Accompagnement Fin de VIe - Photo : Eric Tchéou

Questions sur la vie et la mort

Traductions ABZE disponibles (PDF) :   

Résumés regroupés des journées de formation avec Roland Yuno Rech de Pegomas (novembre 2012) et de Grube Louise (janvier 2013)

Résumé : A partir d’une sélection de soutras, Roland Yuno Rech présente les principes essentiels, dans l’enseignement du Bouddha, concernant les questions de vie et mort. Il met en lumière ce qui, au-delà du bouddhisme, est universel dans cet enseignement, qui peut par conséquent aider et soulager les personnes en fin de vie, quelles que soient leurs croyances et confessions religieuses. Roland Yuno Rech met ensuite en avant quelques axes éthiques pouvant aider les bodhisattva qui accompagnent les mourants.


Je vais introduire ce dossier en rappelant les principes essentiels de l’enseignement du Bouddha à propos de la vie et de la mort, à partir de quelques sutras. Je mettrai également en avant certaines qualités d’approches qui peuvent guider l’accompagnant dans sa tâche de bodhisattva. Ensuite, je laisserai la parole aux différents intervenants qui partageront leur expérience dans le domaine de l’accompagnement aux mourants.

Dans notre société, la plupart des gens que l’on est amené à accompagner ne sont pas bouddhistes. Dès lors nous aurons pour fil conducteur la question suivante : “Qu’est-ce qui, dans l’enseignement du Bouddha et dans l’enseignement et la pratique du zen, est suffisamment universel et utile à toute personne forcément concernée un jour ou l’autre par la question de la mort?”

La mort

Si la question de la mort est vraiment une question fondamentale qui caractérise l’être humain, c’est simplement parce que l’être humain a conscience d’exister en tant qu’entité séparée, en tant qu’ego, en tant que « moi ». Forcément, il prend conscience de l’impermanence de ce moi, de sa fragilité et peut-être, s’il est déjà assez avancé sur le chemin, du fait que ce « moi » n’est qu’une construction mentale. En tout cas, il sait qu’il est mortel. Cette prise de conscience a incité les hommes à élaborer des croyances pour répondre à ces questions, fondamentalement sans réponse: « Qu’est ce qui se passe après la mort?  » « Est-ce qu’il se passe quelque chose après la mort »?

Il n’y a pas de vie sans mort

On ne peut pas parler de la mort sans parler de la vie, dans le bouddhisme on ne parle que de vie et mort. L’un n’existe pas sans l’autre, donc il faut toujours embrasser ces deux aspects: vie et mort. La mort toute seule n’existe pas. Pour mourir, il faut être vivant. Il n’y a que les vivants qui meurent, donc on ne peut parler que de vie-et-mort, et pas seulement de la mort en elle-même.

La prise de conscience de l’impermanence: point de départ du bouddhisme

Le point de départ de la quête de Shakyamuni Bouddha a été la prise de conscience de l’impermanence avec ses fameuses quatre rencontres: un malade, un vieillard, un cadavre que l’on allait incinérer, et enfin, un ascète qui manifestait une grande sérénité. Et donc ça a été le point de départ de sa quête car la rencontre soudaine de l’impermanence et de la mort lui ont donné l’impression que la vie n’avait pas de sens. Quel sens pouvait-on trouver si on devait tous tomber malade un jour et mourir? Quel sens pouvait avoir la vie s’il fallait perdre ceux que l’on aime, si la vie était une vie de souffrances? Et donc s’il s’est engagé dans la voie spirituelle c’est pour résoudre ce problème, pour se libérer de cette souffrance. Notons qu’en cela, il était complètement hindou. En Inde à l’époque, naître n’était pas un heureux évènement, d’une manière générale la vie sur cette terre était considérée comme un samsara, un lieu dans lequel on renaîtrait, éprouvant systématiquement des souffrances, se heurtant à l’impermanence et dont il convenait de s’échapper le plus vite possible. Et la plupart des croyances et pratiques religieuses à l’époque du Bouddha, avaient pour but de se libérer du samsara, donc de la naissance et mort.

Le Bouddha n’a pas fait exception et il s’est engagé dans une pratique qui a abouti au zazen. Si le point de départ du bouddhisme est la confrontation avec la perspective de devoir mourir, on voit que Bouddha a transformé cette perspective où la mort, au lieu de rendre la vie absurde, peut, au contraire, être une grande aide pour nous permettre de découvrir le sens le plus profond de la vie et nous éveiller véritablement à la réalité.

Dans ce cas, on peut dire que l’accompagnement des mourants concerne absolument tout le monde, puisque nous sommes tous des mourants dès l’instant où l’on est né. Aussi, on peut dire que chacun a besoin d’être accompagné sur la voie de l’Eveil, la voie de la découverte de la réalité ultime, qui donne tout son sens à la vie et nous ôte le regret de devoir mourir un jour. Comme le disait Kodo Sawaki: « Pratiquez la Voie de façon à ce qu’on n’ait pas de regrets au moment de mourir. »

L’Eveil du Bouddha et les thèmes en rapport avec la mort

Bouddha a raconté comment il s’est éveillé, et on va voir dans les différents aspects de l’éveil de Shakyamuni quels sont les thèmes qui ont un rapport avec la mort.

Les renaissances : lorsqu’il a réalisé l’éveil, le Bouddha a eu d’abord la vision de ses vies antérieures, parmi lesquelles d’ailleurs il aurait mené une existence de bodhisattva.

Au Ve siècle avant Jésus-Christ, Bouddha est né dans une culture, un contexte, dans lequel la plupart des gens croyaient aux renaissances, au samsara, et donc beaucoup de ses enseignements abordent ce point. Mais la croyance générale d’un samsara sous forme de renaissances successives, a signifié pour lui une expérience personnelle, il a vu clairement que cette vie-ci n’est pas unique, qu’elle s’inscrit dans un cycle. Ce qui change tout par rapport au fait de devoir mourir, c’est de penser que cette mort n’est qu’une étape et pas la fin de tout. Je pense que la plupart des religions considèrent la mort comme une étape et pas du tout comme la fin définitive de toute existence.

Il est intéressant de relever que la croyance dans les renaissances n’était pas limitée à la culture hindoue. A la même époque que le Bouddha, Platon croyait tout à fait aux renaissances et d’ailleurs en Occident, pendant un millénaire, on y a cru aussi. Cette croyance était aussi présente parmi les premiers chrétiens et s’est maintenue jusqu’à ce que le deuxième concile de Constantinople (concile oeménique convoqué en 553 par l’empereur Justinien) déclare, au VIe siècle après J-C, cette croyance hérétique et l’abolisse.

