Accompagnement Fin de VIe - Photo : Eric Tchéou

Propos sur l’accompagnement des personnes malades

Traductions ABZE disponibles (PDF) :        

Par Pascal Bratheau, dojo de Neuilly (France)

Résumé : A partir de sa pratique de moine zen et de bénévole auprès des personnes malades en fin de vie, Pascal Bratheau se demande comment répondre aux personnes en fin de vie par un accompagnement spirituel. La souffrance spirituelle appelle l’accompagnement spirituel. Il expose, dans cet article détaillé, quelques-unes de ses observations, et aborde deux questions principales : Quel rapprochement peut-on faire entre la pratique de la voie et l’accompagnement ? Quel pourrait être un accompagnement spirituel auprès des personnes vivant les derniers instants de leur vie ?
Il conclut en disant : « L’accompagnement est une authentique voie spirituelle. Il est le prolongement et quelque part l’actualisation de ma pratique de zazen. Il permet de faire vivre pour moi et pour l’autre la conscience d’être relié. Et la joie de se sentir vivant. »

Je vais vous présenter le plus clairement possible ce que je fais en tant que bénévole d’accompagnement auprès des personnes malades en fin de vie et mon engagement dans la voie du Zen. Vous faire part de certaines de mes interrogations et aussi des parallèles que l’on peut établir entre accompagnement et pratique de la voie.

Je suis bénévole d’accompagnement auprès de personnes malades, gravement malades et pour certaines d’entre elles en fin de vie. Je tiens particulièrement au terme de « bénévole ». Il se rapproche du mot « bienveillance », ce qui veut dire vouloir le bien pour autrui sans rien lui imposer. Rien imposer, c’est l’une des attitudes à respecter dans l’accompagnement et cela rappelle aussi : le juste être là de zazen.

J’exerce cette activité pour une association faisant partie de ce que l’on appelle la culture palliative. Cette culture palliative trouve son apogée dans les soins palliatifs, mais pas uniquement. On pourrait énoncer ce qu’est cette culture palliative comme suit :

« Quand on ne peut plus influencer le cours d’une maladie incurable, le malade n’en continue pas moins à demeurer un être vivant qui présente des symptômes, source de souffrance. Le traitement qui s’adresse à cette souffrance-là est palliatif en ceci qu’il ne traite pas la maladie, mais le malade. Il ne prétend pas guérir, mais soulager. »

Professeur René Schaerer

Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un vivant et sa mort comme un processus normal. Ils ne hâtent, ni ne retardent celle-ci. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible du malade.

J’ai exercé cette activité en milieu hospitalier et depuis quelques temps au sein d’un Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Deux questions que l’on va développer maintenant :

  • Quel rapprochement peut-on faire entre la pratique de la voie et l’accompagnement ?
  • Quel pourrait être un accompagnement spirituel auprès des personnes vivant les derniers instants de leur vie ?

Entendons « spirituel » dans son sens le plus profond. C’est-à-dire dans celui qui englobe tous les aspects d’une personne, aspects physiques, aspects psychiques, aspects sociaux et existentiels et bien sûr aspects spirituels.
Notons aussi tout de suite la différence qu’il nous faut faire entre le religieux, la religion et le spirituel.

Le questionnement religieux ne concerne que les croyants inscrits dans une religion. Tandis que le questionnement spirituel concerne chaque être humain, qu’il en soit conscient ou non. La dimension spirituelle est inhérente à l’homme.
Cela touche au plus profond de chacun d’entre nous, à notre essence, à notre véritable nature comme disent les bouddhistes. Et pas seulement à notre existence quotidienne et à ses particularités.

Le spirituel dans le cadre de l’accompagnement n’est pas de l’ordre d’un quelconque savoir mais plutôt de l’expérience d’une rencontre. Il n’est pas de l’ordre d’une quelconque croyance, mais plutôt de l’ordre de la confiance entre deux personnes qui vont aller ensemble pour un bout de chemin.
Pour le malade, la dimension spirituelle est dans le besoin et la nécessité de se sentir relié. Relié verticalement avec lui-même. Relié horizontalement avec les autres : la famille, les soignants, les bénévoles, la cité, etc.

La dimension spirituelle est donc avant tout de l’ordre de la rencontre et du lien.
Entendons aussi par spirituel la possibilité d’échange, de partage qu’il y aura entre deux personnes, entre le malade et le bénévole. A ce moment-là, dans cet échange-là, peut être qu’une occasion, pour chacun de se mettre au travail vis-à-vis de l’essentiel, se présentera.

