Accompagnement Fin de VIe - Photo : Eric Tchéou

Accompagnement d’enfants atteints de maladie incurable

Accompagnement d’enfants atteints de maladie incurable et soutien à leur famille

Par Heike Gründken, dojo de Werne – 2013 (Allemagne)

Résumé : Heike accompagne des enfants atteints de maladies incurables, et apporte du soutien à leur famille. « Réfléchir sur ses expériences, sur la perte et le deuil, n’est pas seulement une condition préalable pour quelqu’un qui souhaite être accompagnateur, mais c’est aussi un trésor d’expérience dans lequel on peut puiser », nous dit-elle. Elle illustre sa pratique par de nombreux exemples vécus, des expériences concrètes de son quotidien et les demandes qu’elle reçoit. Même lorsqu’une solution immédiate n’existe pas, le dialogue et l’écoute active permettent de définir avec les familles le meilleur accompagnement. La fonction la plus importante de l’hygiène psychologique personnelle est de réfléchir sans cesse à la question de savoir qui nous sommes et quelle relation nous avons avec nous-même. « Quelle est ma position dans la vie dans la confrontation avec la souffrance, le fait de mourir, la mort et le deuil ? » « De quel soutien ai-je besoin moi, pour pouvoir accompagner les autres sur leur chemin de vie ? »

Ce qui m’a mise sur ce chemin

Quand j’avais 28 ans, enceinte de mon premier fils, j’étais heureuse, mais en même temps mon père a attrapé le cancer. Mon fils Simon est né un vendredi, et le dimanche midi je me suis allongée pour me reposer, j’étais très détendue, à mon réveil on m’a annoncé que mon père était mort, Il était dans le même hôpital, deux étages plus haut. Il avait attendu la naissance de mon fils pour mourir.

C’était ma première rencontre consciente avec le fait qu’il y a la naissance et la mort, il y a la joie et le deuil. Plus tard, ma mère est tombée malade d’un cancer, je l’ai soignée pendant 9 mois, on avait demandé de l’aide à une unité de fin de vie (« hospice » en allemand). Je voulais l’accompagner de la meilleure manière et les dames de l’équipe m’ont donné beaucoup de force et d’énergie, elles m’ont dit comment je pouvais l’aider et comment préparer mes enfants, en parler avec mon mari.

 A cette période j’ai rencontré Roland et zazen, et je faisais ma première sesshin à Grube Louise, au mois de mai. Alors j’ai continué à faire zazen, et j’ai rencontré l’accompagnement à l’unité de soins palliatifs, ensuite ma mère est décédée le jour du septième anniversaire de mon deuxième fils.

Ensuite j’ai passé deux ans en deuil, car en fait j’ai commencé le deuil de mon père après la mort de ma mère. A cette époque, j’ai eu un coup de fil d’une dame de l’association allemande des centres palliatifs pour enfants, elle m’a proposé de faire partie d’un service ambulant palliatif. Et comme juste auparavant je m’étais décidée à prendre un nouveau chemin professionnel, le coup de fil arrivait juste au bon moment, et j’ai commencé à travailler dans ce domaine.

Des expériences dans l’accompagnement des enfants et de leurs familles

Mes expériences dans l’accompagnement ont comme axe essentiel le travail en centre de fin de vie pour enfants.

J’aborde trois 3 aspects :

  1. L’aspect spirituel
    Dans l’usage linguistique allemand le mot spirituel est utilisé depuis les 2 années 60. Je me réfère à la définition de Ida Lamp dans le contexte du travail hospitalier: la spiritualité c’est : « La quête de l’être humain pour trouver le sens existentiel de sa vie, sa souffrance et sa mort, … les sources et le but de l’existence. »
  2. L’aspect structurel
    Le travail d’unité de fin de vie pour enfants a un cadre bien défini, une structure qui offre la formation et qui est constituée d’une équipe de bénévoles. Cette structure fournit un appui et les moyens pour qu’il y ait une entraide et coopération dans l’équipe.
  3. L’Aspect de soutien
    Comment peut se faire le soutien dans le travail de centre pour enfants pratiquement ?

