Traductions ABZE disponibles (PDF) :
Par Antonio Arana Soto, Pampelune (Espagne)
“Nous ne savons pas où nous allons
San Juan de la Cruz
par où nous allons”
L’illusion d’être séparé reçoit du coup une sonore gifle d’interdépendance et de globalisation. L’opportunité de nous voir dans l’unité que nous partageons. En substance, ces jours-ci, il nous reste une grande déroute, on ne sait pas comment le vivre ! « Le plus profond de l’être humain n’est pas le désir du plaisir mais son désir de sens » V. Frankl.
On a vécu d’intenses moments de solidarité, d’empathie, qui ont manifesté la belle capacité de coopération humaine. Dans la profondeur de nos entrailles, dans notre centre vital, le hara, nous abritons la capacité de cette empathie, de ressentir et de se mettre à la place de l’autre. De le sentir d’une manière profonde. Il ne suffit pas de donner, c’est se donner, fuse. Se donner à l’autre comme terre ferme. Infirme du latin « infermitas », sans terre ferme.
Il apparaît un être collectif, un moi du groupe, un lien chaleureux dans les applaudissements chaque soir en hommage aux personnel soignant et à leur énorme travail; un lien inconnu avec nos voisins, une créativité partagée, des groupes sociaux, des réseaux, sensation d’appartenir qui nous fait sortir de l’auto-isolement et du déracinement.
A Barañáin où j’habite, 21 000 habitants, rien que d’apprendre le confinement, il s’est créé le « Barañáin Zainduz » (Citoyens à Barañáin) et en deux jours 130 personnes avec des profils différents se proposent bénévolement, pour résoudre des problèmes de santé, psychologiques, éducatifs, accompagner la solitude, cuisiner, faire des achats pour un collectif à risque. De petites commissions comme aller à la pharmacie pour des médicaments ou faire des courses pour une personne aveugle qui habite toute seule, jusqu’au soutien psychologique à des personnes âgées soucieuses de la situation qu’elles sont en train de vivre. Leur préparer des repas. Cuisiniers suggérant des recettes simples, équilibrées et savoureuses. Poètes, bertsolaris dédiant leurs poèmes à ceux qui les demandent, à la fois proposant des moments d’une grande créativité. L’être humain se manifestant comme humain. La goutte d’eau qui se reconnaissant elle-même en tant qu’eau à l’autre sans regarder la tension superficielle de différenciation.
M’émeut cette belle capacité de coopération humaine, d’accueil, que la communauté manifeste, La réponse (responsabilité : donner une réponse) de ce pays a eu lieu dans des crises précédentes. Et c’est triste de constater que les personnes âgées – qu’à l’époque accueillaient ses enfants à nouveau chez elles à cause du chômage, avec qui elles ont partagé leurs retraites – sont décédées en plus grand nombre.
Peut cette reconnaissance nous amener à un autre espace ? Un espace que s’ouvre au-delà de notre narcissisme ? Un espace avec plus de solidarité et d’empathie. Avec plus de vérité, bonté et beauté. « Seule la beauté peut changer le cœur de l’être humain, enclin par nature aux ténèbres », San François d’Assis.
Et au même temps, quelle image offrent nos leaders politiques ? Que l’on soit ou non d’accord avec eux, qu’on les apprécie plus ou moins, leurs « gestions » nous dirigent. Et sans doute, elles sont un reflet des attitudes, comportements des sociétés auxquelles on appartient. Et à nouveau les affrontements, les divisions, la mise en évidence des différences et des passions… S’il vous plaît, moins de passion et plus d’intelligence.
Dans ce pays, quelque chose comme l’Espagne, le langage dès le premier moment a été de guerre, autant dans les expressions du gouvernement comme dans les différentes communications. A chaque communication officielle apparaissaient plusieurs généraux en uniforme de différents corps de l’armée. « Le moyen c’est le message » (Mac Luhan). Jouant avec les mots on pourrait dire la peur est le message. Mais, quel est le nôtre et quel est celui par lequel les médias nous l’inoculent ?