On pourra dire alors que chacun accompagne l’autre.

Initialement la véritable demande d’un malade en fin de vie consiste à être pris en charge et qu’il n’ait pas mal, qu’il ne soit pas mal. C’est la dominante. Quand les choses sont en place, que le confort du malade est installé, il peut y avoir ce devenir, cette façon d’accéder progressivement dans une autre dimension de l’être.
Cela ne se dit pas. Ce n’est pas toujours formulable par la parole, mais c’est de l’ordre de l’acceptation et de la transformation.
Du fait du climat, du respect dans le service entre les soignants, les bénévoles et le malade, une telle mutation est possible.

Docteur Salamagne

Dimension spirituelle. Dimension physique. Dimension psychique. Dimension sociale. Dimension existentielle, religieuse.

Le bénévole d’accompagnement et la mort

Avant d’aller plus loin, il me semble essentiel de dire qu’un bénévole d’accompagnement, et qui plus est un bénévole d’accompagnement qui suit la voie du zen, doit avoir la certitude que la mort n’est pas une fin, en tout cas pas un échec.
Pas un échec dans le sens qui nous occupe maintenant. Nous ne retiendrons pas les morts par faits de guerres ou par assassinats qui là, sont un véritable échec pour l’humanité, comme le disait Maurice Zundel – Dominicain, poète et écrivain.

L’approche de la mort peut entraîner des déchirements terribles, mais parfois aussi de grandes ouvertures. Cela peut se jouer dans un sens, comme dans l’autre : de l’anéantissement, au fait de vouloir se mettre complètement au monde avant de disparaître.

La mort fait partie de la vie, c’est un événement à vivre, une réalité et peut être même la grande réalité qui peut éveiller. J’aime à dire aussi qu’elle peut être le véritable et le seul moment d’une renaissance. Le moment d’abandonner pour de bon l’ego.

C’est peut-être l’occasion de faire le dernier don à ceux qui restent. On redonne sa vie, on ne la perd pas.

En tout cas, comme le disait Elisabeth Kübler-Ross, pionnière des soins palliatifs aux Etats-Unis, la mort, l’approche de la mort devrait être considérée comme une étape importante de sa vie, comme la dernière étape de la croissance d’un homme.

Ne pas la louper.

D’où l’importance d’un véritable accompagnement.

Parallèle entre la voie du Zen et l’accompagnement

J’aimerais faire un premier parallèle qui, pour le bénévole d’accompagnement et le pratiquant de la voie que je suis, me semble assez important, en tout cas suffisamment pour m’apporter une certaine aide.

Il s’agit de l’expérience qu’a faite Shakyamuni il y a 2500 ans et qui changea radicalement le reste de sa vie, à savoir les 4 rencontres.

  • Le malade et la maladie
  • Le vieillard et la vieillesse
  • Le cadavre et la mort
  • Le moine à tête rasée et la sagesse

La maladie, la vieillesse et la mort, tout comme le Bouddha, chacun d’entre nous, que nous soyons bénévoles d’accompagnement, soignants nous en faisons l’expérience tout le temps dans nos activités. En ce qui concerne la quatrième rencontre, celle avec le moine à tête rasée, elle se fait par tous les contacts que l’on a avec les soignants et les autres bénévoles, (et aussi avec les familles). Toutes ces personnes soignantes et bénévoles sont de véritables Bodhisattvas au chevet des malades. L’accompagnement qui est pratiqué à ce moment-là est un véritable travail d’ami.
Ami bienveillant et, peut-être pour certain, parfois ami spirituel.

A partir de là, j’aimerais faire un deuxième parallèle. Construire, si j’ose dire, les quatre nobles vérités de l’accompagnement.

  • Première noble vérité : La fin de vie est souffrance. Souffrances physiques, souffrances psychologiques et souffrances spirituelles. Dans les souffrances psychologiques on peut y placer aussi les souffrances sociales, familiales et les souffrances existentielles rattachées à la religion.
  • Deuxième noble vérité : Les causes de ces souffrances sont assez évidentes : maladies et toutes les dégradations liées à la vieillesse, à la dépendance, aux accidents, à l’isolement sous toutes ses formes (familiale, sociale, mentales et autres).
  • Troisième noble vérité : Heureusement il y a possibilité d’atténuer aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, ces souffrances. Le progrès de la médecine, l’engagement des soignants et des bénévoles d’accompagnement dans les soins palliatifs en sont des preuves.
  • Quatrième noble vérité : Pour cela il faut suivre une voie et véritablement la développer. Cette voie est celle des soins palliatifs et de l’accompagnement des personnes fragilisées.