La famille dans la vie

Comme je l’ai vécu, j’étais enceinte et mon père était mourant. Vie et mort se sont côtoyés. Si je prends le modèle habituel des familles que j’accompagne, il y a une famille qui attend un enfant, se réjouit à la perspective d’une vie de famille heureuse et en bonne santé, et puis ils apprennent le verdict d’un diagnostic : l’enfant est atteint d’une maladie incurable qui va écourter sa vie qu’il perdra pendant l’enfance ou la jeunesse.

Il y a les étapes suivantes qui caractérisent le parcours de ces familles: Le diagnostic – vie – perte des capacités – deuil (de l’enfant en bonne santé) – mourir – mort – deuil.

En tant que bodhisattva et ancienne coordinatrice d’un service ambulant d’enfants, j’ai accompagné plus de 30 familles.

  • Des familles qui ont demandé du soutien directement après le diagnostic,
  • Des familles qui demandent un soutien quelques années après avoir reçu le diagnostic de la maladie incurable de leur enfant et qui font face à la situation depuis un certain temps,
  • Des familles dont l’enfant atteint d’un cancer, va mourir dans les semaines ou mois à venir,
  • Des familles qui ont déjà perdu un enfant et qui ont besoin de rester en contact avec le centre, pour échanger, partager leur vécu, et même pour participer aux petites fêtes que nous organisons.

Ma fonction la plus importante était de consacrer du temps pour dialoguer et d’écouter.

Même si j’ai rencontré des situations de vie douloureuses, dans des circonstances différentes, tous, ont des besoins semblables. Si j’en parle c’est aussi pour souligner que chacun d’entre nous peut prendre part à un accompagnement.

  • Par une présence avec grande compassion, en écoutant, répondant aux questions et apportant du soutien où c’est souhaité.
  • En rencontrant la famille avec respect et acceptation, sans conditions.
  • En créant un contact régulier et fiable basé sur l’écoute et un accompagnement sincère et compatissant.
  • Mais le soutien c’est avant tout une présence affectueuse et de la circonspection.

Christine Longaker, une disciple du bouddhisme tibétain qui a une expérience de travail en unité de fin de vie depuis plus que 20 ans, a dit :

« Plus que tout ce que nous faisons ou disons, c’est notre manière d’être qui aide l’homme qui souffre. Notre manière d’être c’est toute notre position de vie avec toutes ses expériences, les heureuses et les malheureuses.»

Dans un mondo, Roland Y. Rech a dit au sujet de la compassion :

«La contemplation en zazen nous rend intime avec ces processus. On voit très bien comment on fonctionne. Dans la rencontre avec l’autre on peut rapidement découvrir ce qui se passe en soi et on peut se dire : « Ça, c’est moi. » On s’efforce de garder un esprit ouvert pour découvrir l’autre tel qu’il est.»

Et je rajoute qu’il faut aussi écouter et savoir ce que veut l’autre, essayer de comprendre ce qu’il veut vraiment.

Accompagnement et soutien dans le cadre du travail d’accompagnement d’enfants

C’est la famille qui définit de quelle manière elle veut être accompagnée et de quel soutien elle a besoin. Ces besoins sont parfois très différents.

Les enfants ou les jeunes malades souhaitent quelqu’un pour jouer, bricoler, faire la cuisine, faire la lecture, mais ils aiment aussi pouvoir poser des questions importantes au sujet de mourir et de la mort qu’ils n’ont pu poser à personne. Les parents souhaitent parler.

Les frères et sœurs aiment aussi avoir de la visite, faire quelque chose de beau ou pouvoir poser enfin des questions qu’ils n’ont jamais osé poser non plus. C’est la fonction de l’accompagnant et de la famille de formuler ensemble les besoins.

  • Il faut parler pour identifier les besoins de la famille
  • Lorsque les besoins sont bien formulés clairement, il faut réfléchir sur la manière d’apporter le soutien.
  • En raison de compétences et expériences différentes, chacun à son niveau est sollicité pour s’exprimer et agir. Je dis ça parce que chacun est capable de le faire, pas seulement les professionnels.

Devenir actif oui, mais comment ?

Les conditions d’intervention sont le point de rencontre entre le besoin de la famille et ce que l’accompagnant peut offrir.