Mais, jusqu’à cette date, étant donné que la philosophie platonicienne avait beaucoup influencé les débuts du christianisme, l’idée des renaissances était tout à fait recevable. Platon illustrait le fait qu’on ne garde aucune mémoire de nos vies antérieures par un mythe selon lequel le mort traverserait le fameux fleuve du Pli, qu’on appelle « Léthé », le fleuve de l’Oubli, qui est à l’origine du mot  » léthargie « . Léthargie dans laquelle on se trouve, qui est une forme d’état d’inconscience proche de la mort, où on oublie tout ce qui s’est passé, où on n’est plus conscient de rien du tout. C’est la raison pour laquelle on peut, comme Platon, croire aux vies successives tout en ne s’étonnant pas qu’on ne se souvienne pas de nos vies antérieures.

Cependant, à l’époque de Bouddha, (et c’est encore le cas aujourd’hui), il y avait différentes écoles, différents modes de pensée autour de la vie et de la mort. Il y avait aussi des personnes tout à fait matérialistes ou sceptiques.

Et si aujourd’hui vous êtes amenés à accompagner des matérialistes complètement athées, pour qui la mort est la fin de tout, il y a une bonne manière de leur ôter la crainte de devoir mourir: celle d’Epicure. Epicure enseignait la cohérence par rapport à sa croyance: si on croit qu’il n’y a rien après la mort, il n’y a aucune raison de s’inquiéter! La mort sera la délivrance de toute souffrance, après c’est le calme absolu, il n’y a pas de soucis à se faire. Evidemment à ce moment-là, on peut regretter que l’on va perdre toutes les sources de joie, de plaisir, de bonheur que l’on avait dans son existence, et c’est peut-être là que l’on va se rapprocher de la sagesse de Bouddha pour résoudre cette peur.

Et donc le Bouddha a réalisé qu’on renaît en fonction de son karma, que notre existence dans ce monde est conditionnée par notre karma passé. Le karma désigne les actions et les conséquences de ces actions. Par actions on entend actions corporelles, mais aussi les pensées et les paroles. Et le karma est le résultat des bonnos, principalement les Trois Poisons, qui résument un peu tous les bonnos : l’ignorance, l’avidité et la haine. Et le nirvana, en tant qu’extinction des causes de la souffrance, est réalisé, compris, comme la cessation de ces Trois Poisons.

Je me dis que ceci est tout à fait universel. Il est vrai que tous les êtres souffrent de leur ignorance, c’est-à-dire de ne pas comprendre le sens de l’existence, d’avoir un sentiment que l’existence est absurde, dépourvue de sens. Et aussi, et surtout, ils souffrent d’être ignorants de ce qui peut apporter le véritable bonheur dans la vie: de pouvoir vivre véritablement en harmonie avec ce que nous sommes profondément, avec la réalité de notre existence, vivre d’une manière éveillée. Je crois que tant que l’on ne réalise pas cela, on cherche toutes sortes de sources de satisfaction, en poursuivant toutes sortes d’objets de désir. Evidemment, ces objets ne peuvent pas remplir notre attente fondamentale de réalisation profonde, ils sont donc tous décevants et ne résolvent pas le problème de dukkha, de la source de la souffrance. Et en plus, ils provoquent la haine et l’hostilité vis-à-vis de tout ce qui dérange la satisfaction des désirs.

Photo : Eric Tchéou

Alors, la croyance dans les renaissances c’est quelque chose qui peut nous poser question, nous qui pratiquons la voie du Bouddha. En effet, rares sont les personnes qui ont fait réellement l’expérience de leurs vies antérieures. Il y a ceux qui, à travers des approches thérapeutiques de « rebirths » essayent de faire des régressions dans les vies antérieures pour pouvoir y déterrer la cause de leurs difficultés actuelles. Mais, le Bouddha nous a jamais recommandé de pratiquer de la sorte! L’ayant vu et expérimenté, il a enseigné que nous sommes les héritiers de nos karmas passés, mais à la différence de l’approche du « rebirth », il faut tenter de résoudre notre karma dans l’ici et maintenant, non pas en revenant dans le passé. Tout l’enseignement du Bouddha, comme l’enseignement du zen, n’est pas du tout tourné vers le passé pour essayer de résoudre des problèmes liés à un passé, c’est vraiment un enseignement par rapport à l’ici et maintenant. Par rapport au karma passé, tout ce que l’on peut faire c’est se repentir, mais il n’est pas nécessaire, ni important, d’essayer de retrouver la trace d’actions passées pour essayer de les réparer. Evidemment, si on a commis des actes mauvais dans cette vie-ci, on peut au moins se repentir.

Dans le contexte de l’accompagnement des mourants, je crois qu’inciter ou encourager au repentir, est extrêmement important. Il faut bien préciser que le repentir n’est pas de la culpabilité, mais la prise de conscience de ses erreurs et la ferme résolution, prise ici et maintenant, d’y remédier. On peut se repentir jusqu’au dernier moment. Le repentir est la meilleure manière de purifier le karma passé et d’apaiser l’esprit ici et maintenant car il implique une réelle prise de conscience qui permet de lâcher prise. Si on se contente de refouler ou de réprimer tout ce qui a été mal vécu dans sa vie, sans en prendre clairement conscience et sans s’en repentir, on ne peut pas avoir l’esprit en paix au moment de la mort.

Les Quatre Nobles Vérités

Shakyamuni a enseigné les Quatre Nobles Vérités, les deux premières vérités correspondent au diagnostic de la souffrance et de ses causes, mais les deux dernières sont la possibilité d’une guérison par rapport à la souffrance, par rapport au désespoir, par rapport au non-sens de la vie, et la possibilité d’un chemin. Il ne faut pas penser que c’est trop tard pour les gens qui sont très malades, le chemin peut être très court.

Le chemin, tel que Bouddha l’a décrit, comporte trois grands aspects: Kai jo e: l’éthique, ne pas faire le mal, faire seulement le bien et faire le bien pour les autres. Ce sont les trois préceptes de base, après, il y a tous les préceptes.

Je crois qu’un mourant peut faire énormément de bien aux gens qui l’entourent, il y a toute l’équipe qui le soigne, la famille qui vient lui rendre visite, tous ses amis, etc. Il peut encore aider les autres par son propre état d’esprit, son témoignage, et par la pratique des Trois Préceptes Purs. Et même dans les tous derniers moments de vie, il peut se demander: « Comment puis-je faire pour ne pas faire du mal, ne pas causer de souffrance aux autres, comment leur faire du bien?  » En se réconciliant par exemple, avec ses ennemis, s’il en a. Pardonner les gens qui ont fait du mal, leur permet de ne pas garder des remords à l’idée que le décédé soit parti avec cette souffrance qu’ils lui ont infligée. Pratiquer pour les autres donne l’impression au mourant qu’il peut encore se rendre utile, au lieu de se sentir comme « une charge » en s’excusant presque de causer du souci à sa famille, à tout le monde. On peut renverser ça en montrant qu’un malade et un mourant, peuvent complètement aider les autres et donner beaucoup aux autres par leur attitude. Même les malades et les mourants peuvent faire de grands cadeaux.