Cette manière de voir les choses me semble importante. Importante et vivifiante dans le sens qu’elle va relier le bénévole d’accompagnement, qui parallèlement suit une pratique de la voie, à une tradition qui le portera, le soutiendra et l’éclairera.

Le mariage harmonieux d’une voie d’éveil et de l’accompagnement dispose le bénévole à se situer dans la perspective d’une transformation croissante de l’être.

L’être est en devenir jusqu’au bout.

A ce moment-là nous reconnaissons l’autre, le malade comme notre semblable, comme notre reflet. Le malade, pour un temps, fait partie de notre vie, il nous importe d’être totalement ensemble sur ce chemin particulier qu’est la fin de vie.

Accompagnement et prise en charge des souffrances

En ce qui concerne les souffrances physiques et psychologiques, elles sont prises en charge avec beaucoup d’efficacité par les personnels soignants – médecins, infirmières, aides-soignantes, kinés, psychologues, assistantes sociales, etc.
Ces personnels assurent aux malades dignité, qualité de vie et, pour quelques-uns, une certaine autonomie. Tout est fait pour atténuer au maximum la douleur physique et par là même les souffrances morales.
Permettre ainsi au malade de conserver la meilleure image de lui-même possible.

En ce qui concerne les souffrances existentielles, et parfois les souffrances spirituelles, quand elles remontent à la surface de la conscience, ne peuvent être prises en charge, à mon avis, que par des bénévoles d’accompagnement. Bien sûr, au sein d’une équipe palliative, entre les soignants et les bénévoles, personne ne saurait prétendre être le spécialiste de ces questions. D’autant que chacun sera responsable, à un moment ou à un autre, de la souffrance existentielle et spirituelle d’un malade, et cela dans son propre champ de compétence.

La seule différence, c’est que les bénévoles d’accompagnement, contrairement aux soignants, n’ont pas d’impératif thérapeutique, n’ont pas de projet thérapeutique, et peuvent alors offrir aux malades le temps nécessaire. Il y a donc là une notion de temps qui intervient. Le temps des soignants n’est pas le temps des bénévoles, qui n’est pas le temps non plus des familles, qui n’est pas le temps du malade, etc.
Cette notion de temps, c’est le temps du cheminement.
Ce dont les malades ont le plus besoin, c’est d’être accueillis dans ce temps qui est le leur. D’y être reconnus, tels qu’ils sont, là où ils en sont, et d’être accompagnés pas à pas.

Ceci requiert avant tout humilité, ouverture d’esprit, capacité à entendre les silences et acceptation de ce qui nous dépasse.

Rien faire de plus que d’être là.

Nous avons considéré précédemment trois types de souffrances : les souffrances physiques, les souffrances psychologiques et les souffrances spirituelles.
Ceci voudrait dire qu’elles appartiennent à trois éléments constitutifs, ou encore trois corps, à savoir :

que les souffrances physiques sont rattachées au corps physique.
que les souffrances psychologiques sont rattachées au corps psychique, à l’esprit ordinaire, au mental.
que les souffrances spirituelles sont rattachées à quelque chose de plus essentiel en nous, de l’ordre de la conscience et que l’on pourrait appeler le corps spirituel.
Idéalement ces trois corps devraient être interdépendants et fonctionner en parfaite harmonie. Ce n’est malheureusement pas le cas dans la plupart du temps et c’est peut-être à cause de cela qu’une certaine insatisfaction nous pousse à pratiquer une voie d’éveil. Eveiller cet être tridimensionnel qui sommeille au plus profond de soi.

Habituellement une certaine harmonie s’organise entre les deux premiers corps. On dit souvent corps et esprit en unité, c’est de cet ordre-là. Mais en ce qui concerne le corps spirituel, il est souvent méconnu, voire totalement ignoré.

Et pourtant il est là, il n’est pas absent.