D’après ce qui a été convenu, identifié comme besoins, on définit les moyens, c’est en fait l’entrée en fonction de l’accompagnant. Ceci signifie pour chaque accompagnant d’accepter les besoins de la famille comme mesures, directives pour ses propres actions. C’est une fonction de service qui est déterminée par les buts et le cheminement de ceux qu’on accompagne. Ce qui est aussi important pour chaque accompagnant c’est de se rendre compte de ses limites d’intervention et du champ d’action.

Limites pratiques

Lorsque la famille a un besoin qui mène l’accompagnant au-delà de ses limites, il faut qu’il l’exprime et il faut réfléchir à d’autres pistes : qui ou quoi peut soutenir la famille dans son besoin. Il y a par exemple la possibilité de bénéficier de support supplémentaire auprès de réseaux auxquels la famille peut participer : suivant les régions géographiques, il y a :

  • des services ambulants pour enfants
  • des unités de fin de vie pour enfants à l’hôpital
  • des centres pédiatriques palliatifs
  • des services d’assistance ambulante
  • des services de soutien familial
  • des offres de soutien spirituel ou religieux
  • des groupes d’entraide pour une maladie particulière
  • des offres de loisir ciblées
  • des réseaux pour les proches d’enfants décédés

Limites personnelles : « Qui suis-je ? »

La bonne volonté et la motivation mobilisent sa personne ainsi que son temps, mis à disposition de ceux qui sollicitent de l’aide. Dans le travail d’accompagnement d’enfants, j’ai rencontré des gens avec des motivations très différentes. Voici quelques exemples de motivations pour l’engagement bénévole :

Une femme a dit : « Mes enfants sont grands. J’ai tellement eu de bonheur avec ma famille que je veux en faire profiter d’autres. »

Ou une autre : « Moi-même j’ai été dans une situation difficile avec mon enfant et je sais à quel point c’est important d’avoir du soutien. Je sais ce qu’il me manquait et je veux être là pour les autres. »

Un bénévole m’a dit que sa motivation était fondée sur le fait qu’il faisait le soutien et l’accompagnement aussi pour lui-même. Ça lui permettait d’apprendre davantage et d’aborder sa propre mortalité, soit par les formations, soit par les rencontres dans l’accompagnement.

Les limites personnelles peuvent être exacerbées lorsqu’on vit des situations de5 crises personnelles. Si on vit une telle situation, qu’on est immergé dans ses propres problèmes, on n’a éventuellement pas assez de distance pour soutenir les autres. Ça peut être le cas d’un deuil aigu, des profondes expériences de perte, qui ne sont pas encore suffisamment assumées ou surmontées, et qui donc ne laissent pas de place et de disponibilité pour procurer un accompagnement.

Quand on accompagne, c’est important de se mettre en situation et de se poser la question suivante : « Comment je réagirais si j’apprenais le diagnostic d’une maladie incurable ? » On apprend qu’on va mourir dans six mois au plus tard, quelle position de vie va-t-on prendre ? Quelles angoisses et espoirs montent et comment faire avec ça ? La confrontation personnelle à la perspective de mourir, la mort et le deuil rendent plus fort. Réfléchir à ses expériences, la perte et le deuil, n’est pas seulement une condition préalable pour quelqu’un qui souhaite être accompagnant, mais c’est aussi un trésor d’expérience dans lequel on peut puiser. Par ma propre histoire j’avais ce trésor d’expérience. J’ai accompagné beaucoup de familles. Chacun devrait connaître ses propres limites et savoir jusqu’à quel point un accompagnement est possible. Il devrait être conscient de sa propre conception de la mort. En étant conscient que chaque être humain développe sa conception de la mort suivant l’éducation, la culture et la société dans lesquelles il a grandi, on devrait accepter l’autre et être capable de comprendre « son monde » de phénomènes. A partir de cette connaissance on est capable de développer une compréhension pour ceux qu’on accompagne et donc de les soutenir de manière plus appropriée.

Soutien et accompagnement du point de vue pratique

« Le plus important, c’est que vous vous exprimez tel que vous êtes, sans vouloir vous adaptez d’une manière exagérée ou artificielle. » Shunryu Suzuki

Dans le contact avec des enfants ou des jeunes, lorsqu’ils posent une question, par exemple : « Pourquoi dois-je mourir ? », le plus important c’est de leur donner une réponse honnête. On pourrait dire : « Je ne peux pas te répondre mais qu’est-ce que tu crois, toi ? »

La réponse pourrait être une invitation à avoir une conversation qui souligne notre présence. Nous écoutons, nous compatissons et nous sommes tout près. Lorsque des enfants parlent de leur situation, ils ont besoin de compassion et de présence. Un accompagnant peut exprimer ses sentiments sincères concernant le fait de mourir, la mort et le deuil, si l’enfant ou le jeune a préalablement abordé ce sujet. Lorsqu’un enfant parle de ses angoisses, on peut lui demander : « De quoi as-tu peur en particulier ? » On peut répondre à la question de l’enfant avec une question pour alimenter la conversation.

