Le Temps

Traductions ABZE disponibles (PDF) :     

Par François San-Gyo Baude, Consultant et Coach

– « Tu as pensé à… »
– « Excuse-moi, je n’ai pas eu le temps »

Combien de fois par jour entrons-nous dans ce dialogue avec les autres ou avec soi ?
Et pourtant tout est mis en œuvre pour nous faire gagner du temps : TGV plus rapide, connexion internet avec plus de débit, fast-food, etc. Résultat : nous avons l’impression d’être un monde de course, de fuite en avant, sous la dictature du temps. 24 heures par jour, c’est vraiment trop court.
Quand nous ne faisons « rien », un sentiment de culpabilité peut nous envahir, nous nous devons même en vacances d’avoir une grande activité : plongée, visites, sports, lectures… Hé oui ! les semaines de travail, je n’avais pas eu le temps, les week-ends étaient trop chargés, mais là je rattrape le temps perdu. Et quand nous sommes confrontés à quelque chose qui nous paraît inintéressant, où bien qu’on se surprenne à ne rien faire, nous nous disons « je perds mon temps ! »
Résultat : Le temps devient une dictature qui procure une souffrance permanente. Quand est-ce que cela va s’arrêter ?
Mais lorsque nous nous posons cette question, « quand est-ce que cela va s’arrêter ? », cela nous renvoie à notre propre mort et cette peur de ne pas avoir fini, réalisé quelque chose. Et donc pour ne pas perdre de temps, nous repartons dans la dictature du temps.
Sur la base de ce constat, comment trouver d’autres voies, concevoir une autre manière d’aborder le temps pour sortir de cette souffrance ?

Le temps, qu’est-ce ?

Notre représentation du temps est une sorte de flot continu, inarrêtable, qui se déroule selon une logique passé – présent – futur. Mais est-ce une réalité concrète ?
Cette représentation du temps « occidentale », logique, est conçue par notre cerveau grâce à deux capacités : la mémoire (le passé) et l’imagination (le futur). Nous trouvons cela très logique et donne au temps une réalité « tangible ». Le temps prenant alors une dimension « matérielle » (on le mesure, on le calcule, il prend une dimension concrète, réelle à nos yeux) nous sommes alors capable de le gagner, le perdre, le gaspiller, voire même de le tuer ! Alors notre cerveau qui est très « joueur » se promène avec délice entre le passé et le futur.
Vous avez donné un coup de volant pour éviter le chien, votre voiture est dans le fossé. Sur le bord de la route vous vous dites :
-Pourquoi j’ai donné ce coup de volant ? (Passé)
-Pas aujourd’hui, j’ai une réunion importante à 9 heures ! (Futur)
-J’aurai dû freiner (Passé)
-Et puis la voiture doit être foutue (Futur)
-Tout ça à cause de ce type qui a laissé divaguer son chien (Passé)
-Je vais encore me faire rappeler à l’ordre (Futur)
-Etc.

Et pendant que notre tête se promène entre la culpabilité du passé et la peur du futur, notons au passage que c’est un excellent moyen de se pourrir la vie, de se mettre en souffrance soi-même, nous n’agissons pas… Et le temps défile !
Regardons de plus près :

  • Le passé n’existe pas, il n’est que la représentation mentale que l’on s’en fait. En effet, ce que nous avons en mémoire n’est pas forcément la réalité de l’époque. Par exemple, si vous revisitez un lieu de votre enfance, vous aurez tendance à le trouver tout petit.
  • Le futur n’existe pas, il n’est que la construction mentale que l’on s’en fait.

Alors regardez le temps que nous passons dans 2 mondes qui n’existent pas, à nous pourrir la vie la plupart du temps, sur des constructions purement mentales, comparé au temps que nous passons dans le présent à agir ou à profiter de l’instant présent… Comme ce merveilleux lever de soleil !
Seul le présent est réel.

« Rien ne se passe dans le passé, cela s’est passé dans le présent, rien ne se passe dans le futur, cela se passera dans le présent. Le passé n’est qu’un ancien moment présent mémorisé, le futur n’est qu’un moment présent imaginé. Lorsque le futur arrive, c’est sous la forme du présent. Le danger de s’échapper du moment présent, c’est le danger de passer à côté de sa vie. »
Gérard Chinrei Pilet, maître de la tradition zen.