D’ailleurs dans certaines fins de vie, cela se vérifie : on a l’impression que le corps spirituel essaie de remonter à la surface. Cela doit venir du fait que le corps physique et le corps psychique se trouvant très amoindris, sans défense, une ouverture, un passage se fait pour lui permettre, peut-être, d’émerger. Dans ces phases-là, les malades découvrent des possibilités nouvelles, des interrogations qu’ils n’avaient pas eues jusque-là, des regrets de n’avoir pas vécu l’essentiel.
Cela peut être une chance pour faire un pas de plus.
Cela peut être une autre souffrance qui va se rajouter aux deux premières.

Alors, comment cela se passe-t-il ?

Ou comment accompagner quelqu’un qui ne le demande pas forcément ?

En préambule ces mots du professeur René Schaerer (principal fondateur de l’association Jalmalv) :

Il m’arrive, quand je suis au chevet d’un malade très dégradé physiquement ou mentalement, d’imaginer qu’il a été un enfant, un jeune homme ou une jeune femme plein de vie. Amoureux par exemple, père ou mère de famille. Je trouve que ça donne un autre regard et un autre sens à ce que l’on fait. De même que la personne a plusieurs dimensions dans le temps, elle a aussi plusieurs dimensions dans l’instant qu’elle vit. Je crois profondément que nous existons à travers les liens que nous avons avec les autres. C’est ce lien là qu’on essaie de faire vivre, non pas survivre, mais vivre dans les soins palliatifs et l’accompagnement.

René Schaerer

Ce qui est dit là, c’est la réalité de notre totale interdépendance les uns vis-à-vis des autres et la nécessité de rétablir du lien, élément fondateur de tout accompagnement.

Le lien, c’est re-lier, se relier, comme un pont entre deux personnes. C’est aussi la relation, et peut être davantage une rencontre. La relation serait plutôt du domaine social alors que la rencontre serait plutôt du domaine de l’intime, de la profondeur et pourquoi pas du spirituel.

C’est donc vers la rencontre qu’il faut aller.

Comment aller vers cette rencontre ?

Avant tout, se rappeler qu’un bénévole d’accompagnement n’est pas un soignant, même s’il a toute sa place dans le système de santé. Ce qu’il faut comprendre par-là, c’est qu’il n’a aucun projet thérapeutique, n’a aucune relation thérapeutique visant un quelconque objectif et c’est tant mieux. Il n’a d’ailleurs aucun projet du tout, sauf celui d’aller à la rencontre du malade et de rétablir du lien et du sens.

Alors comment impulser cette rencontre, en espérant une double rencontre, c’est-à-dire une rencontre entre deux êtres humains qui vont essayer de vivre quelque chose ensemble. Une rencontre comme un bout de chemin que l’on va faire tranquillement ou pas. Comme une fenêtre que l’on ouvre sur deux personnes qui vont se reconnaître dans ce qu’elles ont en commun, c’est à dire la même condition d’être humain et la même soif de sens et de lien.

Peut-être que Jacques Lacan nous donne solution :

Chaque fois qu’un homme rencontre, parle à un autre d’une façon authentique et pleine, il se passe quelque chose qui change la nature des deux êtres en présence et les rapproche dans une rencontre encore plus profonde.

Jacques Lacan

Une façon authentique et pleine, voilà la clef dont nous avons besoin.
Mais qu’est-ce qu’une façon authentique et pleine ? C’est la pleine présence à l’instant, totalement ici et maintenant.

Donc la rencontre, si elle doit se faire, va s’installer grâce et par la pleine présence. Par l’aptitude à se rendre pleinement présent au malade. La présence est par ce fait le fondement de tout accompagnement qu’il soit celui des soignants ou celui des bénévoles. On pourrait même dire que dans certaines circonstances, la présence est à elle seule un acte spirituel en soi.

La présence

En tant que bénévole d’accompagnement, j’attache une grande importance à cette notion de présence. Bien-sûr, pas de n’importe quelle présence. Il ne s’agit pas d’occuper l’espace, de tenir compagnie au malade comme on le ferait pour une simple visite. Cela n’a rien de superficiel.

La présence dont on parle ici, est une manière d’être dans l’accompagnement. C’est vraiment aller, si cela est possible, jusqu’au mystère de la personne. La présence offerte alors au malade est au-delà du conventionnel car elle est portée par la compassion qu’on lui accorde. Compassion qui pour moi est à comprendre dans le sens de créer, pour le malade, un espace des possibles :
« Tout est encore possible pour vous et je suis totalement à vos côtés ».