L’autre aspect c’est jo, la concentration, que nous appelons zazen.

Généralement, les gens pensent qu’il faut être en forme, pouvoir s’asseoir en lotus, demi-lotus ou s’asseoir sur une chaise. Et ils pensent que si le corps est en mauvais état, qu’un malade est alité, ils ne peuvent pas faire zazen. Or « Zazen, comme l’a dit Maître Dogen, ne dépend pas de la posture assise ». Bien sûr la posture assise c’est la meilleure posture, mais même dans une chaise roulante, même dans un lit, on peut pratiquer zazen, car l’essence de zazen c’est d’être totalement corps et esprit en unité, et même si on est mourant, on a toujours un corps et un esprit. Donc tant qu’on a un corps esprit et qu’on respire, on peut se concentrer, être totalement présent ici et maintenant, aux sensations, aux perceptions, observer l’apparition et la disparition de tous les phénomènes dans l’esprit, et apprendre à laisser passer. On peut toujours apprendre à se connaître soi-même, tous les phénomènes que l’on rencontre sont des koans et des occasions de s’éveiller. Donc même du fond de son lit dans un hôpital, on peut pratiquer la voie du zen.

Un avec chaque respiration, c’est l’éternité dans chaque instant.

Photo : Eric Tchéou

Et même si on accompagne des personnes qui ne sont ni bouddhistes, ni pratiquants zen, il y a quand même des choses qui les aide, qu’on peut leur enseigner et leur montrer. Par exemple, au lieu de détester leur corps malade, il faut essayer d’être le mieux possible dans son corps tel qu’il est, de l’habiter vraiment. On peut aider de graves malades et des mourants, en leur apprenant à se détendre, à se relaxer, à se concentrer chaque instant sur chaque respiration, sans penser à autre chose. Si on fait ça, c’est une bonne occasion de lâcher prise d’avec énormément d’attachements et causes de souffrance. Et c’est même l’occasion d’expérimenter la seule forme d’éternité qu’un être humain puisse vivre: c’est la valeur de chaque instant lorsqu’on est vraiment corps et esprit en unité avec ce qui se passe ici et maintenant. Et on n’a pas besoin de dire que c’est du zen, du bouddhisme, simplement qu’il y a une manière pour moins souffrir. « Je vais te montrer comment tu peux respirer et je vais t’accompagner dans la respiration ».

Et évidemment, dans cet état d’esprit, il n’est pas demandé de penser au Bouddha ou aux Quatre Nobles Vérités, mais simplement de se concentrer à observer ce qui se passe à chaque instant et donc prendre conscience que ce qui se passe, passe. Tout est impermanent; on peut s’harmoniser avec cela en réalisant un esprit qui ne s’attache pas aux phénomènes qui apparaissent. Etre à la fois pleinement conscient de ce qui apparaît, et en même temps complètement dans le lâcher prise de ce qui apparaît en laissant passer. Et cet exercice-là, si on parvient à le réaliser même une seule journée, cette seule journée vaut mieux que cent ans passés à poursuivre des illusions !

Les douze causes interdépendantes

Dans un sutra quelqu’un demandait à Bouddha:  » Est-ce qu’on est responsable de sa souffrance ?  » C’est tout le problème de la responsabilité. Généralement les gens qui sont malades, qui vont mourir, qui ont un cancer, des maladies psychosomatiques, ont tendance à se culpabiliser et veulent comprendre le sens de leur maladie. Souvent, ils pensent que s’ils sont malades c’est de leur faute, ils cherchent où est l’erreur. On pense être l’auteur de son propre karma et le responsable de sa propre maladie et donc de sa mort. Ce qui rajoute une souffrance supplémentaire bien évidemment,  » Non seulement je suis malade, mais c’est de ma faute! « 

L’enseignement du Bouddha n’est pas du tout comme ça, alors que dans un sutra, (sur lequel je vais revenir), on lui demandait:
« Qui est l’auteur de la souffrance, est-ce que c’est l’individu ? » Il répondait : « Non ! » Or, si ce n’est pas soi-même, il y a forcément d’autres causes. « Est-ce que la souffrance n’a pas de causes ? » Il disait : « Non! »

Et finalement il en vient à dire : « Ce sont seulement les douze causes interdépendantes qui sont responsables. »

Dans l’enseignement du Bouddha, il y avait simultanément à l’enseignement de ces Quatre Nobles Vérités, l’enseignement des douze causes interdépendantes, les douze innen.

Je crois que cet enseignement est extrêmement précieux, c’est ce que Bouddha avait appelé la Voie du milieu, et ça rejoint la question du karma et des vies antérieures, des vies successives et de la vacuité, c’est la clé de tout par rapport à ce qui est de l’ordre de la vie et de la mort. Comment expliquer cela à une personne malade ou qui va mourir ?

Bouddha le résumait très simplement en disant: « Quand ceci est, cela est, quand ceci n’est pas cela n’est pas. »

Ce qui veut dire qu’il y a toujours une relation de causalité, chaque phénomène existe à cause de quelque chose. Et donc cette compréhension que chaque chose existe en relation d’interdépendance avec autre chose, signifie que moi ou autre chose, n’existe qu’en relation avec autre chose, avec les autres êtres, avec l’énergie cosmique fondamentale, avec tout l’univers. Ça veut dire finalement que le moi n’existe pas comme une entité séparée, ça veut dire qu’à la naissance, ce n’est pas  » moi « , ou une  » âme  » qui naît, et au moment de mourir ce n’est pas  » moi  » qui meurt. Parce que “moi” n’est pas moi, “moi” c’est tout l’univers, donc ce qui se passe au moment de la naissance, au moment de la mort, c’est un phénomène de transformation de l’énergie cosmique. Si on observe sa propre vie et mort, de cette manière-là, l’esprit s’ouvre à une perspective beaucoup plus vaste, avec bien moins d’attachement à son petit ego, et c’est finalement ça réaliser l’Eveil.

Ce qu’on appelle vacuité, comme c’est dit dans l’Hannya Shingyo, – l’enseignement du Bodhisattva de la Compassion au sujet de la grande sagesse Prajna- nécessite de comprendre que tous les phénomènes sont ku, vacuité. La vacuité n’est pas le néant, la vacuité, c’est que tout n’existe que par l’enchaînement des causes interdépendantes.

C’est ce que les mamans essaient de pratiquer quand leur bébé pleure et qu’il a mal, en leur disant:  » Ce n’est rien « .  » Ce n’est rien  » c’est ku,  » Ne pleure pas  » et généralement elles ajoutent:  » ça va passer « , et c’est vrai! Au fond les mamans sont toutes comme Kannon! Si ça passe c’est parce que justement rien n’a de substance, donc tout se transforme et même la douleur, la maladie vont passer aussi, ne serait-ce que parce qu’on va mourir.

