Gendronnière - Photo : Eric Tchéou

Clarifier la compréhension de notre pratique

Par Claude Emon Cannizzo

Depuis un certain temps déjà, plusieurs dojos sont confrontés à une désertification : des pratiquants débutants qui ne restent pas, mais aussi des anciens qui ne viennent plus au zazen. Il serait intéressant de chercher à comprendre quelle en est la raison. Hormis les conflits d’égo, qui font partie de la nature humaine, il serait intéressant de savoir – et de clarifier – quelle idée les gens et même quelques pratiquants ont du zen, et de zazen.

La défection dans les dojos n’est pas seulement due au Covid-19, celui-ci n’étant éventuellement qu’un déclencheur ou un révélateur concernant notre pratique. Peut-être le zen tel qu’il m’a été enseigné il y a quarante ans arrive-t-il à la fin d’un cycle ? La raison pourrait-elle en partie être due à toutes ces nouvelles techniques de méditation à la mode qui arrivent « sur le marché » ?

Quoi qu’il en soit, les deux confinements et autres restrictions ont créé le doute dans l’esprit de quelques pratiquants, qui ont dû se dire entre autres : « À quoi bon venir dans un dojo pour pratiquer si je peux le faire chez moi ? Pratiquer mon « petit zazen » dans mon « petit chez moi » !

Mais il faut constater que des abandons de la pratique ont déjà eu lieu ces dernières années. C’était déjà le cas bien avant la pandémie.

Lors d’une réunion dans notre dojo, la question a été posée. Quelques-uns ont mis en avant un point qui serait, en partie, la raison du manque de popularité et de l’abandon du zen et de sa pratique, selon les termes suivants :

« La rigueur et l’austérité du zen serait la raison pour laquelle les gens ne resteraient pas ! »

Il me semble donc important de clarifier ce point.

J’entends très bien ces dires et je peux même y accorder un certain crédit. Le zen est effectivement une pratique difficile, qui ne convient pas à tous … Il n’a jamais été dit que le zen était une Voie facile. Le fait est que le zen est une Voie directe et sans détours. Elle demande donc un effort, patience et persévérance (Paramita) que peu sont prêts à fournir.

Zazen est une pratique du corps par laquelle nous pouvons toucher la dimension la plus haute de chacun(e) d’entre nous. C’est la religion par le corps. Les valeurs du zen sont hors du temps et toujours d’actualité.

On peut effectivement adapter la pratique avec « plus de rondeur », et par ailleurs dans quelques dojos cela se fait déjà : plus de kyosaku, moins de cérémonies … Néanmoins, je reste convaincu qu’un seuil ne doit pas être franchi. Si nous comprenions l’enseignement profondément, nous saurions où se trouve ce seuil …

De nos jours, l’être humain veut toujours obtenir plus de choses, et si possible sans fournir d’effort. La société s’est fortement affaiblie, certaines personnes ne pensent qu’à atteindre un état de bien-être ou mieux être et n’en demandent pas plus. Mais si c’est cela leur seul objectif, le zen de Dogen n’est pas la Voie qu’ils doivent suivre.
L’idée d’agir sans attendre de résultat est certainement la chose la plus difficile à comprendre dans notre société. Nous fonctionnons habituellement en termes de profit : « Je donne, je reçois, je paye, je consomme ». Or cette attitude de l’esprit qui se concentre uniquement sur le profit doit être abandonnée durant la pratique de zazen.
Si nous voyons la pratique du zen par exemple comme une pratique thérapeutique, de bien-être ou de santé (et si possible sans faire trop d’efforts), nous nous fourvoyons totalement. Si nous pratiquons dans l’espoir d’obtenir un profit personnel, nous ne pratiquons pas le vrai zen.

