Par Pascal-Olivier Kyosei Reynaud, Narbonne, septembre 2023
Prendre soin de la vie
Dans le Tenzo Kyōkun, Maître Dōgen Zenji enseigne le sens et comment réaliser la responsabilité du Tenzo, c’est à dire comment prendre soin des repas du monastère.
Cet enseignement est très concret et précis et permet à celui ou à celle qui s’en inspire de faire de sa vie quotidienne la pratique de la Voie.
Maître Dōgen écrit :
« Après le petit déjeuner, le midi, consultez le responsable du temple et son assistant afin d’obtenir des provisions pour les repas du lendemain et après les avoir reçus, protégez-les comme si c’étaient vos propres yeux ».
Il cite ensuite un ancien maître qui disait :
« Gardez les biens du temple comme s’ils étaient les prunelles de vos propres yeux ».
Prendre soin, cela s’applique aussi bien à la nourriture crue, aux matières premières, aux objets, qu’aux aliments cuisinés.
C’est une pratique essentielle dans un monastère, mais on peut tout à fait pratiquer cela dans sa vie quotidienne même si nous ne recevons pas notre nourriture par les offrandes faites aux moines ou au temple.
Notre réalité est l’inter-existence
Ce que nous achetons vient de l’interaction de l’énergie du soleil, de l’eau et de la terre, c’est aussi l’aboutissement du travail de nombreuses personnes et des énergies utilisées pour sa réalisation. C’est le fruit de l’interdépendance qui entretient la vie et qui, une fois reçu ne devrait jamais être gaspillé, pas même un grain de riz.
Un aliment ou un objet n’est pas qu’un aliment ou qu’un objet c’est la somme de cette chaîne infinie d’éléments complémentaire nécessaire à son existence.
Aujourd’hui, dans nos sociétés industrialisées nous consommons beaucoup et nous jetons énormément. Nous sommes les témoins et les acteurs d’un pillage et d’un gaspillage organisés des ressources terrestres.
Cette attitude quotidienne de prendre soin de ce que l’on reçoit, par le don ou par l’achat. De ne rien laisser se perdre et de ne rien gaspiller, commence à se développer.
Cela s’applique à la nourriture mais aussi à toutes choses, en particulier à l’énergie. Par exemple avec l’eau, en prendre soin, c’est ne pas laisser les robinets couler, ne pas prendre plus d’eau que nécessaire, l’utiliser pour plusieurs choses. Pour l’électricité ce sera éteindre la lumière ou le chauffage dès que c’est possible, ne pas laisser d’appareils en veille.
Sur ces points, les consciences commencent à s’éveiller.
Ce que nous n’utilisons pas, ce que nous ne gaspillons pas est ainsi préservé. Cela pourra être utilisé par d’autres ou ne sera pas extrait.
Notre attention et notre bienveillance se porte donc aussi sur l’observation de nos émotions et la clarification de nos désirs et de nos besoins ainsi que de notre manière d’être satisfait.
De quoi avons-nous vraiment besoin pour être heureux ?
Chacun de nos choix à une influence sur nous-même. Sur ceux avec qui nous sommes en contact et sur notre environnement. Les désirs sont infinis, c’est comme un feu qui dévore tout et qui nous consume. Aujourd’hui le monde s’enflamme, le réchauffement climatique ne serait-il pas le symptôme de l’incendie des désirs humain ?
Être sensible à la souffrance causée par notre attachement à nos désirs égoïstes permet de prendre conscience de notre participation et d’y remédier en changeant notre regard et nos comportements.
Prendre soin de ce qui nous est donné, c’est aussi prendre soin des autres existences. De la flore, de la faune, des personnes et de nos interactions. Dans le Bouddhisme, prendre soin de notre relation aux autres, cela passe par l’observation et l’attention à sa pensée, à sa parole et à ses comportements.