A ce stade, nous comprenons donc que cette représentation du temps sous la forme passé/présent/futur n’est qu’une construction intellectuelle et n’a rien de concret, matériel et tangible. Cela nous ouvre les premières portes pour sortir de la souffrance liée au « temps » :
– Si dans une situation donnée ma construction mentale passé/présent/futur m’apporte du bonheur et de l’efficacité : je la garde
– Si au contraire elle m’apporte de la souffrance, je la change… Ce n’est qu’une construction mentale !
Bien entendu dans ce dernier cas, ça ne veut pas dire que nous avons les ressources immédiates pour changer cette construction, mais nous savons que c’est possible et donc nous rentrons dans une démarche active pour acquérir les ressources nécessaires et non subir.

« L’expérience bloquante n’est pas dans le monde, elle est dans mon esprit »
Stephen Gilligan

Mais alors, le temps ça peut être quoi d’autre ?

Nous venons de voir que ce qui paraissait concret et réel, un temps qui se déroule selon le schéma passé/présent/futur n’était qu’un concept purement intellectuel, lié au fonctionnement de notre cerveau d’être humain. Toutefois, il ne faut pas rejeter cette approche qui peut être bien pratique dans la vie courante pour planifier, prendre des rendez-vous, stocker de l’information.
Y-a-t-il d’autres types de temps que nous vivons, ressentons ?
Pouvoir élargir nos perceptions, acquérir d’autres façons de voir, d’agir, va permettre de nous adapter à plus de situations. Si nous faisons une micro-analyse, nous pourrions dire qu’il existe autant de types de temps différents que de personnes sur cette terre.
Edward T. Hall nous propose 9 grands types de temps (La danse de la vie. Temps culturel, temps vécu. Editions du seuil)

● Le temps biologique :

C’est le rythme interne d’une forme de vie pour rester en harmonie avec l’environnement auquel elle doit s’adapter. Par exemple jour/nuit, chaud/froid, humidité/sécheresse, saisons, marées, etc. Nous le ressentons lors de nos voyages avec le décalage horaire qui dérègle cette horloge interne. Le temps biologique du crabe et des huîtres est fonction du flux et du reflux des marées. Les expériences de Michel Siffre dans des grottes, déconnecté du rythme solaire et sans repères horaires (par exemple montre, liens réguliers avec la surface, etc.) a montré que notre temps biologique était plus proche de 25 heures que notre vie réglée sur les 24 heures d’une journée.

● Le temps individuel :

C’est notre perception personnelle du temps. Il est totalement subjectif par rapport à l’environnement et nos facteurs psychologiques. C’est la sensation d’un temps long qui n’en finit pas ou, au contraire, qui fuit. Le plus bel exemple est le match de football : il reste 5 minutes à jouer, votre équipe gagne 1 à 0. Combien de temps avez l’impression que durent ces 5 minutes ? A contrario, votre équipe perd 1 à 0 ; une fraction de seconde n’est-ce pas ?

● Le temps physique :

Grâce à l’observation depuis des millénaires de phénomènes physiques immuables (rotation du soleil, des planètes, durée du jour de la nuit, etc.) l’être humain a pu déterminer des résultats uniformes. Cela lui a permis de créer les notions de jours, de solstices, de saisons, de calendriers ; et donc d’étalon pour situer les évènements.
Le terme « temps physique » est dans le sens d’observations de phénomènes physiques immuables.

● Le temps métaphysique :

Nous pouvons le voir comme l’opposé du temps physique, ou son complément. Il est indépendant de notre expérience sensible et de notre connaissance ; c’est l’accès à un monde et/ou des processus qui existent « au-delà ». Il échappe au domaine des sens. Nous pourrions l’appeler « distorsion temporelle ». Concrètement, la plupart d’entre nous a déjà vécu des moments de « déjà vu », « déjà vécu » qu’on ne saurait expliquer. Des études sont régulièrement menées sur des personnes ayant vécu des expériences supra-sensorielles, assez extraordinaires, que l’on ne peut écarter comme témoignages démentiels.

