Comment a-t-il découvert ces douze causes interdépendantes ? :
Il est parti justement de la première noble vérité qui est cette vérité de la souffrance et aussi pourquoi on souffre. On souffre parce que on est né, on est né dans un monde où le fait d’être né veut dire qu’on va devoir mourir ; et dans tous les cas, avant de mourir on va devoir subir toutes sortes de frustrations et de souffrances, surtout si on n’est pas éveillé.
Les souffrances fatales, inévitables ( la première catégorie que même les éveillés ont) et puis les souffrances qu’on va se donner à soi même, parce qu’on va mal réagir par rapport à l’impermanence et au non soi .Par nos illusions on va dramatiser un certain nombre de choses et donc créer la souffrance psychique.
Pourquoi on souffre ? : parce qu’on est né donc Il s’est demandé comment on naît, pourquoi on est né. Si on est né c’est parce que il y a eu un vouloir vivre, il y a eu un attachement ; il y a eu un karma qui a provoqué un attachement, un état de conscience au moment de la mort qui a donné ce mouvement de trouver une matrice pour s’associer à un nouveau corps et renaître.
Ainsi il s’est formulé : comment se fait ce cycle-là de naissance et de mort.
Son intention n’était pas de décrire l’ordre cosmique et comment il fonctionne mais de trouver une issue, c’est à dire de pouvoir réaliser ce qu’on appelle souvent la non naissance comme l’équivalent de nirvana ou d’extinction de la souffrance. Dans le zen on parle souvent de non né (fusho), non naissance comme équivalent du nirvana et de l’extinction.
Comment réaliser la non naissance ?
Il faudrait d’abord comprendre le processus par lequel on naît dans ce monde de souffrance.
Il a analysé cela et il l’a décrit de la manière suivante :
Il y a d’abord l’ignorance. L’ignorance est considérée comme la cause fondamentale de toutes les souffrances, en tout cas des souffrances psychiques.
C’est l’ignorance qui fait que l’on s’attache à une conception illusoire de soi-même et de la vie et que, donc, on ne vit pas en harmonie avec ce qu’est réellement l’existence, c’est à dire l’impermanence et l’interdépendance. On vit comme une personne extrêmement égocentrique et on se heurte constamment à la dure loi de l’univers qui est qu’on ne vit que dans l’interdépendance ; si on n’en tient pas compte c’est comme un boomerang qui nous tombe dessus, on souffre et on fait souffrir les autres. Si on n’accepte pas l’impermanence et si on ne réalise pas un esprit souple, doux, qui est capable de fluidité, on se heurte constamment à toutes sortes d’obstacles et de difficultés.
C‘est pourquoi, l’ignorance est considérée généralement comme la cause fondamentale de toutes les souffrances. D’ailleurs quand on parle du Dharma, s’éveiller au Dharma c’est précisément dissiper l’ignorance. Réaliser le Dharma c’est en finir avec l’ignorance. L’ignorance de quoi ? L’ignorance des quatre nobles vérités et des douze causes d’interdépendance qui commencent par l’ignorance.
L’ignorance conditionne l’action, le deuxième maillon des douze innen et une action accomplie dans l’ignorance donc une action non éveillée, a tous les risques de produire de mauvais effets ; parce qu’on n’aura pas anticipé de cause et parce qu’on n’a pas conçu que notre action s’inscrit dans une relation d’interdépendance. Si on ne se rend pas compte comment nos actions (c’est à dire tout ce qui émane de nous), nos paroles sont faites dans l’ignorance, dans une certaine illusion et une certaine méconnaissance de la loi d’interdépendance, elles vont provoquer des effets négatifs.
Justement la Sangha est souvent le théâtre de ce genre de situation, on peut expérimenter combien la loi d’interdépendance et la loi du karma se vérifient très rapidement, c’est à dire quand les actions sont faites sous l’empire de l’ignorance.