Cette vision de la mort n’est ni nihiliste, ni éternelle, c’est celle d’un perpétuel devenir, d’une perpétuelle transformation au niveau de la réalité relative ou apparente. Mais en réalité ultime, en profondeur, ça implique qu’il n’y a pas de substance de quoi que ce soit. Et en particulier pas de substance d’un ego, puisque tout ce que l’on appelle « ego », le « moi », la « personnalité » auxquels on voudrait attribuer une certaine forme de permanence, de substance ou d’éternité, ne sont que les produits du jeu de cette interdépendance.

Ne pas avoir de substance propre rend une transformation possible puisque rien n’est figé, tout est en perpétuel devenir. Nagarjuna insistait beaucoup sur ce point. Il n’y aurait pas de sens à pratiquer les quatre Nobles vérités, le Dharma du Bouddha, l’Octuple sentier, il n’y aurait pas de sens même à la libération, si ce qui existe existait de manière substantielle et permanente. Cela voudrait dire, par exemple, que la souffrance serait permanente et donc qu’elle ne serait pas causée. Elle n’aurait pas une cause et serait donc substantielle, elle existerait comme une entité qui s’appelle la souffrance, qui existerait en permanence et qui ne pourrait être résolue. De même, si un « moi » illusoire existait de manière permanente, il ne pourrait jamais se libérer de son illusion.

Le nirvana, du point de vue du bouddhisme Mahayana et du zen, n’est pas la cessation de toute forme d’existence, mais c’est la cessation de l’existence comme cause de souffrance. Ce point est encore extrêmement valable pour l’accompagnement des mourants.

La mort n’est pas la fin de tout

La mort n’est pas la fin de tout, ça c’est le point important. Lorsque quelqu’un naît, il naît du fait d’une existence antérieure, la cause de la naissance c’est l’existence antérieure et donc c’est la mort précédente.

Et donc ce qui se passe d’une mort à une nouvelle naissance, ce n’est pas la survie d’une âme individuelle, c’est la continuation d’un enchaînement causal, un enchaînement de causes et d’effets, comme une sorte d’onde qui se propage en n’étant pas la même. Cependant, il y a un lien causal entre l’esprit de la personne qui décède et l’esprit de la personne qui est conçue et qui va naître. Et ce lien causal n’est pas produit par le fait qu’il y aurait une âme immortelle qui sortirait d’un corps mourant pour rentrer dans un corps à naître, mais par un esprit. Alors ça c’est vraiment difficile à justifier scientifiquement, du moins pour l’instant, mais il s’agirait d’un esprit qui, tout en n’étant pas substantiel et donc permanent, serait comme une sorte d’onde avec prolongement dans une espèce d’enchaînement causal qui entraîne la nouvelle naissance. Et il y a une énergie, une conscience attachée à la vie voulant vivre pour toutes sortes de raisons. Peut-être aussi que l’on veut continuer à vivre parce qu’on se rend compte que l’on n’a pas réalisé l’essentiel, et qu’il faut donc renaître pour pouvoir enfin s’éveiller.

En tous les cas, il y a une énergie, un désir de vivre, qui est un des anneaux de la chaîne des douze causes interdépendantes et qui provoque une nouvelle naissance. Et ce qui détermine la qualité ou la nature de cette nouvelle naissance sera tout le karma passé de la personne qui décède, mais aussi et d’une manière beaucoup plus déterminante, la dernière pensée avant la mort. C’est une des raisons pour lesquelles les bouddhistes considèrent qu’il faut absolument laisser les mourants, le plus possible dans la paix pour leur permettre d’avoir les meilleurs pensées au moment de mourir, de manière à renaître dans les meilleurs conditions, puisque cette dernière pensée est déterminante pour la suite. La dernière pensée d’un bodhisattva, ce n’est pas le nirvana, ce n’est pas l’extinction définitive, c’est de renaître dans les conditions où il pourra de nouveau continuer à aider les êtres qui souffrent. Et dans la mesure où l’on est capable de faire ce vœu du fond du cœur, on a déjà réalisé le nirvana. Parce que le bodhisattva est déjà libéré de l’ego qui a ses préférences, qui veut ceci, qui ne veut pas cela, et qui s’attache à ses jouissances, etc. Et donc, il n’y a aucune notion de sacrifice ou de renoncement de la part d’un bodhisattva. Il y a simplement la continuation de bodaishin, de l’esprit d’éveil, qui trouvera sa forme d’une manière ou d’une autre dans une nouvelle existence où que ce soit.

En ce qui concerne l’influence du karma par rapport aux renaissances, généralement la consolation des bouddhistes c’est de se dire: « J’ai bien agi dans cette vie, donc j’aurai forcément une bonne renaissance. » C’est une consolation que l’on peut apporter si on accompagne un bouddhiste, lui rappeler qu’il a bien pratiqué toute sa vie, qu’il aura forcément une bonne renaissance et donc qu’il n’a pas à s’inquiéter pour l’avenir. C’est un enseignement que Bouddha a donné souvent: « Si vous menez une vie juste, vous aurez une bonne renaissance. »

Ceci étant dit, l’enseignement ultime du Bouddha c’était de ne pas renaître. Ne pas renaître du tout, c’est arrêter le cycle du samsara, de la transmigration. Le sens ultime de l’enseignement du Bouddha c’est d’abandonner l’ego qui s’attache aux mérites, au bon karma, dans l’espoir de continuer à exister dans une entité individuelle. Et même si cette théorie des mérites existe, l’enseignement ultime du Bouddha, c’est l’enseignement de mushotoku, c’est-à-dire un enseignement de libération, un enseignement de lâcher prise.

En même temps, c’est réaliser, qu’au fond, il n’y a rien à lâcher. Le lâcher prise est possible parce qu’il n’y a rien à lâcher! Il n’y a personne qui lâche, sinon il n’y aurait pas de lâcher prise possible. On essaierait de se débarrasser de quelque chose qui nous collerait aux doigts, cela nous appartiendrait trop pour qu’on puisse l’abandonner. Comme rien ne nous appartient, y compris le mauvais karma, on peut le lâcher. Et c’est ça qui au fond est l’enseignement ultime du Bouddha par rapport au moment de la mort, c’est de réaliser ce lâcher prise.

Différence entre souffrance et douleur

La douleur est liée à une cause directe: on va éprouver de la douleur, soit physique, parce qu’on s’est blessé, parce qu’on a une maladie grave comme un cancer. Les maladies provoquent souvent des douleurs, des maux et des réactions physiologiques. Il y a un impact sur le système nerveux, les organes, la sensibilité et il y a production de la douleur. Donc même un Arhat qui a réalisé le nirvana de son vivant, éprouvera de toute façon des douleurs et il devra lui aussi subir les affres de la maladie, la dégénérescence de la vieillesse et de la mort.

