Lettre au Dojo – Intimité

Traductions ABZE disponibles (PDF) :     

Par Antonio Taishin Arana du dojo Genjo de Pampelune/Iruña, le 7 janvier 2021.

« Notre expiration est celle de l’univers entier.
Notre inspiration est celle de l’univers entier.
De cette façon, à chaque instant
nous accomplissons la réalité de la grande œuvre.
Avec cet esprit, nous faisons disparaître tout malheur
et nous engendrons le bonheur absolu ».

Kodo Sawaki

En ce début d’année, nous nous rappelons cette phrase de Kodo Sawaki à propos de la respiration, cette amie fidèle qui nous accompagne toute notre vie, depuis que nous commençons à inspirer et jusqu’à la mort, avec notre ultime expiration.
Quand nous y portons notre attention et nous en apercevons, nous le faisons de manière consciente … Et quand ce n’est pas le cas, la vie s’en charge et nous sommes « respirés » par elle. Belle pratique que celle de lâcher et de seulement s’en apercevoir, observer que nous sommes « respirés » sans intervention par notre propre respiration.

D. Lucio, Maître de la seconde école qui nous a accompagné pendant 8 à 10 ans, est celui grâce à qui nous avons connu Bodhidharma et son geste de se tailler les paupières quand il s’est endormi et les a jetés par terre, donnant naissance à la plante de thé. Il nous questionnait en nous donnant comme devinette : « Qu’est-ce qui va toujours avec vous ? » « Qu’est-ce qui va avec toi et exprime toute ton humeur ou ton découragement ? »

Je nous souhaite de pouvoir nous asseoir dans la plus grande simplicité qui nous soit possible, et de laisser de côté les expectatives, « les idées sur… », de lâcher, laisser aller, de pouvoir nous dépouiller, oublier, nous défaire du corps et de l’esprit et que – dans cette nudité – nous puissions laisser zazen fasse zazen, retrouvant ainsi notre intimité profonde.

Dans le « Denkoroku », Maître Keizan nous raconte une histoire zen sur Ryozan Enkan :

Ryozan Enkan était disciple de Maître Doan Kanchi et responsable de son bol et de son kesa. Un jour qu’ils se dirigeaient vers le dojo, Ryozan s’aperçut que Doan entrait au dojo sans porter son kesa. Il a donc couru pour le lui apporter tout de suite. À ce moment, Doan Kanchi lui demanda :
« Quelle est l’affaire, la grande tâche que nous devons résoudre sous le kesa ? »
Ryozan Enkan resta silencieux : il ne savait pas quoi répondre.

Doan Kanchi insista :
« Il n’existe rien de plus pénible que d’étudier la Voie de Bouddha et de ne pas comprendre cette affaire. Maintenant posez-moi votre question ».
Alors Ryozan Enkan lui demanda :
« Quelle est l’affaire, la grande tâche que nous devons résoudre sous le kesa ? »
« L’intimité, la propre intimité », a répondu Doan Kanchi, avec sa gentillesse légendaire…
À ce moment-là, Ryozan Enkan atteint le grand Eveil. Il se prosterna en sanpai et ses larmes de gratitude mouillèrent le kesa.
Et à ce moment-là, Doan Kanchi lui dit :
« Maintenant que tu as atteint le grand Eveil, pourrais-tu l’exprimer ? »
Ryozan Enkan répondit par l’affirmative. Et Doan Kanchi lui demanda à nouveau :
« Quelle est la grande affaire à résoudre sous le kesa ? »
« Intimité », a répondu Ryozan Enkan
« Intimité, Intimité », a répliqué Doan Kanchi.


Keizan nous dit alors dans le Denkoroku : « Et maintenant, dites-moi, comment pourrait-on communiquer cette intimité ? ».
Et il a écrit le poème suivant :

« La transparence de l’eau
nous permet de voir le fond.
La perle resplendit naturellement
sans qu’on ait besoin de la tailler, ni de la polir ».

Si la grande tâche, la grande affaire que nous avons à résoudre, c’est l’intimité de notre visage originel, le visage « d’avant la naissance de nos parents », le « non-né », tout ce que nous avons construit, cumulé, fabriqué depuis lors, est de trop.
Donc, nous pouvons nous en débarrasser.

Je vous souhaite dans ces temps où tant de personnages nous apportent des choses : Olentzero, les Rois Mages, le Père Noël et le Tió, Saint Nicolas… je vous souhaite qu’ils ne vous apportent Rien !

Crédit photo : Eric Tchéou