« Finalement, tout se dissout et tout se résout »

Entretien avec Isabelle, 40 ans

Pourquoi pratiques-tu zazen ?

Finalement, le zen a unifié plein d’intuitions dans ma vie et m’a conduite à une libération intérieure. Par exemple, je me sentais un peu décalée socialement, face à la pression sociale et familiale et à des conditionnements dont j’avais du mal à m’émanciper. Je me sentais donc toujours en décalage avec le rôle que l’on s’attendait à me voir jouer.
Avec le zen, j’ai réalisé que ce décalage-là avait tout lieu d’être, mais que je pouvais me fier à mon intuition et m’émanciper harmonieusement de ces conditionnements. Dans le zen, j’ai trouvé cette liberté-là, la liberté de faire des choix, de les assumer et de ne me sentir ni en opposition ni en accord parfait avec quelque chose, mais alignée sur mes convictions profondes.
Ce qui m’intéresse aussi, c’est la partie créative du zen. Je peux créer ainsi ma propre trajectoire intérieure. C’est un peu pour ça que je reste dans le zen. Avant, j’ai essayé d’autres formes de méditation et j’ai fait beaucoup de yoga pendant des années. La méditation yogi m’a donc aussi mise sur la Voie, mais ce n’était pas assez approfondi pour moi, pas assez « radical ».

Qu’est-ce qui est « radical » dans la pratique du zen ?

C’est le fait d’être assise face du mur, ce qui déconditionne complètement, le fait qu’on se trouve seul face à soi-même. Et là, on ne peut plus prendre la tangente. Il y a aussi les enseignements qui nous aident à poser des jalons, des repères.
Ensuite, il y a les interactions avec les autres. La sangha, la communauté des pratiquants, fut pour moi un peu une surprise. Je pensais que zazen était un travail très solitaire, puis j’ai réalisé en cours de route que ce n’était pas le cas du tout. Tous ces apprentissages se révèlent aussi dans les interactions qu’on a au sein de la sangha. Dans cette espèce de relation organique qu’il y a dans la sangha avec le maître, les disciples, l’enseignement et la pratique, il y a une sorte de flux interactif qui se crée et qui porte notre pratique. En tout cas, personnellement, cela m’a porté et me porte toujours.

Est-ce que tu pratiques dans un dojo ?

Oui, je pratique une fois par semaine dans un dojo et quelque fois à la maison, surtout pendant les vacances. Cheminer seul a ses limites. J’ai trouvé le cheminement plus organique avec le groupe et cette structure-là permet aussi d’éviter de se perdre. La sangha nous fait sortir de notre ego, ce qui est un travail important.

Y-a-t-il des obstacles que tu rencontres pendant zazen ?

Il y a une chose que j’ai apprise : au début, quand les obstacles se présentent la première fois, on a l’impression qu’ils sont un peu insurmontables. Mais petit à petit, on s’aperçoit que finalement, tout se dissout et tout se résout.
Au départ, j’avais beaucoup de mal à rester concentrée. Les obstacles corporels sont aussi des nœuds qu’on cherche à dénouer. Au début, on essaie de faire cela de manière rationnelle, et plus on le fait, plus on s’y enferme. J’ai appris que c’est en pratiquant qu’on surmonte les obstacles et que la pratique porte, parce qu’elle permet de les dépasser.

Est-ce que la notion d’un maître a une signification pour toi ?

Complètement. J’ai pratiqué quelques années « en électron libre » : j’ai voyagé beaucoup dans différents dojos et rencontré différents styles de pratique. Je n’avais pas conscience de chercher un maître, cela me convenait bien comme ça. Mais il y avait quand même quelque chose, comme une cohérence qui me manquait. Puis j’ai rencontré un maître, Roland Yuno Rech, et sa pratique a répondu à des questions que je n’avais même pas conscience de me poser. Après avoir pratiqué une journée de zazen avec lui, j’ai ressenti une harmonie intérieure que je n’avais jamais connue auparavant.
Le maître donne une cohérence à notre pratique. On se nourrit de sa pratique, et peut-être qu’il il se nourrit aussi de la nôtre, du moins je l’espère. Il y a ce lien qui fait que même si l’on pratique ailleurs et avec quelqu’un d’autre, on se reconnecte à la pratique de son maître. Pour moi, c’est essentiel.

Est-ce que le zen a de l’influence sur ta vie sociale ?

Oui. Déjà quand on revient de sesshin, on est très sociable et beaucoup plus ouvert aux autres. On réagit beaucoup plus vite et de manière beaucoup plus pertinente. Au travail, j’ai des relations plus harmonieuses et dans la vie privée aussi. J’ai remarqué qu’en favorisant la compassion, le zen aide beaucoup à porter les autres, et cela donne un élan supplémentaire dans les relations, notamment pour aider les personnes en difficulté.