La souffrance est quelque chose de beaucoup plus moral ou psychologique, qui peut être le fait de ne pas supporter la douleur, et se dire: « C’est injuste, pourquoi c’est à moi que ça arrive, qu’est-ce que j’ai donc fait pour mériter cette douleur ? »

Toutes les souffrances morales liées à la jalousie, à l’envie, aux angoisses de perdre quelque chose que l’on aime, etc., sont des expressions de la souffrance, c’est-à-dire quelque chose fabriqué par le mental, par l’ego. C’est l’ego qui provoque la souffrance parce qu’il n’accepte pas l’impermanence, il n’accepte pas la réalité telle qu’elle est. Et donc il se heurte constamment à cette réalité, il se révolte contre cette réalité et crée de la souffrance. C’est ce qu’on appelle dukkha dans le bouddhisme, bien que dukkha enveloppe tout ce qui est de l’ordre de la douleur et de la souffrance. Mais dans dukkha, il faut bien discerner les différents niveaux de souffrance ou de douleur. Je préfère dire qu’il y a  » un niveau primaire  » de la souffrance qui n’est que douleur, et puis il y a  » un niveau secondaire  » qui est l’attitude, ce que l’on fait de la douleur, si on la transforme en souffrance, c’est à dire en ruminations, révolte, refus, non-acceptation, ce qui rajoute de la douleur; dès que l’ego s’en mêle, ça devient souffrance. Une très bonne façon de résumer les choses: c’est l’ego qui produit la souffrance par la non-acceptation de la réalité telle qu’elle est.

Le fait de ne pas être éveillé provoque la souffrance, ou, la souffrance est le résultat de ne pas être éveillé.

Tout le monde a des douleurs, même un bouddha peut avoir des douleurs. Au moment de mourir le Bouddha avait une dysenterie qui devait être douloureuse, mais il n’en a pas fait une souffrance, il l’a acceptée. Et quand ses disciples le plaignaient ou regrettaient le fait qu’il allait mourir, il leur a dit: « Mais je vous avais toujours dit que ce corps est impermanent et qu’il n’y a qu’une seule chose à faire, c’est de l’accepter. »

Commentaires de sutras de Shakyamuni Buddha

Visakha sutra

Dans ce sutra, une femme vient de perdre sa fille. En l’apprenant, sous le choc, elle sort de son bain et court à la rencontre du Bouddha. Le Bouddha la voit arriver cheveux et vêtements trempés, bouleversée.  » Ma très chère grande fille vient de mourir!  » La méthode du Bouddha est tout à fait intéressante et on va voir comment il fait face à la situation.

Il lui dit: –  » Visakha, est-ce que vous voulez avoir autant d’enfants et petits enfants que les nombreux habitants de cette ville de Savatthi? Elle répond: – Oui, oui je veux bien, avoir autant d’enfants et de petits-enfants qu’il y a d’habitants dans cette ville. Alors Bouddha lui demande: – Savez-vous combien de personnes meurent chaque jour dans cette ville? « 

Et peu à peu elle en arrive à constater que chaque jour, il y a au moins une personne qui meurt.

  •  » Alors, il lui dit, quand cette personne meurt est-ce que vous vous précipitez pour me voir dans la grande émotion de douleur que vous avez maintenant? – Non – Alors si vous êtes dans cette grande souffrance de la mort de votre fille, c’est parce que vous lui étiez très attachée. Sachez que ceux qui ont cent personnes préférées, aimées, ont cent causes de chagrin. Ceux qui ont deux personnes préférées, ont deux causes de chagrin, ceux qui ont une personne préférée ont une cause de chagrin, et ceux qui n’ont aucune personne préférée, n’ont aucun chagrin… Ainsi, je dis, que ceux qui sont dépourvus de personnes préférées, sont aussi dépourvus de chagrin et sont dans la sérénité.  » Et sa conclusion c’est que toutes les afflictions et lamentations des différentes souffrances dans le monde, se produisent à cause des attachements passionnés.
    Il élargit la perspective en disant: –  » Finalement, sans avoir des choses, des êtres appropriés (que l’on veut s’approprier), ces chagrins ne se produisent pas. Ceux qui sont libérés ainsi, sont libres de chagrin, car ils n’ont rien qui soit préféré dans le monde. Et alors avec l’espoir d’atteindre l’état sans chagrin et sans souffrance, que l’on soit sans préférence envers le monde entier. « 

Cela rappelle immédiatement le premier vers du premier enseignement zen du Shin shin mei:  » Pénétrer la Voie n’est pas difficile, mais il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet. » Donc: pas de préférence.
Evidemment ça choque votre sensibilité: “Pas de personne préférée!” C’est l’enseignement du Bouddha et c’est l’enseignement du Shin shin mei, et c’est l’enseignement du zen!

“Shin jin datsu raku” : Corps et esprit abandonnés, c’est abandonner tout esprit de préférence pour soi-même ou pour les autres, abandonner l’attachement pour soi-même,  » Je suis mon objet d’amour « , est l’attachement de base.
Alors dites-vous:  » C’est glacial!  » La sagesse est tellement différente de la manière  » humaine  » de réagir, que ça paraît froid. Or, Dogen enseigne exactement la même chose, ce n’est pas seulement Shakyamuni; tous les maîtres de la transmission disent exactement la même chose. Si vous trouvez ça glacial, il faut s’habituer à l’atmosphère glaciale. Mais si vous lisez la poésie de Dogen, aussi bien que les autres bouddhistes, vous verrez qu’ils n’étaient pas du tout froids, ils étaient même très sensibles. Dans son poème le plus célèbre, quand Dogen regardait la lune qu’il adorait :  » La lune est belle ce soir, mais pourquoi m’empêche-t-elle de dormir ?  » C’est parce qu’il était dans une très grande tristesse car il savait bien qu’il ne reverrait bientôt plus la lune d’automne.

Donc, il pouvait avoir réalisé l’éveil, la libération, enseigné la vacuité, ça ne l’empêchait pas de préférer la lune, parce qu’il aimait la lune. De même, quand il a dit, dans le Genjo Koan:  » Même si on aime les fleurs, elles tombent dans nos regrets (au milieu de notre chagrin).  » Ça veut dire que l’autre versant de notre apparente froideur, c’est l’acceptation de nos émotions humaines, c’est-à-dire que les émotions humaines sont naturelles aussi et que l’on doit accepter d’éprouver de la tristesse et des regrets. Notre pratique inclut aussi la grande difficulté, en tant qu’être humain, à accepter la mort: c’est le pas de plus que l’on doit faire pour avoir une véritable sagesse.

