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Bruno Bonduelle, Toulouse (France)
Une personne qui venait occasionnellement au dojo depuis un an nous a envoyé un message pour nous dire qu’elle ne viendrait plus. À la fin de son message, elle précisait : « Si la pratique de zazen et la philosophie du zen me parlent, les aspects rituels et communautaires ne sont pas vraiment pour moi. » Peut-on pratiquer zazen sans les aspects rituels et communautaires ?
Les aspects communautaires, c’est la Sangha.
Quand on vient au dojo, quand on fait une retraite ou un camp d’été, on est un pratiquant parmi d’autres pratiquants. Avec les autres pratiquants nous formons une Sangha, une communauté de pratiquants qui suivent les enseignements d’un maître. Or il est enseigné que le Bouddha, le Dharma et la Sangha sont trois Trésors. Pratiquer en lien avec une Sangha est donc un Trésor pour la pratique. En quoi est-ce un Trésor ?
La Sangha, un Trésor ? Est-ce que ça veut dire qu’on est toujours comme une famille bienveillante se comportant comme des amis, des frères, des sœurs ? Non, il n’y a pas toujours de la bienveillance. Les autres pratiquants sont comme nous, des humains avec leurs limites et leurs défauts : ils peuvent nous agacer, il peut y avoir des crises…
Alors pourquoi la Sangha est-elle un Trésor ? Pourquoi une pratique qui ne serait que solitaire ne serait pas la pratique de la Voie ? On peut donner maintes réponses, mais il y en a une première qu’on a tous un peu expérimentée en zazen, c’est que d’être ensemble dans le dojo, c’est un soutien. Cela nous aide à ne pas bouger. Telle personne à côté de nous a une belle posture, pleine d’une énergie que l’on ressent et qui nous influence. Telle autre personne a une détermination, une motivation qui nous interpelle, nous entraîne. Telle autre a une posture bancale et cela nous montre que la perfection n’est pas un but en soi, n’est pas le but de la Voie : il convient de pratiquer comme on est.
Un autre aspect important de la Sangha, c’est qu’en tant que pratiquant, on sait que zazen nous aide à observer comment nous fonctionnons, comment notre ego est le résultat de nos conditionnements, une illusion créée par nos désirs de permanence, de continuité. On observe les pensées qui passent et on apprend comment ces pensées agissent et créent de la souffrance. Pratiquer ensemble nous aide à remettre notre ego à sa place.
Quelqu’un qui pratique tout le temps seul peut finir par développer un certain narcissisme de son « moi », une paix intérieure factice qui ne serait jamais dérangée par d’autres. La pratique au sein d’une Sangha, avec les samu, les activités partagées, offre des occasions de frotter son ego, de le confronter, d’observer combien nos idées préconçues – et en particulier l’idée qu’on se fait de soi – génèrent de difficultés et de souffrance. Bien sûr, on peut trouver aussi cela dans toute société humaine, mais ici, dans une Sangha, on sait que cette observation des pièges de nos esprits nous permet d’essayer de dépasser nos conflits, de les aborder sans détour. On est tous d’accord en tant que pratiquants pour essayer de faire face à ces pièges de nos esprits avec patience et bienveillance.
Alors si la Sangha nous dérange, c’est que l’on fait fausse route dans notre pratique. Pratiquer ensemble côte à côte, malgré les tensions, malgré nos petitesses, nous fait ensemble toucher à plus grand que nous, nous aide à faire confiance ensemble en une réalité au-delà de nous. Ça nous permet de nous retrouver dans la pratique de zazen au-delà des mots.
Et sans ce dépassement des limites de son petit ego, il ne peut y avoir de libération. La pratique de zazen n’est pas une pratique de bien-être mais une pratique de libération. On se libère à côté des autres et avec les autres.
La pratique de zazen sans la Sangha, ce n’est plus la pratique de la Voie.
Pour les aspects rituels, c’est un peu différent…
On peut complètement pratiquer la voie sans aucun rituel.
Les rituels, c’est quoi ? L’autel, le Bouddha, faire gassho, les cérémonies… Tout cela n’est ni nécessaire, ni obligatoire : ça représente une certaine forme de protocole qui pourrait aussi être différent.
Ce n’est pas nécessaire, mais ça apporte une aide. Cela permet d’harmoniser la Sangha. Il est parfois difficile, subtil, de ressentir l’énergie du groupe des pratiquants dans la pratique de zazen face au mur. C’est beaucoup plus facile de la ressentir, de se laisser transporter par un chant, une cérémonie commune qui libère et transforme l’énergie.
Et tout ce rituel nous montre que ce que l’on pratique ici est différent de tout ce qu’on vit dans le quotidien. Notre pratique nous permet de retrouver notre condition normale, mais pour faire ce retour, nous avons besoin de faire un pas de côté. Le rituel nous aide à prendre ce recul, à marquer le fait qu’on sort de notre bulle quotidienne.
Parfois, le mot « sacré » est utilisé : je n’aime pas trop ce mot, parce qu’il donne l’impression de quelque chose d’exceptionnel et qui sort du normal. Alors que ce qu’on fait ici et maintenant dans le dojo est le retour à notre condition normale. Le rituel permet de souligner, de marquer ce pas de côté. Les aspects rituels, les symboles, nous aident à nous préparer et à nous mettre dans un état d’ouverture et de lâcher-prise. C’est le pas de côté qui nous permet d’accéder à cet espace vaste qui nous ouvre à tout l’univers.
Le rituel nous aide à nous mettre au diapason de l’univers. Tous ces petits artifices, le Bouddha, les bougies, les cérémonies… sont un peu comme le diapason pour un orchestre : un outil, un moyen pour donner le « la » et harmoniser tout l’orchestre. Ces artifices sont là pour nous aider à nous harmoniser avec l’univers.
Crédit Photos : Eric Tchéou