir ailleurs puisque je n’ai pas réalisé ce que j’attendais. »
Ceci peut venir d’erreurs dans la pratique c’est à dire que la pratique n’est pas soutenue par le Dharma, elle n’est pas en harmonie avec le Dharma ; La pratique n’est pas en harmonie avec l’ordre cosmique c’est à dire pas en harmonie avec le fait qu’il n’y a rien à saisir, rien à rejeter, donc il n’y a qu’à lâcher prise, et dans ce cas on est en harmonie avec le Dharma et on réalise le nirvana même si on est dans certaines souffrances physiques ou dans certaines inquiétudes, ça va nous lâcher rapidement, en tout cas ça ne va pas nous posséder et on va pouvoir même au milieu de ces phénomènes réaliser l’état normal.
Voilà pour la relation entre le Dharma en tant que réalité de notre existence, enseignement et pratique sous l’éclairage des quatre nobles vérités. Après il y a le Dharma comme quatrième noble vérité, l’octuple sentier. Je ne pourrai pas le détailler mais on le regroupe en trois grandes rubriques :
- l’éthique, c’est à dire le comportement juste, paroles, actions justes ; c’est très important parce que s’il n’y a pas cette éthique de vie, ce comportement juste, même s’il y a ces deux premiers aspects : la compréhension juste et la pensée juste (dans le sens d’intention juste).
Si on comprend le Dharma, si on a aussi de bonnes intentions, y compris de la compassion c’est à dire l’intention de venir en aide aux autres, les aider à se libérer de leur souffrance, mais si notre comportement ne traduit pas par les actes et dans les paroles cette pensée juste et cette compréhension juste, on va susciter chez les autres un doute sur notre propre pratique et notre propre compréhension du Dharma et surtout le Dharma n’est pas complet, n’est pas réalisé.
Dans le bouddhisme comprendre veut dire réaliser, actualiser : manifester donc à travers toutes les cellules de notre corps dans notre comportement. Donc, l’éthique est absolument indissociable de la sagesse et de la compassion ; les deux premiers aspects de l’octuple sentier sont sagesse et compassion ; compréhension juste : sagesse, intention juste : compassion. C’est indissociable de l’éthique (le comportement) et c’est indissociable de la pratique de la méditation. Ceux-ci sont les trois premiers aspects de l’octuple sentier : l’énergie que l’on met pour la pratique (je préfère le mot énergie plutôt que l’effort), l’attention, la vigilance, cette capacité que l’on a d’être attentif, et la méditation elle-même, pour nous le zazen.