Marana Bhaya Sutra : Sutra à propos de la  » peur de la mort « 

En résumé: Quelqu’un demande s’il y a quelqu’un qui n’a pas peur de la mort. Bouddha répond (approximativement):  » Il y a des gens qui ont peur de la mort et il y en a qui n’ont pas peur. Ceux qui ont peur sont ceux qui ne sont pas libérés de leurs passions, ne sont pas libres de leurs désirs, de leurs affections, de la soif, etc. Et ceux qui n’ont pas peur de la mort sont ceux qui n’ont pas commis des actions déméritoires, qui se sont libérés de leurs attachements et surtout aussi de leurs doutes, libérés de la passion, des désirs, de la soif. « 

“Ceux qui sont libérés des passions qui concernent l’attachement au corps, n’ont pas peur de la mort. Ceux qui n’ont pas commis des actions déméritoires…”, c’est-à-dire qui n’ont pas créé de la souffrance aux autres, qui ont toujours bien agi dans leur vie, n’ont pas peur de la mort. Un point très important pour l’accompagnement des mourants c’est de rappeler aux personnes qui vont mourir, tout le bien qu’elles ont fait dans leur vie. C’est une grande consolation de réaliser que cette vie n’a pas été vaine. Parce que chacun aussi a été bon dans sa vie, et forcément, ça aura de bons effets.

Et, la quatrième catégorie de personnes qui n’ont pas peur de la mort, sont celles qui n’ont pas doutes, c’est-à-dire celles qui ont suffisamment réfléchi sur le sens de la vie pour être clair, et donc qui n’ont pas de doute.

Gilana Sutra, les quatre sujets de consolation

L’interlocuteur, Mahanama, est un disciple laïque, il dit qu’il n’a jamais entendu le Bouddha parler à propos de comment accompagner les mourants, ou qu’il n’en parlait pas souvent. En effet, c’est très curieux, mais Bouddha considérait souvent que les choses qui tournaient autour de la mort étaient l’affaire des laïques.

Relevons, que Bouddha ne s’intéressait pas aux mourants ou à la mort: il s’intéressait à la vie! Et même par rapport à sa propre mort il a dit à ses disciples:  » Ne perdez pas de temps à faire des cérémonies pour ma mort, concentrez-vous à pratiquer le Dharma!  » Le paradoxe c’est que de nos jours au Japon, la pratique des moines consiste à faire des cérémonies pour les morts, c’est devenu l’inverse!

Le Bouddha disait :  » Moines, vous devez vous concentrer sur la pratique et sur l’enseignement du Dharma, c’est votre rôle. Les enterrements, etc., servent à consoler les familles mais c’est une affaire de laïcs.  » Pour rappel, les rituels autour de la mort sont destinés à transférer des mérites au mourant pour qu’il ait les bagages les plus favorables possibles pour une bonne renaissance.

Bouddha enseignait principalement la vie. Il ne parlait pas beaucoup de l’accompagnement des mourants, mais tout son enseignement était un accompagnement pour bien vivre et donc pour bien mourir, pour résoudre le problème de la mort.

Alors,  » Comment accompagner des mourants?  » fait partie de l’enseignement de  » Comment vivre bien jusqu’au bout? « 
Et justement dans ce sutra, Bouddha répond à Mahanama qui le questionne:

  •  » Comment doit-on accompagner un mourant? Il lui dit -: Mahanama, un disciple laïc, intelligent, mourant, souffrant gravement, doit être soulagé, par un autre disciple, par les quatre sujets de consolation suivants:
     » Garder confiance sereine dans le Bouddha.  » Et donc pour un chrétien on pourrait dire:  » Garder confiance en Jésus Christ « . Ensuite, il explique pourquoi: parce que le Bouddha a réalisé l’Eveil, qu’il est l’incomparable guide des êtres, etc.
  •  » Garder confiance dans Dharma », le Dharma ou autre suivant la doctrine, l’enseignement, la religion, que l’on a reçu.

Donc accompagner un mourant dans ce cas-là, c’est lui rappeler ses croyances, sa foi, sa pratique qui vont le soutenir. Il faut continuer la pratique jusqu’au bout. Il ne faut pas croire que le moment proche de la mort soit un moment où il n’y ait plus rien à faire. Au contraire, je crois même que ce sont probablement des moments de prise de conscience les plus profonds, notamment pour ceux qui pratiquent le Dharma du Bouddha.

  •  » Garder confiance dans la communauté des disciples « , c’est-à-dire dans la Sangha. Ou bien:  » Gardez confiance dans l’Eglise, dans la communauté religieuse à laquelle vous appartenez. « 
    Et ensuite “… avec ces quatre sujets, un disciple laïc doit consoler un autre disciple mourant.”
    Mais supposons que ce dernier s’inquiète encore pour autre chose. Et il y a toute une série de causes, si vous vous inquiétez pour votre mère, votre père, les autres, le Bouddha dit: –  » Vous êtes assujettis à la mort, que vous vous inquiétiez ou pas de votre mère, ou père, vous êtes obligés de mourir un jour. « 
    Et il prend le même point de vue pour toutes les autres inquiétudes: –  » De toute façon que vous vous inquiétiez, ou que vous ne vous inquiétiez pas, vous allez mourir! « 

Evidemment, comme pour les émotions, on ne peut s’empêcher de s’inquiéter. Mais il y a une telle vérité dans ce que dit le Bouddha que ça peut contribuer à apaiser les inquiétudes et éviter d’en rajouter. Et c’est la même chose si on aime les fleurs, même si on les aime, elles vont se faner et « tomber dans nos regrets ». On éprouve du regret, mais ce regret diminue, il devient une émotion humaine acceptable.
Comme il est naturel de s’inquiéter pour les autres, un mourant cherche souvent à rassurer les autres car il n’aime pas les voir souffrir et les voir s’inquiéter pour lui.
Pourquoi  » l’encourager à ne pas s’inquiéter pour ses parents, ses enfants, ses désirs qu’il ne pourra plus satisfaire?  » Parce que tout cela est impermanent. Et donc le mourant est en train de vivre profondément l’impermanence. Il meurt, il y a de la souffrance, mais au fond il n’y a pas de substance à ça.

Alors évidemment, pour quelqu’un qui pratique la voie du Bouddha, qui entend ça, ça lui rappelle tout de suite tout ce qu’il a pratiqué toute sa vie, ça peut l’éveiller. Mais quelqu’un qui n’a jamais pratiqué va plutôt se demander si on ne se moque pas de lui:  » Ce n’est rien ! Comment ça ?! « 