Il faut comprendre, c’est presque une évidence, que l’accompagnement ne peut se vivre que dans le présent, ici et maintenant, au chevet du malade. Pour le malade, la maladie se vit au présent, s’endure au présent. C’est donc un devoir pour le bénévole, vis-à-vis du malade, d’être présent à ce présent-là. Et c’est dans cette présence particulière, presque intime, qu’une certaine authenticité peut s’installer.

Ces moments de présence sont des moments où il y a reconnaissance du malade dans sa globalité. Il est reconnu pour ce qu’il est, un être humain et non pas une pathologie, un cas, un corps abîmé, plus grave encore un simple numéro de dossier. Offrir cette présence c’est rencontrer un égal. C’est rencontrer une personne qui est infiniment plus que ce qu’elle est à travers la maladie. Cela la rassure, la sécurise. C’est ce que j’appelais plus haut créer l’espace des possibles.

De plus la présence est de l’ordre de la disponibilité. Avoir l’esprit disponible, dégagé de toutes préoccupations et surtout de tous jugements. Cette disponibilité d’esprit produit une grande réceptivité à ce qui pourra se dire ou pas. En quelque sorte c’est ce qu’on appelle dans le zen « l’attention juste ». Ne pas créer d’écran entre le bénévole et le malade.

Cette présence doit être stable, pleine d’énergie. Cela est important pour le malade qui peut alors s’en servir comme d’un ancrage. C’est important aussi pour la famille qui pourra s’appuyer, si elle le désire sur quelqu’un de présent, de sécurisant et d’écoutant.

Les hommes ne peuvent être sauvés par des discours, mais seulement par une présence, et cette présence ne peut leur apparaître normalement qu’à travers un visage humain. Soyons le vitrail où chante le soleil. 

Petit texte de Maurice Zundel, accompagnant, dominicain et écrivain.
L’écoute

Totalement présent, frapper à la porte de la chambre, ouvrir, entrer et s’asseoir auprès du malade. Ne rien attendre en particulier, mais rester pleinement là. Comprendre et faire comprendre qu’il y a du temps et de l’espace, pour recevoir ce qui peut se dire ou non.
En d’autres termes, c’est être à l’écoute.

Pour cela on peut s’appuyer sur les techniques de l’écoute active et de la reformulation. Apprendre à poser les bonnes questions au bon moment. Savoir quand parler et quand écouter. Etre capable d’entendre les craintes, les appréhensions, les peurs du malade, sans juger quoi que ce soit. Etre capable aussi d’entendre ses propres craintes, appréhensions et peurs. Ne pas non plus les juger. Faire en sorte qu’elles ne se fixent pas. En comprendre l’impermanence et ainsi ne pas les projeter sur celles de la personne que l’on accompagne.

Mais si l’on veut aller plus loin dans l’accompagnement et permettre à la dimension spirituelle du malade, et aussi du bénévole, d’apparaître, il faut nous appuyer sur une écoute beaucoup plus intuitive. Une écoute « I shin den shin » comme l’on dirait dans le zen. C’est-à-dire rester à l’écoute d’une parole, de la parole, qui sera la bonne passerelle pour aller au-delà.

Etre à l’écoute dans l’accompagnement ce n’est donc pas toujours poser une parole. C’est souvent, très souvent même, être à l’écoute des silences. Des silences dans lesquels quelque chose se dit et qui parfois nous échappe. A ce moment-là, être à l’écoute, c’est accepter que cela nous échappe. Paradoxalement le fait d’accepter, de lâcher prise, renforce notre accompagnement. Quand on abandonne tout, on peut tout recevoir, c’est de cet ordre-là.

Etre à l’écoute devient alors un véritable exercice spirituel. Un exercice qui engage le malade et le bénévole ensemble. Les deux, quand cela doit se faire évidemment, avancent sur un chemin. Un drôle de chemin parfois. Ce chemin est celui de la vie et la vie est fondamentalement spirituelle.

Dans le chant sacré du silence, comme des gouttelettes argentées, l’écoute et les mots qui suivent prennent une amplitude étrangement tranquille.

Docteur Daniel Chevassut

La confiance

Entrer dans la chambre d’un malade est toujours une première fois, même quand on le connaît déjà. C’est pour cela que la confiance est absolument nécessaire. Elle est la colonne vertébrale de tout accompagnement. La confiance renforce la présence et l’écoute, car elle apporte de la stabilité, de l’ancrage, dans la relation avec le malade. Il faut comprendre aussi qu’elle doit se vivre dans les deux sens : du malade vis-à-vis du bénévole et du bénévole vis-à-vis du malade.