● Le micro-temps :

C’est un système temporel spécifique à une culture, à une région.
Il est inconsciemment appliqué par les individus qui la composent.
Le micro-temps est un des éléments essentiels de la culture

● La synchronie :

Il a été découvert assez récemment que les personnes synchronisent naturellement leurs mouvements (Travaux de Grindler et Bandler en PNL, et dernièrement en neurosciences avec le cerveau « mimétique »). Au niveau d’un groupe, par exemple une ville, une entreprise ; cette synchronisation va donner un rythme propre à cette communauté. Chaque ville a son propre rythme. Il faut noter que les individus non synchrones dérangent et ne s’adaptent pas. Par exemple, c’est l’expérience que font les provinciaux qui arrivent à Paris, et qui ont l’impression que tout le monde courre. S’ils restent à leur rythme, ce sont des bousculades, voire des insultes.

● Le temps sacré :

Le temps sacré ou temps mythique se trouve lors de cérémonies. Lorsqu’on participe à la cérémonie on entre à la fois dans la cérémonie et aussi dans le temps de la cérémonie. On cesse alors de vivre dans le temps ordinaire, le temps « horloge », pour être dans un temps magique où on ne vieillit pas. Cela permet d’accéder au divin, au spirituel.

● Le temps profane :

C’est le temps qui domine aujourd’hui la vie quotidienne et ses aspects explicites, celui dont on parle, celui qu’on formule. Il s’exprime en secondes, minutes, heures, jours, semaines, années, siècles, etc. Il est considéré comme « allant de soi », alors que c’est une élaboration de notre civilisation. Comme nous disions précédemment, le fait de pouvoir le mesurer précisément, de le calculer, fait que nous avons tendance à lui donner une dimension « concrète » et donc de vouloir le maîtriser. On peut l’appeler aussi le temps « horloge ». S’il peut être source de souffrance, il est aussi très pratique dans la vie en société pour structurer, planifier et organiser. (Rendez-vous, prendre un train, etc.)

● Le méta-temps :

Sur la base des différents types de temps que nous venons de voir, le méta-temps est la somme des études, écrits, pensées de la part des philosophes, anthropologues, psychologues, et autres chercheurs sur le concept et la nature du temps. Ce n’est pas un temps au sens propre du terme, mais une entité abstraite, une théorie construite sur la somme de ces réflexions ayant des angles de vue très différents.

Zoom sur le temps des indiens Hopi 

Continuons d’élargir notre perception du temps, et pour cela voyons le mode de fonctionnement culturel des indiens Hopi aux Etats Unis vis-à-vis du temps. Les indiens Navajos s’en rapprochent sur certains points.

Pour mémoire, les occidentaux traitent le temps comme un flux continu « passé – présent – futur », très concret et réel car on peut le mesurer, lui donner une valeur numérique ; avec cette impression de pouvoir le maîtriser, le contrôler, le perdre, le gagner ou le gaspiller.

Pour les Hopis, le temps est vécu comme un éternel présent, ils vivent le « maintenant ». La vie est perçue comme un contact direct avec l’instant présent et son expérience. Par exemple, quand un indien Hopi dit « il a plu cette nuit », on sait que c’est le fruit de son expérience dans l’instant présent : il a lui-même constaté la pluie, ou bien un ami est rentré chez lui mouillé, ou bien il a vu le sol mouillé et en a déduit qu’il avait plu.

Comme pour les Hopis et les Navajos le futur est irréel et incertain, la perspective de profits futurs ne les motive pas et ne les intéresse pas. La notion de « en avance » ou « en retard » n’a aucun sens pour eux. L’expérience du temps est donc naturelle, comme la respiration et les saisons ; c’est juste un élément rythmique de la vie.

Vivre dans cet éternel présent fait que le temps n’est pas vécu comme un éternel tyran, ni assimilé à de l’argent, ni assimilé à un progrès quelconque. De ce fait le temps culturel de la réaction (dans le sens : temps nécessaire aux membres d’une culture pour faire face à une menace) varie beaucoup :
-Pour les occidentaux : la précipitation
-Pour les Hopis et Navajos : lent (ressentir, attendre un consensus)

Première piste pour aller vers le bonheur : l’Instant Présent

Nous voyons clairement maintenant qu’une principale source de souffrance (que nous nous infligeons tout seul !) est la capacité qu’a notre cerveau de nous promener dans 2 mondes imaginaires, le passé et le futur en passant à côté de la seule chose concrète : le présent.