Mais aussi, les petites actions ordinaires comme dessiner, bricoler, faire de la lecture, écouter de la musique, regarder des vidéos peuvent être des manières pour6 prendre contact, établir une relation et commencer à parler.

On doit savoir dans l’accompagnement que suivant l’âge des enfants et des jeunes, ils ont une manière différente de considérer la mort. Ils développent, en fonction de leur culture et leur éducation, différentes conceptions de la mort. Autrement dit, nous développons des images, des notions et des conceptions pour expliquer la mort. Entre 6 et 10 ans les enfants sont particulièrement ouverts au sujet de la mort. Il est nécessaire que les enfants soient accompagnés d’une personne familière qui les écoute, à qui ils peuvent poser des questions, qui a du temps et qui est simplement là. Les enfants se sentent souvent coupables parce qu’ils pensent que leurs pensées peuvent déclencher quelque chose.

Quand un enfant s’est disputé avec un membre de famille et puis s’il a pensé à la mort de l’autre, et si après ce membre de la famille meurt, l’enfant croit qu’il est responsable de sa mort.

Il est important de communiquer clairement que ce n’est pas de sa faute.

Après une conversation on peut demander à l’enfant de répéter ce qui a été dit, pour cerner ce que l’enfant a compris. Si l’enfant reste perturbé, il vaut mieux continuer à parler avec lui, parler de situations similaires, de regarder des livres d’images.

Lorsqu’un enfant vit le décès d’un membre de famille, il peut apprendre à le gérer à tout âge. Il a besoin d’affection, d’attention, d’être consolé et de la présence et sympathie de personnes familières. Souvent les parents sont débordés par leur propre deuil. Ce sont des amis ou autre adultes qui lui sont familiers qui peuvent prendre cette fonction.

On peut parler de la mort, si l’enfant est prêt, ou suivant l’âge, chercher des explications dans des livres d’images, ou aller au cimetière, ou l’inviter à participer à la conception de l’enterrement, etc.

Si l’enfant a des angoisses ou un sentiment de malaise, on peut réfléchir ensemble, à ce qui lui ferait du bien. On peut proposer différentes choses suivant l’âge, p.ex. préparer un bon repas, une bonne boisson, sentir des arômes, allumer une bougie, on peut développer toutes sortes d’idées. Ce qui est important, c’est la présence dans un cadre familier.

Photo : Eric Tchéou

Exemples de vécus et d’expériences concrètes illustrant le travail d’accompagnement d’enfants

Louis

Le diagnostic. Un coup de fil au service ambulant d’enfants. Je décroche et j’écoute une mère. Elle me dit que depuis quatre semaines elle sait que son fils Louis de quatre ans est malade d’un trouble incurable du métabolisme, et qu’il vivra au maximum jusqu’à l’âge de 10 ou 12 ans.

Alors que je l’écoute et je me pose les questions suivantes :

  • Comment va se développer cette maladie ?
  • Que pouvons-nous faire ?
  • Est-ce qu’il y a une famille dans le service à qui je peux demander comment ça se passe ?
  • Quand est-ce qu’il va mourir ?

Je ne peux pas résoudre ces questions. Mais je peux écouter activement et proposer un rendez-vous. À ce rendez-vous j’invite une autre mère dont l’enfant décédé présentait un diagnostic similaire. La mère vient, les deux femmes se parlent, on pose beaucoup de questions et parle de ses expériences.

Pour la mère qui vient d’avoir ce diagnostic, c’est une consolation de voir qu’il y a quelqu’un d’autre qui a vécu la même chose qu’elle. Ça lui fait du bien d’entendre le vécu de l’autre mère, comment elle avait réagi et s’était adaptée au diagnostic. L’autre mère lui a aussi donné des conseils et des idées, pour maîtriser différentes situations de la maladie. À la fin la rencontre, les mères ont décidé de rester en contact.