Donc, l’ignorance conditionnant l’action qui conditionne la conscience, c’est à dire la conscience qui, dans ce cas là, va nous accompagner dans les derniers moments de la vie et conditionner notre nouvelle naissance. Dans le bouddhisme on considère que les derniers instants de l’existence, les derniers états de conscience sont fondamentaux puisque il y a une sorte de continuité, une succession d’états de conscience mais dans une certaine continuité.
Une nouvelle naissance ce n’est pas une personne identique à la personne précédente qui renaît, mais c’est une conscience qui est conditionnée par une série d’états, de fautes, de karma dont l’état suivant règle la nouvelle naissance ; donc il y a un enchaînement. Donc le dernier état est très important.
Quand on parle dans la loi des douze innen de l’état de conscience, on parle de cet état de conscience qui va déclencher une nouvelle naissance. La conscience qui renaît dans une matrice et c’est pour cela que le quatrième anneau des douze causes d’interdépendance, la conscience qui ensuite conditionne (nama- rupa) nom et forme c’est à dire corps et esprit.
Nama : c’est tout ce qui est de l’ordre du mental, de l’esprit et rupa : la forme donc le corps.
Donc, à partir de là, on naît dans une nouvelle naissance qui a été conditionnée par l’ignorance, qui a conditionné la conscience, qui a conditionné l’action, qui a provoqué le karma, qui a conditionné la conscience, qui a conditionné l’état de renaissance, le besoin de renaître.Nama-rupa c’est les deux premières cellules de l’œuf qui prend forme et puis ça devient un bébé.
Ce bébé dans l’utérus, au cours de son développement, développe des organes des sens ce qui est le lien suivant. Il va être en contact avec l’environnement ; ce contact va générer des sensations qui vont être agréables ou déplaisantes qui déclencheront des désirs doubles : retrouver ce qui est agréable et fuir ce qui ne l’est pas c’est à dire tout ce qui est souffrance, ce qui est douloureux.
S’il trouve l’objet adéquat, le désir va provoquer l’attachement qui va conditionner toutes les souffrances de la vie, les anxiétés etc. mais il va conditionner surtout le vouloir vivre au sens de vouloir continuer le cycle et vouloir renaître.
Probablement, en mettant les choses au mieux, parce qu’on se dit : « je suis passé à côté de l’essentiel, il faut que je me donne une nouvelle chance, ce qui fait déjà une bonne cause de renaissance, j’ai frôlé le Dharma, je vais au dojo de Bruxelles, j’ai entendu un jour une conférence, ça m’a donné un petit déclic dont je n’ai pas tenu compte et je passe à côté. Je suis tombé dans les errements habituels. Je suis motivé à renaître parce que cette fois-ci j’espère pouvoir réaliser l’éveil. » C’est une bonne cause, un bon désir de renaissance.
Généralement, le désir de renaissance c’est plutôt pour pouvoir continuer à s’approprier des objets de plaisir et de satisfaction. Eventuellement, il y en a qui veulent renaître pour se venger : « je ne l’ai pas eu dans cette vie, dans la prochaine il ne m’échappera pas. »
On peut donc vouloir renaître à cause de toutes nos illusions : désirs et ignorance.
Ceci provoque, dans cet état de conscience au moment de la naissanse et nous voilà reparti dans une nouvelle naissance suivie de vieillesse et de mort. Ceci doit faire les douze causes.
Le Bouddha résumait ce cycle en : « quand ceci est, cela est. ». C’est le résumé de la loi des douze causes interdépendantes, c’est-à-dire : il n’y a pas de fumée sans feu, quand il y a une cause, il y a un effet.
