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Interview de Nelly Tereszkiewicz, dojo du Castellet
Nelly est nonne zen et bénévole à l’association « ASP – Association des Soins Palliatifs » dans le sud de la France.
Bonjour Nelly. Qu’as-tu fait jusqu’ici dans le cadre de ton action d’assistance aux personnes en fin de vie?
N.T. : Ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, ce sont des accompagnements de fin de vie pour des personnes de tous âges, puisque c’est un service d’oncologie. Intéressant… Ce qui m’a frappé surtout, ce sont les épouses qui accompagnent les maris mourants. Elles sont au bout de la chambre dans un coin et elles sont là, mal certainement, alors là c’est intéressant parce que, souvent, je leur dis : « appelez-le. » Alors elles l’appellent et, c’est marrant, le mourant a une réaction. Alors là, elles ne savent pas, elles ne se sentent pas de le toucher, de lui parler … Je leur dis : « vous savez, il comprend, il comprend tout. Dites-lui tout ce que vous avez à lui dire, ce que vous avez passé de bon, que vous l’avez aimé, un tas de choses… » Voilà. Et la personne qui meurt réagit, on dirait qu’elle attend quelque chose.
Parfois, je rentre dans une chambre et il y a des femmes qui n’acceptent pas du tout. Elles semblent dire « je suis là, je suis l’épouse, je reste avec mon mari ! » Il y a vraiment une résistance. Au début, cela m’a fait mal, ça me secouait. Je me disais : « Elles imaginent quoi ? ». Je suis parfois allé demander à l’infirmière si je n’étais pas habillée trop sexy !
Pour les personnes en fin de vie, certains sont révoltés. De toute façon, chaque cas est différent. Tu as celui qui est révolté et qui en veut à la société entière et puis tu as l’autre qui voit qu’il reste très peu de temps… Mais c’est intéressant… A moi, ils m’apportent beaucoup tous ces gens-là. Plus que ce que je ne leur apporte. Je ne dis rien, hein ! Je les écoute… Des fois, je leur prends la main (Nelly rit). C’est positif quoi…
Et ils t’apportent dans quel sens ?
N.T. : Ils savent qu’ils vont mourir et ils t’apportent tout leur vécu. Quand je rentre chez moi, c’est secret, mais je dis simplement : « Tiens, aujourd’hui je suis allée dans un camp de concentration » car j’ai rencontré une petite polonaise qui a un cancer des poumons et qui m’a dit : « ce n’est pas par hasard que je fais un cancer des poumons, j’ai fait Auschwitz. ». Tu te rends compte. Elle est morte deux jours plus tard. Un autre a fait la guerre d’Algérie. Il me raconte tout ça.
Dans ces cas-là, qu’est-ce que tu fais ?
N.T. : J’écoute, j’écoute. Ils doivent le voir aux yeux parce qu’ils me disent : « ça vous intéresse hein ? Je vous porterai des livres… » Ou des fois, ils me disent : « Ça va ? Vous avez passé une bonne semaine ? » C’est beau… Ou ils sentent que tu es en communion avec eux et puis tu lâches. Je crois qu’il faut lâcher, il faut lâcher ses problèmes quand tu rentres sinon ils le sentent. Je pense que le mourant est très très sensible… Quand j’arrive, je dis simplement : « Tiens, je vous ai apporté un peu de pluie » s’il a plu, ou de soleil. Voilà, c’est tout.
J’ai vu une jeune dame d’environ 40 ans. Une fois. Non deux fois. Elle ne me parlait pas. Une autre fois, je rentre et je dis : « c’est encore moi ! ». Elle me dit : « Vous ne voulez pas réparer mon portable ? » Je prends le portable et j’arrive à le réparer. Par hasard car je n’y connais rien ! Et là ça part… Elle n’avait pas vu son fils depuis longtemps. J’ai appris qu’il est venu avant qu’elle meure. C’est beau, tu vois, ce n’est pas grand-chose mais voilà. Il y a une pudeur chez certains, surtout chez les jeunes. Il y a une pudeur puis après, ça lâche !
