Tir à l’arc et spiritualité – 2

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Par Artur Duch, Sitges (Espagne)

Le tir à l’arc est l’une des pratiques les plus anciennes de l’humanité. On a découvert des flèches de silex âgées de plus de 30.000 ans, une période transitoire qui va du Paléolithique supérieur au Mésolithique. Il semble qu’après la fin de la période glaciaire, l’utilisation de l’arc ait été étendue au reste du monde, sauf l’Australie.

Dans la Chine ancienne, le tir à l’arc avait une importance fondamentale, selon un texte classique du Confucianisme pendant la dynastie Shang et la troisième dynastie, la dynastie des Zhou (1146-256 av. J.-C.) qui fut la plus longue dynastie au pouvoir en Chine. Les Zhou ont utilisé pour la première fois l’idée d’un mandat divin pour justifier leur domination. Le tir à l’arc était considéré comme l’un des six arts qu’un chevalier devait maîtriser : la politesse, la musique, l’équitation, la calligraphie et les mathématiques.

Au début de la cérémonie du rituel profondément spirituel qu’est le tir d’une flèche, les archers se saluaient en faisant une révérence. Deux archers étaient associés, l’un plus jeune et l’autre plus âgé et ils formaient une équipe. Ils devaient lancer quatre flèches chacun, au rythme de la musique qui accompagnait la cérémonie. Au début du tir, l’archer tenait l’arc en main et tenait la flèche entre les doigts des deux mains, créant ainsi un instant de grande attention et d’immobilité. Les mouvements lents et harmonieux, l’attention, le respect des gestes et du comportement approprié étaient souvent plus importants que le fait d’atteindre la cible. À la fin de la cérémonie, tous les archers buvaient ensemble.

« Comme il est difficile de tirer en harmonie avec la musique et de tirer sans oublier l’objectif. Seul un archer de grande vertu peut le faire ».
Confucius 551 – 479 av. J.-C.

Dans la Grèce antique et durant la période mycénienne, l’arc et les flèches ont acquis une énorme popularité pour la guerre. Cette situation s’est transformée au début de l’Age du fer et avec les importants changements survenus dans l’éthique de la guerre grecque. Les Grecs ont en effet estimé que leur utilisation n’était pas éthique, car on pouvait tuer le meilleur guerrier de très loin sans qu’il puisse voir d’où arrivait la mort. L’éthique et l’honneur prévalaient sur le fait de gagner ou de perdre une bataille.

Dans l’Europe ancienne, les Romains et les Celtes ont laissé des traces, mais nous n’avons aucune preuve claire de l’utilisation de l’arc par les Ibères. L’arc le plus ancien qui nous reste aujourd’hui se trouve au Danemark et il est date de 8.000 à 10.000 ans.

Pendant la Guerre de Cent Ans, l’arc qui devint populaire fut le « longbow », long arc anglais qui mesurait entre 1 mètre 70 et 2 mètres. Sa puissance variait entre 90 et 100 livres (soit environ 40 à 50 kg) et son bois provenait de Tejo (la puissance d’un arc est la force que nous devons vaincre pour tendre la corde, elle est généralement mesurée en livres). C’est en Grande-Bretagne que fut créée en 1861 la première Fédération de tir à l’arc, la « Grand National Archery Society » (GNAS).

En Allemagne au XIVe siècle, les paysans étaient régulièrement appelés à pratiquer le tir à l’arc en tant que groupes de défense, puis ils ont utilisé des arbalètes. La France, pays d’une grande tradition de tir à l’arc, a également créé en 1899 la « Fédération des Compagnies d’Arc de l’Ile de France ».

Comme on peut le constater, dans ce qui est aujourd’hui l’Europe, rien n’indique que l’arc ait été utilisé pour autre chose que la guerre et la chasse, encore moins utilisé dans une « voie spirituelle ».  Comme dans les autres cultures, il a été utilisé comme un sport et ce fut la même chose avec l’arrivée des armes à feu.

En 1967, Maître Taisen Deshimaru est arrivé à Paris venant du Japon et il a immédiatement commencé à enseigner la pratique du zen et de zazen. Avant son arrivée en Europe, le zen était connu seulement grâce à la littérature. En un demi-siècle, le zen s’est répandu dans différents pays d’Europe, une infinité de dojos ont été créés, touchant différentes couches sociales.
À son arrivée en France, Taisen Deshimaru rencontra une société apparemment différente de celle du Japon, mais au fond pas tellement. Les différences peuvent être culturelles et traditionnelles. Mais quelle est la différence entre un olivier et un sapin? La différence est seulement extérieure, car essentiellement ce sont les mêmes arbres … Et quant aux arcs, quelle différence trouvons-nous entre un Yumi (l’arc long japonais) et un longbow ou un arc courbé traditionnel? Seulement sa forme. Pour chacun d’eux, nous devrons faire un effort pour resserrer la corde et charger l’arc avec énergie afin que la flèche puisse être lancée.

