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Par Roland Rech – Le Vallon (Vosges) en avril 2012
On part faire une sesshin pour approfondir la pratique de la voie, avec la totalité du corps et de l’esprit.
Nous engageons toute notre énergie dans la pratique de chaque instant.
Sans cet engagement, la voie reste comme un rêve, elle n’est pas véritablement réalisée. La réalisation est une question d’instant : instant après instant.
D’instant en instant, revenir au corps, d’instant en instant, revenir à la réalité d’ici et maintenant, sans attendre quelque chose pour plus tard. La pratique doit être complète, parfaite à chaque instant, sans rien qui manque, sans rien à attendre de cette pratique. L’esprit qui attend toujours quelque chose d’autre est abandonné dans la pratique de zazen. Cet esprit est ce que l’on appelle le mental dualiste, qui fait toujours quelque chose en pensant à autre chose, comme si l’ici et maintenant ne servait qu’à atteindre quelque chose d’autre ailleurs et plus tard.
Cette attitude crée un fossé, une séparation irrémédiable entre pratique et réalisation et cela devient la cause de nombreux doutes car à ce moment-là, la pratique n’est pas véritablement éveillée et évidemment, on trouve qu’il y manque quelque chose, que l’on espère atteindre plus tard, alors que c’est cet espoir lui-même qui empêche la réalisation.
Quand on s’assoit en zazen, il faut tout abandonner car il n’y a besoin de rien d’autre que d’être pleinement assis ici et maintenant. Ceux qui pratiquent depuis longtemps ont déjà certainement entendu cet enseignement de nombreuses fois mais il ne suffit pas de l’entendre et de le mémoriser mais il faut constamment l’actualiser, le réaliser concrètement, à travers la totalité du corps et de l’esprit. Alors la pratique consiste à revenir à notre véritable condition normale, c’est-à-dire à fonctionner de façon harmonieuse avec le Dharma, vivre pleinement notre interdépendance avec tous les êtres et laisser tomber notre ego qui crée des séparations et des obstacles. Alors, on peut réellement s’éveiller, voir la vérité telle qu’elle est. On peut s’éveiller de nos illusions en les voyant défiler sur le mur de zazen et surtout on peut s’éveiller à la réalité, la réalité de notre vie sans aucune séparation, dans laquelle corps et esprit sont toujours ensemble, dans laquelle soi et les autres ne sont jamais complètement séparés et surtout dans laquelle chaque instant de pratique est un instant de réalisation.
C’est ce qu’enseignait constamment Maître Dogen. Même si son enseignement date d’il y a 800 ans, sa valeur est toujours parfaitement actuelle. Il appartient à chacun de le vérifier par sa propre expérience. Il ne suffit pas de se contenter de croire ou de penser mais essayer de le vivre et de voir ce qui se passe.
Dans le Shinjin Gakudo, Maître Dogen examine les deux aspects de la pratique : la pratique avec l’esprit et la pratique avec le corps. Bien évidemment, le corps et l’esprit ne sont jamais séparés. Ils sont deux aspects de la même réalité qui nous constitue. Lorsque l’on pratique zazen, on étudie la totalité de ces aspects. On ne se imite pas à un seul côté. Tout notre être participe à la pratique. Rien ne reste à l’extérieur.
Dogen nous dit : « Lorsque l’on étudie avec l’esprit, cela veut dire que l’on étudie avec les différents aspects de l’esprit, tels que la conscience, le cœur (l’émotion) et l’intellect. »
Souvent, on a tendance à rejeter l’intellect. Mais l’intellect peut aussi contribuer à étudier la voie, à condition de ne pas seulement s’attacher à des notions. Par exemple, comprendre que « tout est impermanent » ne doit pas rester une compréhension intellectuelle. Mais il est déjà important de le comprendre intellectuellement. De même, comprendre que « tout est sans substance fixe, tout est vacuité », l’intellect peut aider à le comprendre. Lorsque l’on pratique zazen, la compréhension intellectuelle s’approfondit. Elle devient compréhension à travers la totalité du corps et de l’esprit. La conscience y contribue car elle se met à fonctionner sur le mode hishiryo. On pense sans s’attacher aux pensées. Ainsi, on s’harmonise naturellement avec l’impermanence. Ce qui était une compréhension intellectuelle devient la réalité de notre vie de cet instant.
Dans la conscience en zazen, tout apparaît et disparaît d’instant en instant. Rien ne demeure. Ainsi, notre tendance à nous attacher à des notions, à des conceptions disparaît. Notre cœur, notre capacité à ressentir la réalité intimement s’ouvre. Même les sentiments, les regrets de voir les choses ou les êtres que nous aimons disparaître contribue à notre réalisation de la voie. Car elle nous fait comprendre ce qui est la souffrance de tous les êtres. Ce qui permet de développer un état d’esprit compatissant.