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Par Roland Yuno Rech
Extrait du livre « Le Vent Pur », recueil d’enseignements donnés en sesshin sur le Denko-Roku de Maître Keizan
Pendant cette sesshin, je vais vous parler de la transmission de l’essence du zen entre Maître Tõshi Gisei et Fuyõ Dõkai qui devint le quarante cinquième patriarche de notre lignée. Bien que cette transmission ait eu lieu en Chine au neuvième siècle, l’expérience qui a été transmise est toujours actuelle. Elle exprime l’essence même de notre pratique d’ici et maintenant dans cette sesshin.
Fuyõ Dõkai, qui était devenu disciple de Tõshi Gisei, lui demanda un jour :
— Les paroles d’enseignement des bouddhas et des patriarches sont comme le thé et le riz mais y-a-t-il quelque chose de plus pour aider les êtres ?
Tõshi Gisei répondit :
— Le pouvoir de l’empereur dépend-il des empereurs d’autrefois ?
Fuyõ Dõkai était sur le point de répondre mais Tõshi Gisei lui mit son hossu contre la bouche en lui disant :
— Lorsque tu as commencé à penser, tu as mérité immédiatement trente coups de kyosaku !
C’est à ce moment-là que Fuyõ Dõkai s’éveilla profondément.
« Les paroles d’enseignement du zen sont comme le thé et le riz », c’est-à-dire qu’elles concernent la réalité quotidienne de notre vie.
On enseigne comment pratiquer zazen, comment prendre la posture, comment respirer, comment penser sans s’attacher à ses pensées, comment se concentrer sur la marche en kin hin, sur les gestes de la cérémonie, sur le samu, en étant présent à chaque fois complètement dans son corps, en accomplissant chaque chose totalement, sans en attendre un mérite personnel, un bienfait, simplement en donnant à la pratique avec les autres toute notre attention et notre énergie. Cela en soi est s’harmoniser avec la réalité ultime de l’existence.
Ce n’est pas une technique spéciale pour atteindre l’illumination. Il n’y a rien de caché dans l’enseignement. Mais certaines personnes croient parfois que la pratique n’est qu’un moyen pour atteindre l’éveil qui serait situé au-delà. Alors ils pratiquent mais tout en pratiquant, ils attendent autre chose, ils ont l’esprit ailleurs. Ainsi ils vident la pratique de sa signification profonde. Ils restent toujours avec un doute : n’y-a-t-il pas autre chose ? Est-il possible que ce soit simplement cela ?
Sûrement le satori est bien au-delà de l’action d’éplucher les légumes ou bien de tendre la colonne vertébrale pendant zazen… Dominé par l’esprit du mental qui veut toujours attraper quelque chose, on croit à une vérité cachée, comme si quelque chose nous échappait sans cesse. Mais précisément l’enseignement de Bouddha et de tous les patriarches est d’abandonner cet esprit-là et de se contenter d’être un avec chaque action, chaque pratique, en abandonnant l’idée qu’il y a quelque chose au-delà de la pratique.
Alors on peut pratiquer avec une foi, une confiance profonde et la pratique devient véritablement la chose absolue de notre vie, telle qu’elle est, à laquelle il ne manque rien. Cette pratique devient véritablement réalisation, c’est-à-dire une totale réconciliation avec soi-même. On peut cesser d’être divisé entre soi-même en train de vivre la vie présente et une attente d’autre chose, comme s’il n’était pas suffisant d’être totalement présent ici et maintenant.
Donc, pendant cette sesshin, s’il vous plaît, concentrez-vous totalement sur chaque pratique. Donnez-vous ainsi la chance d’expérimenter que vous n’avez pas besoin d’autre chose. Cette expérience peut alors se poursuivre dans tous les aspects de votre vie quotidienne, pour devenir la vie absolue.
Ainsi chacun peut trouver la véritable paix de l’esprit et arrêter d’errer dans l’existence comme un fantôme. Chacun peut se trouver véritablement chez lui partout où il se trouve et chaque jour devient un bon jour. La vie, telle qu’elle est, est la vraie vie. Pas besoin d’être nostalgique d’autre chose. Pour voir cela, il s’agit simplement de convertir son regard, d’arrêter de regarder au loin, parce que la voie existe exactement sous nos pieds, juste ici et maintenant.