Le zen est une manière de vivre et de comprendre l’existence dans l’unité du « Tout », expérience profonde, et le zen imprègne notre quotidien. Selon Baso Matsu, « le zen est la conscience quotidienne ».

« L’ombre des pins dépend de la clarté de la lune », disait Kodo Sawaki.

« C’est l’esprit zanshin: l’esprit qui reste vigilant, sans s’attacher, attentif à l’instant présent et au suivant … »

L’intuition dicte alors le geste : « Ceux qui pratiquent zazen peuvent facilement le comprendre. Et tous ceux qui font à la fois l’expérience des arts martiaux et de zazen en tirent une grande sagesse et une grande efficacité », disait Taisen Deshimaru Roshi dans son livre « Zen et arts martiaux ».

Le zen a influencé certains groupes d’archers pratiquants à la fois zazen et le tir à l’arc. Ils ont, avec leurs arcs longbow courbés, la même attitude assis en zazen que quand ils lancent leurs flèches.

Nous sommes donc confrontés à un fait : la pratique du tir à l’arc est sous l’influence de l’esprit zen. Notre attitude face à la façon dont nous faisons les choses change tout … Cette façon de vivre le tir à l’arc occidental comprend l’attention, le calme, la respiration, le silence intérieur et la transmission. C’est une pratique qui vise au contrôle de soi, au contrôle de l’énergie dans l’abandon de l’ego, l’entraînement de la conscience et la communion avec l’ordre cosmique, dans un exercice d’attention, de respiration, de conscience du geste, de la posture et de l’esprit.

Une session de tir à l’arc est sous l’influence de l’esprit zen et commence par zazen. Puis on monte les arcs et les protections, en silence, lentement, sereinement, pour enfin entrer dans le dojo de tir à l’arc. En groupes de 4 ou plus, les archers sont placés près de la ligne de tir devant les cibles, avec dans une main l’arc et deux flèches dans le carquois (sac pour porter les flèches). Les poings sont fermés et reposent sur les crêtes iliaques (crêtes du bassin). Puis regardant la cible, on s’incline en légère salutation.

Ensuite, on prend position dans la ligne de tir, on prend une inspiration lente et profonde en la finissant par une rétention du souffle dans le hara, cela aide à retrouver un état de calme et de force. A l’inspiration suivante, aussi lente et profonde que la première, et tout en sentant l’air frais qui rentre par les narines on prend une flèche du carquois, les yeux dirigés vers la flèche et la main qui sent le contact. On place la flèche dans l’arc avec précaution, comme si elle pouvait se briser. Puis tandis qu’on expire à fond, avec à nouveau un blocage final du souffle, la flèche est placée sur la corde, l’extrémité inférieure de l’arc reposant sur le genou et le poing de la main tenant la corde posé sur la crête iliaque. On inspire à nouveau lentement, complètement, avec totale attention, et tout en regardant la flèche, on prend la corde avec les doigts en dirigeant l’arc vers la cible, on le lève au-dessus de la tête en même temps qu’on inspire. La flèche parallèle au sol, on baisse l’arc lentement en faisant attention aux épaules, jusqu’à atteindre la bonne hauteur. Les yeux voient la cible, l’arc dans la main, la corde, la flèche, la main de la corde. Les muscles pectoraux sont parfaitement relâchés, tandis que ceux qui tendent la corde, ceux du dos (serratus, trapèze, etc.) prennent du volume au fur et à mesure qu’on tend la corde. Les muscles abdominaux poussent vers le hara tandis que l’on expulse avec force l’air par le nez, faisant coïncider le moment où les doigts quittent la corde avec le dernier souffle d’air. On entend un petit « plop » au moment où la corde touche légèrement le bout du doigt. La corde qui tient la flèche et la main de la corde sont projetées vers l’arrière par l’inertie, caressant le visage vers la nuque. On voit la flèche voler vers la cible …

Mais peu importe si elle l’atteint ou non, car dans un tir vécu de cette manière, l’archer s’est atteint lui-même, en total unité, sans séparation. Le ki apparaît et remplit tout en un instant unique : l’arc, la corde, et l’archer ! C’est l’expérience de la fusion entre l’archer, l’arc, la flèche, la cible et le « moi ».

Lorsque le premier groupe d’archers a lancé ses flèches, il fait un pas en arrière. Faisant face à la cible avec les poings sur les crêtes iliaques et tenant l’arc dans une main, il fait un léger salut vers la cible. Puis le groupe quitte le champ de tir, laissant la place au groupe suivant.

Une session peut durer de 2 ou 3 heures, et à la fin on pratique à nouveau zazen. Puis on boit du thé et on mange. Nous voyons ainsi comment le zen, qui influence nos actions dans la vie quotidienne, influence également le tir à l’arc traditionnel occidental.

C’est une pratique mushotoku, sans but ni profit, sans discrimination, seulement l’expérience vécue à chaque lancer de la flèche et la perception de la globalité à cet instant. Seules notre attention et notre attitude changent ce que nous faisons.