Qu’est ce qui t’y a amené finalement ?
N.T. : A accompagner les mourants ?
Oui !
N.T. : Comme je l’ai dit au psychologue du groupe de parole (il y a un groupe de parole mensuel pour accompagner les accompagnants), je suis passé du savoir-faire au savoir-être. Avant, quand j’accompagnais un mourant, je l’accompagnais sur le plan médical. Attention qu’il ne souffre pas physiquement, etc… Là, je l’accompagne différemment, j’accompagne la vie jusqu’à la mort, c’est le cas de le dire. Et le peu qui reste, on est là ensemble, je le prends par la main, « je l’aide à passer » si l’on peut dire, c’est un bien grand mot… Donc, c’est différent d’avant…
Avant, tu étais infirmière ?
N.T. : Sage-femme ! Après, j’ai été surveillante dans un centre de soins de suite gériatrique. C’était différent. J’avais la blouse blanche… C’est marrant de quitter la blouse. Avant j’étais capable de dire : « Tiens, celui-là, dans 3-4 heures, il ne sera plus là… » Maintenant je ne vois plus les choses pareil. Je sais qu’il va mourir mais je suis incapable de dire dans une heure, deux heures, un jour. Je suis là avec lui et le temps importe peu. Quand les familles me disent : « il y en a pour longtemps ? » Je leur dis : « Restez avec lui, je ne sais pas… ». En plus c’est vrai, je ne sais plus ! La psy ne comprend pas mais trouve cela très intéressant. (Nelly rit) Je pense qu’il faut être présent là ! Toucher s’ils le veulent. S’ils ne veulent pas, tu ne les touches pas. Il y a beaucoup d’échanges.
Donc toi, tu ne le vis pas comme un prolongement mais comme quelque chose de différent de ce que tu faisais avant ?
N.T. : Oui, je pense. Je ne suis pas capable de rester sans rien faire !
Tu pourrais faire de la peinture ou du macramé…
N.T. : Je me suis occupé de naissances. Là, c’est une autre naissance ! C’est une co-naissance. Je vais avec quelqu’un qui va mourir. Je ne me pose pas de questions. C’est une continuité. J’ai été sage-femme, puis j’ai été dans un service d’oncologie, puis en gériatrie, et maintenant… palliatifs (rire) ! C’est un chemin je pense. C’est un chemin. Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de la mort quand on décide d’accompagner. Ça je le pense. Mais quand on a commencé les formations, on était vingt, à la fin, on n’était plus que douze ! On a senti dans les réunions qu’il y en avait qui avaient peur. Je pense que la pratique là-bas, c’est d’écouter et d’accepter l’autre comme il est, dans sa colère, sa révolte. Parfois ils te jettent de la chambre.
Est-ce que tu veux dire que la pratique te permet d’accepter ces situations de rejet ?
N.T. : Oui, d’accepter l’autre comme il est, d’accepter ses insultes, car parfois ils t’insultent… Je suis passée, je l’ai vu et voilà… Je souris, je m’en vais. C’est normal qu’ils soient parfois comme ça. Pas de dualité, ne pas couper la parole, laisser l’autre parler, le laisser croire ce qu’il doit croire… Parfois, il y a des questions sur l’ « après ». Je réponds : « Je n’y suis jamais allée… » « Et s’il n’y a rien ? » « S’il n’y a rien, vous ne serez pas déçu car vous ne croyez en rien, s’il y a quelque chose, ce sera bien, ce sera une surprise ! »
Les gens que tu accompagnes, tu leur dis que tu pratiques le zen ?
N.T. : Non, je ne leur dis pas. Une fois, une femme m’a dit : « Qu’est-ce que vous êtes zen ! ». Il m’est arrivé que des gens me demandent comment je peux être aussi tranquille ? Alors là, je leur dis.
Qu’est-ce qu’ils disent ?
N.T. : Ça ne m’étonne pas ! Une des dames à qui je l’ai dit connaissait notre dojo et notre responsable, François. Elle lui a dit : « je crois que je vais partir en paix… ». C’est beau, hein ? Pourtant je ne fais rien. Je crois juste que lorsqu’on pratique, on est plus authentique.