Cette souffrance est alimentée par l’erreur dans le passé, « pourquoi j’ai fait ça ! si j’avais su » où on culpabilise, qui fait qu’automatiquement on se propulse dans un futur sombre « je ne m’en sortirai jamais », pour revenir dans le passé « j’aurai dû faire ça… ». Revoir notre exemple sur la voiture dans le fossé.

Pour aller dans le registre émotionnel sous-jacent, nous nous apercevons que cette mécanique passé-futur crée, alimente, solidifie notre émotion peur. Autant la peur est une émotion bénéfique qui nous permet de fuir un danger (le saut de côté quand le bus nous frôle) et donc disparaît quand le danger bien réel est éloigné, autant elle est destructrice quand nous l’alimentons par des constructions mentales irréelles. La peur peut se transformer alors en angoisse, en névroses.

Outre cette culpabilité, cette peur « passé-futur » est bien souvent liée à la peur de perdre quelque chose (orientation passé) et la peur de ne pas atteindre quelque chose (orientation futur). Cela peut faire raisonner une peur très profonde liée à notre existence et notre appréhension de la mort.
Et pendant ce temps-là, nous passons à côté du concret, du réel, des bons moments et de notre faculté d’agir.

On ne peut agir que dans le présent. L’efficacité c’est « qu’est-ce que je fais maintenant pour améliorer le futur ».
Il y a un temps pour tout. Avoir une action juste, par exemple la cueillette du fruit mûr, ne peut se faire que dans l’instant présent. Pour agir de façon juste, il faut avoir une perception lucide de la situation, sans jugements de valeurs, sans émotions perturbatrices. Ce sont les pauses méditatives qui permettent de développer la clarté de l’esprit et nous entraînent à rester dans l’instant présent.
Plus ça s’accélère, plus je ralentis.

Arrêter de se mentir 

« Je n’ai pas eu le temps ! »
Menteur, menteuse !
Ce n’est pas que je n’ai pas eu le temps, c’est que j’ai fait un autre choix.
Une semaine, 168 heures. Et à l’intérieur de cette limite je passe mon temps à faire des choix conscients ou inconscients. Nous avons toujours le choix.

Ensuite, c’est de se poser lucidement la question : « quelles sont les conséquences de mon choix ? ». Si nous entrons dans cette mécanique intellectuelle « je n’ai pas le choix », cela veut clairement dire que nous laissons à l’autre le choix de décider de notre vie.

Revenons au temps profane.
Une semaine fait 168 heures. Enlevons 68 heures pour les fonctions vitales, boire, manger, dormir et aller aux toilettes. Comme leurs noms l’indiquent, elles sont vitales donc incontournables tôt ou tard. Il nous reste donc 100 heures par semaine pour faire nos choix de vie. C’est assez peu n’est-ce pas ! Entre le temps à consacrer à son travail, sa famille, sa vie sociale, son couple et du temps pour soi, que pour soi, qui a du sens…
100 heures par semaine, 5200 heures par an, 416 000 heures pour la vie d’une personne de 80 ans.

« Je n’ai pas eu le temps ! »
Menteur, menteuse !
Qu’as-tu préféré faire à la place ?

Par ce simple cheminement nous avons une autre clef pour sortir de la souffrance liée à notre représentation mentale du temps. Garder les choix qui sont bons pour nous et notre environnement, changer les choix qui s’avèrent, après expérience, toxiques. Qu’est-ce que je fais maintenant, lucidement pour améliorer le futur. Présent-futur.
100 heures par semaine, 5200 heures par an, 416 000 heures pour une vie pour donner du sens à sa vie, se réaliser, pour le moment venu pouvoir se dire tranquillement : « Je peux partir en paix »

Regard zen 

« La vérité ne se révèle que lorsqu’on renonce à toute idée préconçue »
Maître Gasan Joseki

Au travers de ce regard plus vaste sur la notion de temps, deux grandes clefs pour vivre notre rapport au temps avec bonheur :
● Vivre l’instant présent
● Être conscient de la justesse de nos choix et savoir les ajuster pour être en harmonie avec soi et ce qui nous entoure.

A la fin de la dernière méditation de la journée, dans la pratique du zen, vous entendrez :

« Avec respect, j’attire votre attention !
Chacun de nous doit clarifier la grande question de la vie et de la mort.
Le temps passe vite, comme une flèche.
Ne soyons pas négligent. »