Après, Bouddha enchaîne sur les désirs, et dit: –  » Vous avez des désirs pour les cinq plaisirs des sens, mais les désirs pour les états spirituels sont tellement supérieurs, que vous feriez mieux d’abandonner ces désirs et désirez des états spirituels.  » Et la conclusion du Bouddha quand quelqu’un vous dit: –  » Je n’ai plus envie de tel état, car j’ai fixé ma pensée dans le monde de Brahma.  » (Brahma c’est le plus grand dieu).
Dans ce cas, il faut lui conseiller: –  » Cependant cher ami, même le bonheur du monde de Brahma est impermanent, il a une fin, et l’existence dans le monde de Brahma est celle d’un prisonnier dans ce monde d’avidité, de l’ego. « 
Dans le bouddhisme, beaucoup de bouddhistes souhaitent renaître dans un état de déité du monde de Brahma. Mais même Brahma était considéré par le Bouddha comme quelqu’un dans l’illusion qui se croyait éternel alors qu’il ne l’était pas, qui se croyait le créateur du monde alors qu’il ne l’était pas, simplement parce qu’il s’illusionnait sur la longue durée de sa vie.
Qu’est-ce qui fait qu’on a envie d’exister dans ces mondes heureux? C’est l’attachement à notre propre ego qui a envie de jouir non plus des désirs matériels, mais de jouir de la béatitude, de la félicité spirituelle. Et c’est pour ça que Bouddha dit: –  » Mais même le bonheur du monde de Brahma est comme celui d’un prisonnier de l’individualité. « 
Autrement dit, ce serait bon pour vous si vous pouviez vous débarrasser du désir du monde de Brahma et si vous pouviez diriger votre pensée vers la cessation de l’individualité, c’est-à-dire l’abandon de l’ego. Ce qui revient à ce qu’on appelle dans le zen:  » Shin jin datsu raku « . Abandonner l’attachement au corps et à l’esprit.
Si le mourant dit: –  » J’ai dirigé ma pensée vers la cessation complète de l’individualité.  » –  » Dans ce cas, ce disciple laïc, dit Bouddha, est délivré de toutes les souillures mentales. Entre lui et un moine qui a réalisé la même délivrance, il n’y a plus aucune différence. « 
Donc cette délivrance, enseignée par le Bouddha, souvent considérée comme réservée à des religieux, des moines, des personnes qui ont consacré leur vie à la Voie…Non! Bouddha dit que cette délivrance, elle l’est pour tout le monde, toute personne qui a réalisé l’abandon de l’attachement à l’ego, est semblable à un grand moine et même à Bouddha lui-même. Et c’est au fond l’essence de ce que l’on enseigne à travers la pratique de zazen. La pratique du zen c’est apprendre à se connaître soi-même et apprendre à se connaître soi-même c’est apprendre à s’oublier soi-même.

Depuis vingt-cinq siècles, les enseignements concernant la souffrance, la maladie, la vieillesse, la mort, sont des enseignements qui nous incitent à lâcher prise avec notre égoïsme et avec notre attachement à notre petite personne.

Je pense que toutes les religions enseignent exactement la même chose. Quand on enseigne le christianisme, on enseigne aussi qu’on n’est qu’une créature de Dieu et c’est donc une invitation à lâcher notre égoïsme. Les musulmans qui font beaucoup de pai, cinq fois par jour, c’est une invitation constante à lâcher l’ego pour ce qui est au-delà. Et le sens de la vie du point de vue religieux, c’est de contacter cette dimension de cette existence vaste en soi-même, au-delà de l’ego. Et au fond, l’enseignement du zen et de toutes les religions, c’est de permettre cette ouverture.

En guise de conclusion de cette partie, voici les propos d’une participante à propos de l’aspect  » glacial  » de l’enseignement de Bouddha. Elle est elle-même atteinte d’une maladie incurable et ses jours sont comptés.

 » J’ai pensé que mes souffrances sont comme un glacier mais ces paroles, cet enseignement, sont comme le soleil qui fait fondre la glace!  » Ainsi si parfois il y a un côté abrupt dans l’enseignement du zen ou du bouddhisme, c’est un enseignement qui part de la compassion pour aider réellement les êtres à en finir avec leur souffrance.
Et donc tout ce dont je parle maintenant, tout ce qu’a enseigné le Bouddha est universel. Ce sont des choses qui peuvent tout à fait être montrées, enseignées sans parler de bouddhisme, à des gens qui sont gravement malades et qui risquent de mourir. Parce que, tout simplement, ça correspond profondément à la nature humaine, ce qu’on appelle la nature de Bouddha, qui est universelle. Bien que nous soyons inscrits dans une école de bouddhisme zen Soto, ce qu’on expérimente est tellement universel que cela peut aider tous les êtres, même s’ils ne sont pas dans cette croyance-là.

Photo : Eric Tchéou

Attitude des accompagnants bodhisattvas

Sans empiéter trop sur les témoignages et interventions qui vont suivre, voici quelques qualités ou attitudes des accompagnants bodhisattvas qui peuvent les aider dans leur tâche.

La motivation

Il est important d’avoir soi-même clarifié sa propre position par rapport à la mort. Je pense en effet que parfois ce qui se profile derrière le désir d’accompagner des mourants, c’est aussi le désir de régler son propre problème, ses angoisses et interrogations vis-à-vis de la mort. Dans ce cas, les mourants enseignent quelque chose à l’accompagnant. Et le fait d’accompagner d’autres êtres qui sont un peu en avance sur ce chemin de la mort, fournit l’occasion pour certains de méditer et d’essayer de se rassurer sur ce qui va se passer au moment de la mort.

Dans ce cas, je crois qu’il n’est pas très bon d’utiliser les mourants pour essayer de se faire une philosophie sur la mort. Il vaut mieux avoir d’abord clarifié sa propre position pour ne pas être dans une espèce de demande angoissée ou inquiète par rapport au thème de la mort. Je crois qu’il faut essayer d’avoir les idées aussi claires que possible, quitte à se dire qu’on n’a pas d’idée, voir qu’on est sceptique ou agnostique…

Respect de la diversité des croyances

Dans la mesure où notre vocation est un accompagnement spirituel, et il y a une dimension spirituelle quand on accompagne des mourants, c’est fondamental de tenir compte du contexte culturel et des croyances des personnes que l’on veut accompagner. Quand les personnes sont malades et qu’elles vont bientôt mourir, c’est le moment de se rappeler leurs croyances religieuses et que leurs problèmes et difficultés liés à la maladie soient transformés en une occasion d’approfondir leurs propres racines spirituelles. Je ne crois pas qu’il faille accompagner des chrétiens en les incitant à comprendre l’enseignement du Bouddha, au contraire il faut les inciter à mieux approfondir l’enseignement du Christ, ce qui va les aider à mourir.

Ce qui implique qu’il faut développer une culture religieuse, bien connaître les grandes bases des différentes religions, pour pouvoir mieux accompagner chacun en fonction de ses croyances. Il faut apprendre les croyances et la compréhension de la vie et mort chez un musulman, chez un chrétien, chez un juif de manière à pouvoir lui rappeler quel point important peut le soutenir dans son cheminement.

Je crois qu’on peut faire ça à partir de la pratique de zazen, car zazen nous aide à retrouver l’essence de l’esprit religieux, par delà les différentes religions. D’une manière générale, une bonne chose pour tous les enseignants c’est d’approfondir et mieux connaître les différentes croyances religieuses de façon à pouvoir accueillir toutes sortes de personnes dans un dojo, et être capable de montrer comment la pratique de zazen peut aider chacun à mieux approfondir, mieux comprendre sa propre religion.