Dans le zen, mushotoku signifie se débarrasser de l’attachement, mais aussi de nos illusions, et surtout de celles qui concernent la pratique elle-même. Lâcher prise de cet esprit ordinaire de profit signifie en réalité lâcher prise vis-à-vis de son propre égo.
Mushotoku, c’est l’état d’esprit avec lequel nous agissons sans vouloir aboutir à un résultat ou un profit, en acceptant tous les efforts nécessaires à faire. C’est l’attitude fondamentale définissant la Voie du Bouddha, la Voie du zen. Il est important que ce soit clair lorsque nous parlons de zen ou prétendons suivre la Voie du zen. Si ça ne l’est pas, nous devons nous poser les vraies questions :

« Pourquoi je pratique zazen, est-ce bien la Voie du Bouddha que j’ai choisi de suivre ? »

Bien que nous ne soyons plus à l’époque de Dogen, ni en Chine et ni au Japon, nous devons nous interroger et réfléchir sur la façon d’envisager la suite : comment ne pas se perdre ? Il s’agit pour nous de revenir à une vision claire, surtout si nous avons la responsabilité de transmettre la Voie du zen. Nous devons réfléchir aux bases nécessaires pour que le lieu où nous pratiquons puisse véritablement être appelé zendo, c’est-à-dire un lieu dans lequel se pratique une dynamique basée sur les Trois Piliers du Bouddhisme : Bouddha, Dharma, Sangha !

Nous pouvons très bien tenir compte de « l’évolution » des mentalités, mais sans perdre la direction transmise depuis des siècles. Le monde a certes évolué, mais l’esprit ordinaire est resté le même. Ceci veut dire que, plus que jamais, nous devons rester vigilant pour éviter de tomber dans les pièges que nous tend notre société confuse et en quête de facilité. La pratique de zazen n’est en rien « démodée » et reste toujours le chemin idéal pour celles et ceux qui ont choisi de le suivre et qui ont le désir de pratiquer sincèrement les Trois Trésors.

Nous devons comprendre que la pratique de zazen est totalement enracinée dans mushotoku, elle est au-delà des dualités et des limitations générées par notre égo. Dans la pratique de zazen, mushotoku est l’aspect qui fait toute la différence avec une autre pratique. C’est une pratique dans laquelle on ne cherche pas à obtenir ou même à réaliser quoi que ce soit. C’est un état d’esprit qui ne s’attache à aucun résultat, qui ne cherche aucun profit personnel, aucun but. C’est la différence fondamentale qui caractérise la pratique de zazen par rapport à toute autre pratique de méditation.

Même si cela peut déplaire à certains, une méditation quelle qu’elle soit (Mindfulness ou autre Pleine conscience) qui n’intègre pas les Trois Trésors dans sa pratique n’est pas un chemin spirituel et encore moins religieux. Sans un état d’esprit religieux, dans le sens de « se relier à sa propre nature de Bouddha », autrement dit sans Bodaishin (l’esprit d’Eveil), zazen n’est pas authentique et ne pourra de surcroit pas honnêtement être appelé zen.

Le dojo est un lieu de pratique où nous apprenons à nous connaitre, avec l’aide de la sangha. Sur quelles bases pourrions-nous nous appuyer pour prétendre aider les autres, si nous ne savons pas nous-mêmes qui nous sommes ?

Les Trois Trésors : le partage (la Sangha), l’enseignement (le Dharma) et zazen (Bouddha), nous donnent les bases, les outils, pour donner corps à nos Vœux. Dès lors, dans la vie de tous les jours, chacun l’exprimera de la manière qui lui convient ou cela se fera en suivant l’Octuple Sentier et dans le respect des Préceptes. Chacun pourra trouver la manière appropriée par laquelle il exprimera sa pratique, et il n’y en a pas qu’une seule ! La voie du zen est unique, mais son expression est multiple. Les valeurs telles que sagesse, compassion, etc. ne doivent pas être conditionnées par le « Je veux, je désire » mais être la conséquence d’une pratique forte et régulière, de Bodaishin !

Lorsque nous pénétrons la Voie du zen, nous devons réfléchir si nous voulons véritablement pratiquer le zen de Dogen. Soyons sincères avec nous-mêmes, car il me semblerait totalement vain de dépenser de l’énergie dans une Voie, si nous n’en n’embrassons pas totalement ses valeurs.

Pour ma part, c’est la Voie que j’ai choisi de pratiquer et d’enseigner.