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Par François Loiseau
Ma rencontre avec Maître Deshimaru fut d’abord la rencontre avec une voix, en 1975.
À cette époque, je vivais à Valenciennes dans le Nord, et un ami m’avait emmené au dojo de Pernety à Paris.
Je me souviens d’un endroit avec beaucoup de monde au zazen du matin, d’une relative agitation avant la cloche et de la difficulté à se trouver une place. D’autant plus que ceux qui avaient leurs habitudes semblaient peu disposés à en changer. Je crois que ce phénomène existe encore un peu…
J’avais réussi à me caser dans un coin, et j’essayais de me débrouiller avec cette posture découverte peu de temps auparavant. Posture que je trouvais fantastique, mais bien difficile à conserver longtemps.
J’en étais là de mes efforts avec les genoux, les lombaires et l’impatience, lorsque j’entendis soudain une voix profonde, caverneuse, surgissant du hara et emplissant tout l’espace du dojo. Ce son me captiva complètement, alors que je ne comprenais rien de ce qui était dit… Français, Anglais, Japonais ? De quoi parlait cette voix ? Mouchotocou, ichirio ? Mais le son, lui, me prenait aux tripes et m’accompagnait, me guidait, alors que ce zazen semblait s’éterniser…
À la fin de zazen, tout le monde s’est retourné pour la cérémonie et j’ai vu Maître Deshimaru autrement qu’en photo : deuxième choc ! Une force tranquille, imposante, voire inquiétante, et en même temps un regard doux, bienveillant et empreint d’humour.
Et il y eut cette première cérémonie, expression de la force brute de zazen, dépouillée d’artifices liturgiques et qui me semblait pourtant véhiculer toute la profondeur d’une très ancienne tradition.
Après le zazen, on s’est retrouvés chez tonton, le café de l’autre côté de la rue. J’étais assis à côté de lui, et je me disais que c’était comme d’être à côté d’un radiateur quand dehors il fait froid et que c’était rudement bien d’être simplement assis là.
Par la suite, à chaque fois que je le rencontrais, en sesshin, en camp d’été, ou en rencontre privée, c’était la même force tranquille, effrayante et bienveillante que je voyais en lui.
Mais aussi, l’humour. Je me souviens que l’on riait beaucoup à cette époque là et Sensei n’était pas le dernier. Et pourtant, tout était sérieux, le zazen, le samu, mais c’était léger et naturel. Maintenant, on dirait qu’on a un peu oublié cet aspect du Zen de Sensei, comme si le zen s’était figé dans sa théâtralité au détriment de la spontanéité créatrice. Mais, et j’insiste là-dessus, cette spontanéité ne signifiait pas que l’on pouvait faire n’importe quoi et ceux qui s’y risquaient étaient sévèrement réprimandés.
Il me reste quelques petits souvenirs, mes petits trésors : Le bruit de ses ciseaux coupant la dernière mèche, le délicat parfum de son kesa vert lorsqu’il passait derrière nous pendant zazen, ses expressions et son Zenglish, la masse imposante de son corps se mouvant avec légèreté et maîtrise dans le dojo, ainsi qu’à la buvette. Et son regard d’une infinie et profonde compassion, lorsqu’on s’y abandonnait.
Sensei ? Un guerrier rabelaisien de la Voie, et si profond, si profond…