C’est notre pratique au quotidien. Cela ne veut pas dire que nous sommes parfaits. Mais que nous nous efforçons de le devenir en acceptant de voir nos lacunes et en étant dans la dynamique de changer ce qui devrait l’être.
Gratitude, bienveillance et responsabilité
Dans tout ce que nous faisons, notre responsabilité est engagée, nous sommes responsables de nos choix, de nos actes et de notre interaction.
Au lieu d’être un poids, cette responsabilité est notre liberté et notre créativité au sein du contexte dans lequel nous vivons. Nous avons le choix d’accepter ou de refuser. De ne prendre que ce qui nous est nécessaire tout en étant satisfait. Nous vivons alors en accord avec nos valeurs sans nous laisser séduire par les sirènes de la surconsommation.
Prendre soin, être attentif, ouvert et bienveillant permet de clarifier le système de valeurs sur lesquelles fonder son action et d’exprimer notre gratitude. Cela permet de placer l’éthique au cœur de son existence et de vivre à partir de cette éthique qui devient l’expression naturelle de nos qualités d’être.
Vivre de cette manière est la pratique continue de l’attention non seulement à ce que je suis et ce que je fais mais également à ce qui se passe dans chacune de mes interactions.
Cela signifie ne pas être négligent et se sentir concerné, partie prenante de l’inter-existence. Considérer chaque interaction, chaque instant, chaque lieu, comme le lieu, l’instant de la pratique de la Voie de la vie en harmonie.
Chaque lieu, chaque instant est le possible où je réalise pleinement mon unité avec tous les existences dans le respect et la bienveillance.
Le repas est la cérémonie de la vie
Dans le Chapitre Fushukuhampo, Maître Dōgen écrit :
« Lorsque nous devenons intimes avec la nourriture que nous mangeons, nous devenons intimes avec toutes choses. Quand nous devenons intimes avec toutes choses, nous devenons intimes avec la nourriture que nous mangeons. »
Quand manger est l’intimité avec toutes les existences il n’y a plus de séparation, tout est immédiatement accomplit et présent. Manger devient toute chose et toute chose est la pleine réalité de l’existence.
Le repas comme cérémonie de la gratitude et de la compassion
Notre vie est soutenue par toutes les existences. Pour vivre nous nous nourrissons du vivant à chaque repas. C’est une des sources de la gratitude et de la compassion.
Au cœur du Gyōhatsu Nenju, le sutra des repas, se trouve le passage des cinq contemplations. Gokan no ge en japonais.
- Premièrement, nous devons réfléchir à la manière dont cette nourriture nous est parvenue.
Notre reconnaissance s’adresse à tout ce qui y a contribué. - Deuxièmement, en recevant ce don, nous devons vérifier si nos vertus et notre pratique le méritent vraiment.
- Troisièmement, nous devons revenir à la condition normale de l’esprit, être libre de toute convoitise et avidité.
- Quatrièmement, nous devons manger cette nourriture pour la santé de notre corps.
- Cinquièmement, nous prenons cette nourriture pour nous perfectionner sur la voie du Bouddha.
Ainsi la cérémonie des repas devient cérémonie de la vie et de l’harmonie avec l’ensemble des existants.
Chaque instant est l’occasion de vivre concrètement une vie éveillée dans chacune de nos actions. Quoi que nous fassions, où que nous soyons, quelques soient les conditions rencontrées.
L’esprit d’éveil et de compassion s’actualise à chaque instant.
Cela signifie que c’est à créer en soi, que ce n’est jamais figé et que cela ne peut être possédé.
C’est ce qui le rend précieux et unique car il est insaisissable. C’est la vie qui bat et se transforme constamment en fonction des circonstances et de l’inter-existence.
Chaque instant de cette vie est le lieu de notre pratique dans l’ouverture compatissante et la sagesse active.
Lorsqu’on ouvre son cœur-esprit à l’être-avec de chaque instant, rien ne manque ni n’est en trop.
Notre participation au chant de l’univers est spontanément vivante, paisible, joyeuse, juste et harmonieuse.