Et j’ajouterais que, d’une manière générale, même quand on a affaire à des gens en pleine force de la vie, il ne faut jamais vouloir prêcher le Dharma. Nous ne sommes pas des gens qui devons prêcher, mais des gens suffisamment éveillés pour saisir l’occasion de permettre à l’autre de prendre conscience de quelque chose.

Essayer d’être des éveilleurs de conscience

Si leur foi n’est pas clairement définie, de nouveau il ne faut pas enseigner le bouddhisme, mais autant que possible amener les gens, si leur état le permet, par des questions ou quelques paroles, à réfléchir sur ce qu’est pour eux le sens de l’existence. Il faut essayer de leur permettre de clarifier ce qu’ils pensent afin d’être le plus unifiés, en harmonie avec ce qu’ils croient. Donc la manière d’accompagner des gens, ça peut être seulement de les questionner de manière très “socratique”, non pas pour leur dire ce qu’on pense, ou ce qui est bon, ce qui est juste, ce qui est vrai etc., mais pour amener la personne à le découvrir peu à peu.

Aussi, accompagner des gens qui ont mené une vie très matérialiste et qui se disent: « Puisque je ne peux plus jouir de l’existence, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, aidez-moi à partir le plus vite possible ». Le point de vue d’un religieux, et notamment de quelqu’un qui pratique le Dharma de Bouddha, c’est de voir l’occasion d’aider la personne à prendre conscience que toutes les valeurs sur lesquelles elle s’est appuyée étaient des non-valeurs, ou des valeurs en tous les cas bien impermanentes, bien inconsistantes. Et ça peut être l’occasion d’un revirement, de réaliser qu’il y a autre chose qui pourrait être réalisé dans le temps qui lui reste à vivre.

Et comme le sens de l’existence se manifeste à chaque instant dans la réalité que nous vivons, je pense qu’il est tout à fait possible, même pour quelqu’un qui n’a jamais pratiqué, de s’éveiller même quelques minutes avant sa mort. Si véritablement la personne se confronte avec:  » Qui je suis ?  »  » Qu’est-ce que c’est cette vie ?  » .

Si on s’interroge profondément sur la réalité de cette existence, forcément, on va rencontrer quelque chose de l’ordre de l’éveil du Bouddha, tout simplement parce que, chacun, nous sommes déjà cette réalité.

Il y a une seule manière de s’éveiller: c’est d’abandonner l’ego.

Et au fond l’accompagnement ne dépend même pas de la religion de chacun, ça pourrait être d’aider les gens à pouvoir abandonner l’ego. Non pas par des injonctions mais par un accompagnement qui permette de prendre conscience de la vanité de cet ego, de sa vacuité et donc de la possibilité d’un autre état de conscience, qu’on appelle dans le bouddhisme “nirvana “, c’est un état de conscience qui est libéré de toutes les souffrances liées à cet attachement à une individualité, à un ego.

Et donc il faut avoir une confiance profonde dans le Dharma et dans le fait que tout le monde peut s’éveiller, tout le monde peut se libérer. On partage tous la même réalité de l’interdépendance, de l’existence telle qu’elle est, et donc il y a toujours moyen de s’y éveiller. Et cet éveil est extrêmement libérateur par rapport aux poisons de l’existence, ou par rapport au samsara qui, du point de vue du bouddhisme du Grand véhicule, n’est pas un lieu de renaissance mais un état d’être. On peut passer du samsara au nirvana d’un l’instant à l’autre dans cette vie-ci.

Je crois que si on a cette vision, on a la foi que jusqu’au dernier moment, un éveil est possible Et que ça ne demande pas forcément un grand nombre d’années de pratique, même d’existences de pratique, mais que c’est possible dans un seul instant avant de mourir. Et donc ça vaut la peine d’accompagner les gens, même s’ils paraissent très loin de ça. Ce qui implique de s’investir jusqu’au bout pour essayer d’être des  » éveilleurs de conscience « .

Dogen disait :  » Mieux vaut vivre une journée de façon éveillée que cent ans dans l’illusion.  » Et donc, même s’il nous reste qu’une journée à vivre, cette journée peut être plus importante que toutes les années passées précédemment. Et évidemment c’est rare que cela se produise, mais ça arrive, et notre rôle c’est de favoriser que ça arrive.

Empathie et disponibilité d’esprit

Il faut dire les choses que les gens peuvent entendre, ce qui implique une empathie extraordinaire, et l’empathie, je crois, est une des qualités fondamentales pour l’accompagnement de tous les vivants dans toutes leurs situations. C’est une capacité que développe normalement la pratique de zazen. En ce sens qu’en zazen on commence par être empathique avec soi-même, c’est-à-dire qu’on prend conscience de toutes les causes de souffrance, les bonnos, qui sont présents en nous comme des germes de toutes les souffrances humaine. Et donc se familiariser avec ses propres bonnos, ses propres causes de souffrance constitue la base même de l’empathie.

Quelqu’un qui ne souffrirait jamais, qui n’aurait pas de bonnos, en voyant des gens qui souffrent à cause de leurs bonnos, se dirait: « Ils sont un peu fous, ils ne sont pas normaux » et il se moquerait d’eux ou aurait tendance à les critiquer au lieu d’avoir de l’empathie à leur égard. Tandis que si au contraire, on a une pratique qui nous rend extrêmement attentifs à toutes les causes de souffrance que l’on a soi-même, même si on cherche à les refouler ou à les ignorer, il y a les germes qui sont là, qui apparaissent de temps en temps, et ça aide à être en empathie avec les autres qui souffrent.

Et puis, pour être en empathie avec les autres, il ne faut pas être trop encombré par ses propres bonnos, ses propres conséquences karmiques. Sans être totalement éveillé et libéré, il faut avoir l’esprit suffisamment dégagé pour avoir de l’espace, avoir un esprit vaste pour accueillir l’autre. Les gens qui ont la tête pleine de soucis ne vous écoutent pas, ne vous voient pas, ils sont enfermés dans leur petit ego.

Donc ça veut dire qu’avant même de se rendre au chevet d’un mourant, pratiquer zazen est fondamental pour se dépouiller d’un reste de préoccupation. Il ne faut surtout pas se présenter au lit du malade avec la tête pleine de soucis, et presque l’œil sur la montre: « J’ai encore tel problème à régler et puis il faut encore que je m’occupe de lui ». Il faut donc de la disponibilité et je crois que la pratique de zazen peut aider à cela.

Rayonner de son être

La plus grande aide que l’on puisse apporter, c’est sa propre manière d’être, les vibrations qui émanent de sa personne. Si la personne dit des belles choses mais qu’on la sent angoissée et qu’elle fait tout un  » prêchi prêcha  » pour masquer son angoisse, tout ce qu’elle dira n’aura aucun effet apaisant. Donc on accompagne avec sa réalité, son être profond. Même au moment de l’agonie, je pense que la vibration paisible qui émane d’une personne en paix par rapport à la question de la mort, apaisera le mourant.