Par la suite, la famille a participé régulièrement aux groupes des familles du service ambulant des enfants, pour parler. Ils ont également posé des questions pratiques quant à l’assurance dépendance (invalidité) ou aux activités de loisirs proposées. Aujourd’hui Louis a 8 ans. La famille participe très activement dans un groupe d’entraide. Elle suit son chemin qui est au premier plan dirigé par Louis.

Jean

Petit-déjeuner au service ambulant de l’hospice d’enfants. Une mère se présente et raconte pour quelle raison elle est venue. Son fils Jean a cinq ans. Depuis sa naissance il a une forme de leucodystrophie avec des limitations physiques et psychiques et une espérance de vie réduite. Il va mourir pendant l’enfance. Elle cherche un échange, pour parler des possibilités et comment aborder les difficultés de la vie quotidienne. Par les autres mères elle apprend qu’un bénévole du service ambulant de l’hospice d’enfants peut accompagner la famille une fois par semaine.

Je deviens la coordinatrice de cette famille et le contact s’intensifie. Un an plus tard la mère me parle d’une forte aggravation de l’état de son fils. Elle dit qu’il n’est presque plus capable de manger seul et elle pense qu’il ne sera peut-être plus jamais capable de réapprendre à manger. Elle a du mal à accepter cette nouvelle situation. Je l’écoute, je pose des questions et je lui parle d’autres familles qui étaient dans des situations similaires. Nous prenons rendez-vous.

La mère doit faire face à ce deuil de l’enfant qui était autonome pour manger, peut-être aussi Jean lui-même, parce qu’il a toujours bien aimé manger seul sa tartine. Ensuite, elle a aussi une petite fille plus jeune. Elle me demande conseil pour gérer cette situation.

Dans notre service il y a des bénévoles formés. Alors je lui ai proposé qu’un bénévole lui rende visite une fois par semaine pour jouer avec sa fille ou prendre une tasse de thé et parler avec la mère de ses problèmes, souhaits, attentes et de son quotidien. La mère a accepté et on a organisé un soutien. Maintenant on se voit régulièrement pour voir si l’accompagnement se passe bien ou s’il faut changer quelque chose.

Aujourd’hui Jean reçoit ses repas par un tubage dans la paroi abdominale. On met la nourriture dans une seringue qu’on injecte dans l’accès. Quand sa jeune sœur Juliette fait des promenades avec la femme bénévole, elle apporte sa poupée et prévoit bien-sûr quelque chose à manger pour la poupée. Quand la poupée a faim, Juliette sort une seringue et l’injecte dans le ventre de la poupée…

Luc

Accompagnement d’une famille avec un enfant qui a le cancer Luc a 10 ans. Il y a deux ans il tombait malade avec une tumeur au cerveau. La mère racontait qu’après un an de thérapie il s’est rétabli. Il était prévu de faire des visites de contrôle tous les six mois.

Mais déjà avant la première visite de contrôle Luc ne se sentait pas bien et sa mère remarquait aussi des choses inhabituelles. La visite de contrôle a confirmé la présence de trois tumeurs dans le cerveau et des métastases à la colonne vertébrale.

On a proposé à la famille une chimiothérapie et un accompagnement palliatif. La mère a accepté et elle cherchait en plus le soutien d’un centre d’accompagnement d’enfants. C’était sa manière de gérer le diagnostic. Elle parlait toujours du parcours de la maladie de Luc et elle décrivait l’ici et maintenant.

Dans cet ici et maintenant a commencé notre soutien. Pendant les cinq derniers mois, deux personnes bénévoles ont accompagné régulièrement Luc, sa sœur et la mère. Le père ne vivait pas avec la famille, il était accompagné par le service et plus tard, juste avant le décès de Luc, par nous. Nous avons écouté, nous étions compatissants et nous étions simplement présents.

Pendant cinq mois on a eu des longues conversations au téléphone avec la mère. Nous parlions du processus de mourir :

– « Est-ce qu’il aura mal ?
– Avons-nous suffisamment de médicaments antidouleur ?
– Est-ce qu’on pourra le garder à la maison ? »
On évoquait aussi l’enterrement :
– « Comment et où il peut-il être enterré ?
– Est-ce on trouvera un accord avec mon ex-mari ? »

La famille était bien préparée. Je pense que Luc était aussi bien préparé. Deux jours avant sa mort on lui a rendu visite, Luc était paisible dans son lit. Il a accroché son petit doigt au mien et il hochait doucement de la tête. C’était un adieu sans mots.

