Traductions ABZE disponibles (PDF) :
Question à Patrick Pargnien :
Bonjour Patrick,
Je suis profondément touché par les massacres au nom de Dieu.
Si tu as écris à ce sujet je serai très intéressé d’en prendre connaissance.
Je pense que notre « religion” doit aussi réfléchir à ses dérives possibles en se dépouillant de tout objet d’attachement (idéologie, concepts, maître, rituels, mise en avant des textes…) source possible de division et de guerre pour ne garder que zazen et les préceptes.
Réponse :
Bonjour,
Je comprends que tu sois touché car c’est terrible ce manque de conscience et de sagesse… et je le suis également. Je n’ai rien écris à ce sujet (cela pourrait être un sujet…) mais je peux t’écrire en quelques lignes ce que j’en pense.
« Dieu » a toujours eu et a toujours « bon dos » pour justifier les différentes exactions qui sont commises, pour justifier cette violence qui nous habite en tant qu’être humain prenant racine dans la peur, et notamment dans la peur de la différence qui amène irrémédiablement à l’exclusion.
Combien il est difficile pour nous êtres humains d’entrer en relation, c’est-à-dire oser entrer dans la différence, dans l’espace de l’autre et oser laisser l’autre entrer dans son espace, dans sa différence, sans perdre sa singularité. L’autre qui peut être le vivant dans son ensemble(minéral, végétal, animal…) mais aussi une situation, un événement.
Nous sommes des êtres fondamentalement d’amour mais non-réalisés, séparés de cette source et donc avec l’illusion fortement ancrée que nous sommes séparés. Et ce sentiment de séparation, de césure génère la peur, la colère ou la violence.
Ce sentiment de séparation qui a pour origine l’ignorance; l’ignorance de « notre » dimension la plus vaste.
Et ainsi nous créons tout un réseau de structures, de systèmes auxquels nous nous attachons, nous nous identifions et qui nous rassurent ou plus exactement qui rassurent le système conditionné.
Et pour ne pas perdre ces « appuis » sur lesquels s’est construit notre personnalité, notre manière de vivre, nos croyances, nous sommes prêts à défendre ce « territoire »…
Alors, avant tout, je pense qu’il est important de ne pas se désolidariser de tout ce qui se passe dans le monde car il est un reflet fidèle de ce qui nous habite, de nos conditionnements. Car le conflit, la souffrance, l’exclusion, la violence, la peur etc… existent en nous et c’est donc de notre responsabilité(dans le sens de donner une réponse) de retourner le regard à 180 degrés en nous-mêmes pour éclairer ces différents états d’esprit qui s’expriment en nous et dans notre entourage direct.
Les éclairer pour qu’ils perdent de leur puissance et qu’ils cessent de conduire notre vie.
Mais il est tout aussi important de voir et d’être conscient de la beauté qui est dans ce monde et en nous-mêmes, et qui habite chaque être.
La voie du Zen est une très belle voie, profonde tout autant dans la pratique qu’elle propose que dans son enseignement; véhiculant des valeurs essentielles s’adressant au coeur de l’être mais, par contre, à mon sens il est important de ne pas la définir comme une religion et hélas l’institution actuelle a tendance à vouloir en faire une religion voire, peut-être, une nouvelle église.
Mais, pour ma part, le Zen n’est ni une religion ni une philosophie et c’est la saveur de cette voie; que nous ne puissions pas la définir, la nommer, l’enfermer dans un concept. Au mieux, nous pouvons la considérer comme une voie spirituelle, c’est-à-dire une voie qui « s’occupe de l’esprit » au travers d’une pratique.
Qu’elle soit méditative dans l’assise ou dans les différentes actions de la vie et qui permet ainsi que les conditions les plus favorables soient réunies pour que la lumière silencieuse de l’éveil se réalise. Pour que l’être humain s’accomplisse dans sa totalité.
Et en tant que «spirituels », êtres étant engagés dans un cheminement de libération, de transcendance, nous devons effectivement rester très vigilants à ne pas cristalliser les formes, ni à se cristalliser sur elles.
D’une certaine manière de jouer avec elles pour ne pas les confondre avec l’essence, le coeur. Seulement des formes. C’est vrai que souvent les textes sont mis en avant et peuvent à la longue devenir des dogmes alors que leur sens profond et leur raison d’être est de nous inspirer, et d’être une inspiration nous accompagnant sur le chemin. Alors, je pense, qu’en tant qu’enseignants, transmetteurs de la voie il est essentiel de toujours « garder » cela à l’esprit.
Cette voie spirituelle du Zen qui, au fil des époques, des cultures et des êtres humains qui l’ont pratiquée s’est structurée, formalisée au travers de différentes règles, cérémonies etc… effectivement gagnerait à se dépouiller. Pas nécessairement de tout enlever mais comme je l’écrivais plus haut de jouer avec, de créer des ruptures, de la simplifier pour l’adapter à la réalité d’aujourd’hui que, la grande majorité des êtres qui sont engagés dans cette voie, le sont en vivant dans le monde.
Et cela, il est important de l’assumer pleinement ; de vivre cet appel, ce souffle du spirituel dans la vie des conventions humaines comme étant une voie à part entière.
Car la voie et l’éveil sont au-delà de toute forme dans le sens où ils sont « l’expression » de l’inconditionné. C’est le chant invisible, silencieux de l’insaisissable.
Le chant de l’éveil, de la lumière silencieuse est comme l’oiseau qui se pose librement sur la branche d’un arbre. Personne ne l’a appelé, ni ne l’a attiré. Personne ne peut l’attraper.
Alors, souvent, comme tu le sais, l’écueil de l’institution est de s’emparer d’un format, de le retirer de son contexte (époque, culture…) et de chercher à le faire coïncider à la réalité d’aujourd’hui. Et ce manque de souplesse, de liberté… peut générer une cristallisation qui est toxique pour la recherche et donc pour le cheminement spirituel et le chercheur(se)…
Mais, parfois les formes sont utiles, parfois elles ne le sont pas; l’essentiel est de ne pas les prendre pour ce qu’elles ne sont pas, de ne pas les confondre avec le coeur de la voie.
Je suis d’accord avec toi, il y a un dépouillement nécessaire pour que la voie spirituelle s’adresse directement au coeur de l’être et n’offre pas trop de nourriture à l’état d’esprit de division mais cela est lié aussi à la manière d’enseigner et à la sagesse de celui ou celle qui transmet…
De cœur à coeur,
Crédit Photographie : Eric Tchéou