Du malade vis-à-vis du bénévole, parce que la confiance va lui apporter la sécurité, la protection, la reconnaissance qu’il attend. Bien installée, elle est pour lui, apaisante, calmante et pourquoi pas, certaine fois, guérisseuse. En tout cas, le malade a le sentiment profond, d’être compris, écouté, reconnu, relié. Il peut alors beaucoup plus facilement s’ouvrir et s’il le désire, révéler l’intime de sa personne. C’est dans la confiance en l’autre qu’on atteint une certaine dimension de soi-même.

Du bénévole vis-à-vis du malade, dans le sens où le bénévole doit avoir confiance dans les forces intérieures du malade qu’il accompagne. Faire confiance aux possibilités qu’il a de rebondir et d’intégrer ainsi la dimension spirituelle, c’est-à-dire la dimension profondément humaine de son accompagnement. De comprendre que même si la maladie gagne du terrain et que la mort se dessine à l’horizon, un travail intérieur se fait toujours. Que l’on en soit conscient ou non, cela se fait. Pour certains malades ce sera l’occasion d’une nouvelle naissance, une renaissance. Pour d’autres malades non, mais pour le bénévole qui les accompagne, oui. Le bénévole doit être confiant dans ce qui peut jaillir de son accompagnement, pour le malade et aussi pour lui-même : « ouvert à toutes les dimensions de l’humain, même celles qu’il ignore », Jean-Yves Leloup.

La présence, l’écoute et la confiance, naturellement amènent à la rencontre. Cette rencontre est de l’ordre de se re-joindre, de se réunir, de rétablir le lien, de relier deux êtres humains. Cette rencontre ne peut se faire que dans l’instant, elle tient de la présence à ce qui se passe. A ce moment-là, elle permettra de faire remonter ce qui est ressenti au fond et qui ne peut plus attendre. La rencontre permet aussi de donner, de donner quelque chose de soi. Rappelons-nous ces mots : « La vie ne se perd pas, elle se redonne. ».

Mais pour cela, la rencontre est nécessaire.

Tout être humain a besoin de rencontrer l’autre pour se réaliser. 

Maurice Zundel

L’espace de la rencontre

Qu’est ce qui se vit dans cet espace ? Ce sont les grandes interrogations qui apparaissent, avec elles les grandes peurs et les grandes pertes. La fin de vie révèle nos peurs, nos peurs devant l’inconnu, donc nos incertitudes et notre besoin de donner du sens à tout cela. En tant que personnes bien portantes, nous occultons ces peurs la plupart du temps. Mais en tant que personnes malades et pour certaines proches de la mort, elles reviennent avec insistance, comme pour obtenir une réponse.

L’accompagnement va offrir aux malades l’occasion d’accueillir toutes ces peurs, les reconnaître comme étant sans substance, ou tout du moins, pouvant être gérées avec une certaine efficacité et éviter alors qu’elles se transforment en angoisses. Il est plus facile de déjouer les peurs, de les comprendre et de les désamorcer que de se sortir du labyrinthe des angoisses qui sont souvent dévorantes.

Les principales peurs rencontrées sont :

  • La peur de souffrir.
  • La peur de la dépendance, de la perte d’autonomie.
  • La peur de devenir un poids pour ses proches.
  • La peur de la séparation, de la solitude, de la rupture du lien (avec la famille, les amis, la société, etc.).
  • La peur d’être abandonné, oublié.
  • La peur de délabrement de son corps.
  • La peur du délabrement psychique (démence d’Alzheimer).
  • La peur de l’incertitude quant à son devenir.
  • La peur de perdre, de se perdre.
  • La peur de l’exclusion.

Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres peurs, la liste n’est pas exhaustive. La peur de la mort quant à elle, vient après, on pourrait presque dire, en dernier. Mais avec elle viennent aussi, les interrogations d’un autre ordre, celles touchant à l’essence de l’être. Par exemple :

  • Tout s’effondre, ma vie a-t-elle un sens maintenant ?
  • J’ai peur de perdre cette vie.
  • Qu’est- ce que la mort, a-t-elle un sens ?
  • Y- a-t-il quelque chose après la mort ?
  • Comment vivre ces derniers instants ?
  • Que vient-on faire sur cette terre ?