Pendant les jours qui ont suivi, la famille a organisé l’enterrement sans notre soutien. Ils nous ont demandé de préparer des ballons avec des petites cartes et de les lâcher après la cérémonie commémorative.

Accompagnement de deuil

En principe le deuil n’est rien de grave. La manière dont les enfants vivent le deuil, nous permet d’observer le coté naturel du deuil. Les enfants pleurent, ils crient, ils sont furieux ou au contraire ils sont tout à fait calmes. Ils ont mal au ventre ou ils ont envie de rien ou ils ne peuvent pas se concentrer. Mais un instant plus tard, la confiance revient, ils courent sur la pelouse et ils jouent au ballon. Le moment de deuil arrive et puis il passe.

Roland Y. Rech a enseigné dans un mondo : « La pratique de zazen nous permet de digérer mieux les émotions de la vie quotidienne. C’est-à-dire, de ne pas les repousser lorsqu’elles surgissent, mais d’être en contact avec elles et de leur donner de l’espace. Quand on est triste, on est complètement triste. On va jusqu’au bout de la tristesse et on laisse passer. C’est comme un nuage qui passe. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus de nuages, mais qu’ils ne restent pas, ils passent. »

En général on peut dire qu’on traverse différentes phases sur le chemin du deuil. Elles ne doivent pas être terminées définitivement et vécues dans un certain ordre. Les enfants et les adultes ont des manières différentes de vivre le deuil. Les adultes pataugent dans la rivière et les enfants sautent dans les flaques.

Je trouve que les quatre stades du deuil, définies par l’américain William Worden décrivent bien le chemin de deuil :

  1. Accepter la réalité de la perte au niveau mental et sentimental
  2. Traverser la douleur du deuil
  3. S’adapter à un environnement dans lequel la personne décédée n’est plus là
  4. Donner à la personne décédée une nouvelle place et se tourner vers sa propre vie

Dans cette période de deuil, les rituels sont une bonne source de force et d’énergie et un bon accompagnement.

Adrien

Mourir

Lundi, 24.01.2011. (Aujourd’hui c’est une commémoration) Après une sesshin avec Roland Y. Rech j’ai repris mon travail comme coordinatrice avec ma collègue dans une réunion organisationnelle.

Puis il y a eu un coup de fil de la famille :

La sœur de la mère nous informait que Adrien était décédé cette nuit. Adrien avait 13 ans. Il était lourdement handicapé par une maladie qui réduisait son espérance de vie. Mais pour le moment il était stable et on ne s’attendait pas à son décès. Comme chaque matin, sa sœur jumelle Clara est partie à l’école, puis sa mère est allée voir Adrien qu’elle a retrouvé mort dans son lit.

La mère nous a demandé : « Comment le dire à sa sœur Clara ? » Elle rentrait le midi et ne se doutait de rien.

Nous sommes tout de suite allés voir la famille pour la soutenir. Quand on est arrivé, un homme des pompes funèbres était déjà dans la chambre et le corps de Adrien était déjà dans une housse. Les membres de la famille étaient dans le couloir et pleuraient. J’ai demandé si je pouvais voir Adrien. La mère m’a permis d’aller dans sa chambre. Le sac était déjà fermé mais l’employé des pompes funèbres l’a ouvert pour que je puisse faire mes adieux.