Tu penses que tu aurais fait de l’accompagnement si tu n’avais pas été pratiquante ?
N.T. : Je ne pense pas. Il y a parfois des gens qui sont très agressifs, des familles aussi…J’avais un ego ! J’en ai toujours un ! Mais avant, je pense que je n’aurais pas accepté, je me serais révoltée. On essuie beaucoup de réflexions. Souvent on me dit : « Mais qu’est-ce que vous venez faire ? » Certains m’ont dit : « Je n’ai pas d’argent à vous donner ! » ou « vous êtes témoin de Jéovah ? ». On est souvent mal reçus. Je souris, je rigole et je repars.
Tu vois, je suis surpris car je ne pensais pas à l’agressivité et à la révolte devant la mort. Et cette agressivité, on a effectivement besoin de l’adresser, et le premier à qui on peut l’adresser…
N.T. : Oui ! Avec les infirmières, souvent ils n’osent pas ! Alors… Mais, au fond, même si on repart tout de suite, je pense que notre visite leur fait du bien. Une étrangère qui vient pour rien, je pense qu’au fond, cela leur montre qu’ils sont encore là, ils sont encore présents et ils sont encore intéressants pour quelqu’un d’autre que leurs proches.
Tu veux dire que tu acceptes l’agressivité sans la renvoyer ?
N.T. : Oui, sans la renvoyer. Et là, cela vient vraiment de la pratique. J’y retourne chaque fois avec le même calme, avec le même sourire et souvent, finalement, ils acceptent. Il y a une confiance qui naît. Une fois une personne m’a dit : « vous voulez que je vous dise quoi ? Que j’ai peur de mourir ? Eh bien non, je n’ai pas peur de mourir ! ». J’ai simplement répondu doucement : « je vous écoute, dites à moi et à tous ce que vous avez à dire, le bien ou le mal, dites-le ». Elle a été surprise puis elle était contente. Même dans la vie courante, il ne faut pas attendre pour dire les choses. C’est une renaissance, c’est super ! Je l’ai aussi expérimenté dans ma vie personnelle. Je pense qu’avec la pratique, on est plus capable d’aller écouter au plus profond de la personne, on est plus capable de ne pas s’arrêter seulement à ce qu’elle dit. Sans rien dire… Seulement l’écouter, la toucher, suffit pour rentrer en empathie.
Est-ce que tu donnes des conseils ?
N.T. : Quelque fois, cela m’arrive. Je dis simplement aux gens de respirer, se détendre, se concentrer sur leur respiration… Voilà, c’est tout… Parfois, je leur montre le hara, je leur dis : « C’est là ! ». Une dame m’a dit : « Depuis que je fais ça, je sens moins ma douleur. » Parfois, je leur propose de visualiser quelque chose de positif et qu’ils ont aimé, le soleil, un oiseau. On essaie de trouver ce qui est le mieux pour la personne.
Est-ce que cela t’arrive de penser à eux pendant zazen ?
N.T. : Oui, ça m’arrive parfois. Un flash, des fois… Par contre, je vais les voir le lundi tout de suite après le zazen. C’est bien parce j’ai déjà lâché tous les soucis personnels !
As-tu des projets particuliers ?
N.T. : J’ai le projet d’accompagner des mères qui perdent leur bébé et je suis déjà en contact avec une association pour essayer de développer ce point dans notre région. Les diagnostics de malformation fœtale sont aussi des situations très douloureuses. C’est horrible pour les mères lorsqu’on leur annonce que leur enfant a une malformation et que, d’une façon plus ou moins directe, on leur soumet un choix. J’ai vécu dans mon travail les malformations fœtales dans les années 70 liées au talc… Je suis sûre que, dans ces situations, la pratique aide à accueillir ce qui arrive et à être dans la voie juste… (Depuis cette interview, Nelly a accompagné une jeune femme confrontée à une interruption médicale de grossesse).
Merci Nelly et bonne continuation.
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