Là non plus, la liste de toutes ces interrogations n’est pas exhaustive. Il y a en fait, autant d’interrogations, que de personnes accompagnées. De plus tous les malades que l’on rencontre, n’ont pas forcément l’envie de s’interroger sur le sens de l’existence et donc sur leur mort. Certains malades s’éteignent en ignorant, ou peut-être en voulant ignorer toutes ces questions. Ce n’est pas une obligation de les avoir. En tant que bénévoles nous devons accepter aussi cela.

Vouloir donner du sens à sa vie dans les derniers instants n’est pas facile. Bien souvent, cela remet en question beaucoup de choses, sur son passé notamment. Mais quand on est judicieusement accompagné, c’est l’occasion d’un véritable retournement sur soi. Pourquoi pas la perspective d’une autre vie, même si elle est bien courte. C’est l’occasion aussi de comprendre que la perte est l’expérience incontournable de la vie, c’est l’expérience de l’impermanence et de l’acceptation. Nous y reviendrons un peu plus loin.

En tout cas, cela peut être le moment d’un véritable bilan. J’entends par là, la possibilité de revenir dans un lieu de son passé qui va autoriser le pardon, la demande de pardon, la déclaration d’amour, le don, etc. J’appelle cela aussi, le lieu du « fuse », ce don particulier qui se fait sans réserve et qui peut, pour le mourant, le sauver lui et sa famille. Il s’agit de faire comprendre au malade en fin de vie, qu’il peut pardonner, demander pardon, même si la personne à qui il s’adresse, n’est pas là, ou n’est plus.
L’important dans ce cas-là, pour le mourant est de se sentir réconcilié. Peut-être peut-il encore exprimer tout l’amour qu’il a pour quelqu’un, etc. C’est toujours une histoire de lien qui se joue. Relier, pardonner, aimer. A ce moment-là, il peut y avoir des fins de vies rédemptrices, comme le dit si joliment Marie de Hennezel.

Par contre, certaine fois, dans nos accompagnements, nous constatons une forme de combat. Combat, très certainement entre le moi qui n’accepte pas cette fin de vie, on pourrait presque dire, qui n’accepte pas sa fin de vie, et quelque chose d’autre, de plus profond, qui lui accepte totalement. C’est un combat entre le mental qui lutte et le corps qui sait. Ce combat est nécessaire à un certain moment de la maladie, pour que le malade puisse réagir et aider les moyens mis en place pour le soigner. Mais par la suite, il ne faut plus rester dans ce combat, il épuise plus qu’il n’aide. Bien sûr il faut continuer d’utiliser tout ce qui soulage. La fin de vie n’est pas une guerre contre la mort.

Le bénévole d’accompagnement devra, avec l’aide du malade, désamorcer ce processus de combat. Tout simplement en reconnaissant le malade comme un vivant à part entière. En lui disant ce n’est pas parce que la mort est proche qu’il n’y a plus rien à vivre.

Le temps qu’il lui reste est donc d’une grande valeur. C’est le temps de l’acceptation, du lâcher prise, ou plutôt du laisser être. Il peut être une libération.

L’acceptation

L’acceptation est l’un des stades que vit le mourant, selon Elisabeth Kübler-Ross (psychiatre américaine et pionnière des soins palliatifs). Il est le cinquième stade. Il arrive :

  • après le déni : non pas moi, je ne suis pas malade, je ne vais pas mourir ;
  • après la colère : pourquoi cela m’arrive-t-il ?
  • après le marchandage : il faut gagner du temps ;
  • après la dépression : qui serait une sorte de travail de deuil avant sa propre mort.

Pour Elisabeth Kübler-Ross l’acceptation est le moment où les choses sont en règle : c’est ainsi et c’est bien.

Pour autant l’acceptation n’est pas résignation. Ce n’est pas de cet ordre-là. Accepter son état de personne en fin de vie, ses peurs, la désintégration du moi et de son image, n’est pas résignation. L’acceptation c’est en définitive dire oui, oui à la vie et oui à la mort. L’acceptation de sa mort, c’est donner son accord au fait de disparaître. C’est se préparer à cela et se préparer à redonner sa vie. L’acceptation, c’est approuver que les choses soient ainsi, tout simplement. C’est donc devenir capable de recevoir sa mort, de l’accueillir, un peu comme Cyrano, mais pas forcément l’épée à la main.