Par la suite la mère m’a demandé comment Adrien avait l’air. Je lui ai décrit mon impression : un garçon tout à fait détendu qui dormait paisiblement. C’était exactement la réponse importante pour la mère parce qu’elle se reprochait de ne pas avoir été aux côtés de Adrien au moment où il mourait. Elle ne pouvait pas supporter l’idée que Adrien ait pu souffrir. Plusieurs fois, le même jour et les jours suivants, la mère me posait la même question : « Comment Adrien avait-il l’air ? » Clara est rentrée de l’école. La famille lui a dit que Adrien ne s’était plus réveillé ce matin-là, qu’il s’était endormi et qu’il était décédé, que les pompes funèbres l’avaient déjà emporté et qu’il serait enterré comme son papa. La famille s’embrassait et pleurait ensemble. Ma collègue et moi, nous étions avec eux, nous étions là, présentes et prêtes à répondre à leurs demandes. Nous étions réunis autour d’une table avec une tasse de thé et nous parlions. Clara parlait aussi, nous disait que la veille elle s’était beaucoup occupée de Adrien, ça lui faisait du bien de parler. Nous avions faim. Clara et moi, nous sommes allées ensemble à la pâtisserie acheter du gâteau, et nous parlions de l’enterrement. Clara n’était pas décidée, elle ne savait pas encore si elle voulait participer à l’enterrement.

D’un coup, nous nous sommes mises à courir, nous avons acheté le gâteau et avons couru pour retourner à la maison, alors qu’Clara n’est plutôt pas une sportive et n’aime pas vraiment courir. Nous avons bu le thé et mangé le gâteau. Nous avons allumé une bougie pour Adrien et avons parlé de la soirée.

De quoi la famille a-t-elle besoin ce soir pour être bien à la maison et pour pouvoir dormir ?

Avec l’intervention de la tante et des voisins la famille a trouvé une solution. Alors nous avons quitté la famille et promis de téléphoner les jours suivants. L’organisation de l’enterrement est différente dans chaque famille. En parlant, on essaie de trouver ce qui peut soutenir la famille.

Le planning pour Adrien était déjà défini. Il devait être enterré comme son père mort cinq ans plus tôt. Un soutien n’était pas nécessaire. J’ai proposé de lancer des ballons à la tombe comme derniers adieux. Sa mère et sa sœur aimaient bien cette idée et Clara s’est finalement décidée à venir à l’enterrement.

L’enterrement a eu lieu le jeudi.

On a préparé les ballons et on les a distribué après la cérémonie. À la tombe chacun a lâcher un ballon. Anna était très triste et pleurait beaucoup. Les membres de l’unité d’accompagnement des enfants étaient à ses côtés. Le reste de la famille était également triste. On était tout près l’un de l’autre.

Nous avons accepté l’invitation de les accompagner pour le café après l’enterrement. Nous écoutions et répondions à beaucoup de questions. Tout le monde se souvenait11 de l’enterrement du père, c’était comme un déjà vu.

Nous, les membres du service des enfants, étions considérés comme ceux qui s’y connaissaient, qui savaient comment ça se passe. C’était nous qui donnions de la force à Clara et sa famille.

Après il y a eu encore beaucoup de rencontres avec Clara et sa mère. Une bénévole allait voir Clara une fois par semaine pour lui parler ou pour faire quelque chose ensemble.

S’occuper de soi

Ce qui est le plus important pour bien s’occuper de soi, c’est de réfléchir sans cesse sur qui nous sommes et quelle relation nous avons avec nous-mêmes. « Quelle est ma position dans la vie dans la confrontation avec la souffrance, le fait de mourir, la mort et le deuil ? »

Reconnaitre ses propres souhaits et besoins et bien s’en occuper.

« Quel soutien ai-je besoin moi, pour pouvoir accompagner les autres sur leur chemin de vie ? »

Mon chemin

J’ai rencontré beaucoup d’émotions. La Voie me permet de retrouver de l’énergie. La pratique de zazen, dans le groupe ou dans les sesshin, me procure cette force. Les sesshin comportent deux cérémonies qui sont très importantes pour moi et mon travail, la cérémonie du kito, et la cérémonie des morts. C’est l’énergie de ces cérémonies qui m’aident à faire mes adieux à ceux qui sont décédés et à envoyer de l’énergie à ceux qui sont gravement malades.

Les rituels me montrent clairement que nous faisons partie d’un ensemble. Le rapport au cosmique devient réalité.

Aussi, je veille à avoir une hygiène corporelle en prenant une alimentation équilibrée et faisant des exercices dans la nature.

La vie de famille et mes bons amis me soutiennent dans ma force.

Comme à un moment ma famille a eu plus besoin de mon énergie, j’ai arrêté le travail dans le service ambulant au mois de mai l’année dernière. Aujourd’hui je fais la formation des bénévoles, et, à la demande, de l’accompagnement de jeunes et d’enfants atteints d’une maladie incurable.