Si nous voulons pratiquer le Dharma, éclairés, soutenus par cet enseignement des douze innen, les douze causes interdépendantes, c’est vraiment d’être pénétrés de cette interdépendance à différents niveaux. C’est-à-dire à un niveau où nous prenons conscience de notre responsabilité dans ce qui nous arrive et dans ce que nous provoquons chez les autres, parce que l’interdépendance joue non seulement pour nous-mêmes mais aussi chez les autres et notre environnement; cela nous aide à comprendre notre karma ; karma veut dire action mais on englobe souvent dans le karma le fruit des actions (ce qui est faux, mais enfin !). Le karma, entraînant des résultats, le fait de comprendre que ce qui nous arrive et l’interdépendance de notre karma passé et la poursuite de cet enchaînement là, peut nous paraître une dure réalité en ce sens qu’on se dit : «Je suis responsable de mon malheur », mais en même temps c’est une vision extrêmement optimiste parce que, si nous sommes responsables de notre malheur, nous pouvons devenir responsables de notre bonheur et de notre éveil. Puisque nous avons contribué à ce que nous souffrons maintenant, nous pouvons à partir de cette prise de conscience contribuer à la résolution de notre souffrance, à notre éveil et notre libération.
C’est dans ce sens-là que le Dharma des douze causes interdépendantes nous soutient dans notre pratique et surtout, il nous soutient de manière beaucoup plus radicale si nous comprenons que, puisque en résumé, «quand ceci est, cela est. », puisque tout ce qui existe est conditionné, cela veut dire que rien de ce qui existe n’a de substance, et surtout pas mon propre ego. Mon propre ego est au même titre que tous les autres phénomènes et les autres dharmas, conditionné. Etre conditionné veut dire ne pas avoir de substance propre ; c’est l’expression même de ce qu’on appelle vacuité ; la vacuité n’a rien à voir avec le néant ou l’inexistence, c’est l’inexistence de quelque chose et c’est l’inexistence d’une substance fixe à notre propre ego ou à chaque phénomène. Il n’y a pas de substance fixe, il n’y a que l’interdépendance et c’est cela que veut dire vacuité.
Si on le comprend, on réalise profondément la sagesse de Bouddha.
Si on le comprend intellectuellement ça nous aide déjà, ça nous soutient puisque nous sommes, quand même, des êtres pensants qui réfléchissons mais si on le comprend à travers son corps et son esprit en zazen, si on répète cette compréhension par une pratique quotidienne de zazen, là, pour le coup cette compréhension devient sagesse réelle ou dans tous les cas nous permet d’accéder à une sagesse réelle et à une vie libérée de l’attachement au petit ego, une vie de réalisation du véritable Soi qui est cette vie en interdépendance avec tout l’univers et ce que cela implique dans notre vie concrète.
Le Bodhisattva
Troisième volet du Dharma du Bouddha.
Le bodhisattva c’est celui qui a déjà réalisé tout cela, qui a pris conscience de la souffrance et de ses causes, qui sait qu’on peut y mettre fin, qui sait qu’il existe un chemin pour y mettre fin, qui a pris conscience de l’interdépendance et de la loi du karma mais, qui est tellement conscient de l’interdépendance, qu’il ne peut pas concevoir qu’il existe un véritable éveil pour soi-même, seul. Ce n’est pas concevable parce que moi, seul n’existe pas. Il n’existe qu’un moi en relation.
Le bodhisattva est tellement conscient de cette vie en relation, il est tellement pénétré et animé par l’esprit de compassion, que pour lui, sa compréhension du Dharma c’est de formuler le vœux de continuer à approfondir le Dharma, (c’est le troisième vœux : Ho mon muryo sei gan gaku) « aussi nombreuses que soient les portes du Dharma, je fais le vœux de les réaliser toutes ».
Déjà pour réaliser toutes ces portes du Dharma un vie seule n’est pas suffisante, cela implique une renaissance mais une renaissance animée par l’esprit d’éveil et non pas une renaissance qu’on ne maîtrise pas et où on est entraîné par la fatalité d’un karma qu’on ne comprend pas et qu’on ne maîtrise pas.