Sur un plan spirituel, c’est peut-être entrevoir que derrière cette mort, la voie continue. La voie est toujours là, grandement offerte. La mort peut alors devenir autre chose qu’une simple et finale fin. C’est le moment de redonner sa vie.
Et comme le disait un certain philosophe dont je ne sais plus le nom :

Accepter sa mort, c’est prendre la décision de ne pas mourir, car en dernier ressort il n’y a pas de mort, il n’y a que de la vie. 

Le lâcher prise

Le lâcher prise, c’est lâcher prise avec tout ce qui a été dit plus haut. C’est faire comprendre au malade qu’il est beaucoup plus que son état de personne en fin de vie. Qu’il est beaucoup plus, infiniment plus. Alors, peut-être, osera-t-il l’inconnu et s’en remettra-t-il à plus grand que lui.

L’acceptation et le lâcher prise sont éminemment spirituels, ils sont les premiers pas et aussi les derniers vers une certaine libération.

Vers une certaine libération

Libération de quoi ? Certainement au final, libération de l’attachement à l’ego. Mais pour que cela se réalise vraiment, il faut avoir à mon avis acquis une certaine ouverture à la réalité de ce qui est à travers la pratique d’un cheminement spirituel.

Pour autant, sans parler de voie spirituelle, il est souhaitable d’amener le malade à se libérer de certains processus mentaux. Ces processus mentaux s’ils ne sont pas éclairés, compris et transformés, vont le maintenir dans ce que l’on a appelé plus haut un combat. Combat entre le moi, c’est à dire l’ego qui refuse la réalité de ce qui se vit, et le corps ainsi que le Soi profond qui acceptent. J’entends par Soi profond la nature spirituelle de toutes personnes, sa véritable nature.

Ces processus mentaux sont les suivants :

  • Le doute : il remet en question la valeur de l’existence et aboutit à la résignation « A quoi bon.. », « Je suis foutu.. ». Le doute retire la confiance et isole, le malade ne veut plus rien entendre. Il y a enfermement. Ce que peut faire le bénévole face au doute, c’est de rester présent et confiant. Etre en quelque sorte l’antidote au doute. Dire au malade « vous avez le droit de douter, mais vous pouvez aussi adhérer à autre chose ».
  • Le désespoir : c’est se sentir totalement abandonné. Le malade désespère de lui, de ses forces « Je n’y arriverai pas.. ». Il se sent perdu. Il n’est plus relié. Le bénévole face au désespoir doit essayer de renouveler le lien. Faire ressentir au malade qu’il n’est pas abandonné et peut être, si cela est possible dire : « c’est quand il n’y a plus d’espoir que commence l’espérance en quelque chose de plus grand que vous ».
  • La colère : elle est l’expression de la révolte du moi. Il y a panique et aussi impatience. Impatience vis-à-vis des soignants, des bénévoles, de la famille et en définitive de soi-même. Le bénévole face à la colère ne doit pas se sentir mal à l’aise, elle n’est pas dirigée contre lui. Il doit rester le témoin de ce qui se passe là, et jouer de patience. Avoir le souffle calme.

En guise de conclusion

Tout le travail du bénévole d’accompagnement sera de rester confiant devant le doute et le désespoir, sera de rester patient devant la colère. Toute la présence du bénévole est celle d’un ancrage, de telle manière que la personne accompagnée puisse vivre ce qu’elle a à vivre.

Alors quand on entend un malade dire, « les choses sont en règle pour moi, maintenant » ou « merci de m’avoir soutenu », notre action de bénévole est récompensée et même plus que cela. Rien n’a été inutile. Pour nous aussi les choses sont en règle.

Malgré tout, toutes les fins de vie ne sont pas apaisées, sereines, naturelles, etc. La révolte, la colère, l’angoisse sont, bien des fois, toujours présentes et cela jusqu’à la fin.

Le bénévole doit accepter ces moments tragiques. C’est difficile mais c’est comme ça. Il se retrouve devant quelque chose qui lui échappe, l’insaisissable, l’inconnaissable.

Pour autant en ce qui me concerne, l’accompagnement est une authentique voie spirituelle. Il est le prolongement et quelque part l’actualisation de ma pratique de zazen. Il permet de faire vivre pour moi et pour l’autre la conscience d’être relié. Et la joie de se sentir vivant.

Crédit Photos : S. Leyer et Eric Tchéou