Peur, l’émotion qui déséquilibre le plus. Hobbes disait : « Quand ma mère m’a mis au monde, sont nés des jumeaux : ma peur et moi ». La peur, nécessaire en tant qu’instinct de survie pour notre intégrité physique; de mon point de vue, a été transmise et se manifeste chez beaucoup de gens de manière excessive. Et elles se sont repliées en l’exprimant en paralysie ou en colère. On retient notre pas joyeux avec sa dose de mort qui guette. Sa racine profonde est l’idée d’être un moi séparé, avec ignorance de la vraie identité, l’unité que nous sommes et qui nous soutien. La peur est une émotion opposée à la confiance. Ella utilise les mêmes circuits neuronaux et si l’une est active, l’autre ne peut pas l’être au même temps. La confiance est un art qui est cultivé dans la profonde acceptation de ce qui est.
Comment récupérer l’énergie qu’on a perdue dans ce repli ? Il nous faut une attention connectée. L’important ce n’est pas que l’on perde la peur, mais d’être capables de voir à travers elle. Et si on n’y arrive pas, il y a une forte possibilité qu’elle se transforme en panique, en une profonde et irrationnelle peur de la mort qui nous empêche d’être ce que nous sommes. Ce qui élève encore plus l’isolement. Comment réguler l’excès ? Comment arriver à sa gestion équilibrée? J’ai été surpris de voir autant de personnes affectées par des crises de panique, avec cette sensation de mort imminente. La peur tournée vers l’intérieur, insécurité pathologique de ne pas voir une issue à la situation. Et l’être humain transformé en « l’homo recurvatus » comme disaient les philosophes cisterciens. Tourné vers soi-même, enfermé, sans issue. Et dans cet aspect l’aide des pratiquants à gérer ces crises.
« Ma vie a été pleine de terribles malheurs, la plupart d’eux n’ont jamais eu lieu », Montaigne. La peur qui me sépare du monde et qui rend difficile ma relation avec lui. Et l’offre de le respirer, de ne pas nous accrocher à lui, d’aller au-delà. Sachant que la clé ce n’est pas de le sentir, sinon comment on le vit, ce que l’on fait. On peut le descendre jusqu’à la profondeur du hara pour le vivre, sans projections depuis les entrailles et aller au-delà.
Dans chaque comparution, avec de continuelles métaphores belliqueuses sur la gestion de la pandémie, on nous a vendu, dès le premier moment, la nécessité d’être contrôlés, l’un des effets de la peur : la tentation autoritaire. Défi aux libertés citoyennes, l’armée avec des attributions sans précédent dans l’histoire de la démocratie espagnole. Liberté ou sécurité? Qu’est-ce que je suis disposé à céder de moi, sans me trahir ni de me nier par cette sécurité ? Une application dans le mobile avec contrôle permanent?
Et nous voyons comment surgit l’autoritarisme. Il existe un problème sanitaire et on met dans le même sac des mesures policières très sévères qui n’ont pas une justification sanitaire. L’extrême comme en Espagne, où on ne pouvait pas sortir de la maison, sauf pour les achats nécessaires, pharmacie…et d’être possible, une fois à la semaine. Les enfants, les malades, les personnes âgées, ne pouvaient pas sortir de la maison; les chiens oui. Ne pas pouvoir voyager en voiture avec les personnes avec qui on cohabite, seulement une personne par véhicule, au premier moment. Et des personnes au balcon intoxiquées de peur et d’ignorance qui contrôlaient les personnes qui sortaient de chez eux, au personnel sanitaire qui rentrait à la maison, de peur d’être contaminées.
Je voudrais inclure une série des réponses données par des personnes à propos de la pandémie, de différentes traditions. Elles se sont exprimées ainsi :
« Jésus est notre guérison », évangélistes.
Lorsqu’on a décidé d’annuler la sesshin avec Roland à Egino : « Quelle peu de confiance tu as dans le dharma qui nous guérit ».
« La meilleure défense contre le virus c’est la foi », Isis.
« La vierge est exemptée de la contagion du coronavirus », dans le baisemain à la vierge de Séville.
Il est certain que ces expressions détruisent le post-modernisme et nous rapprochent d’une croyance médiévale, les mêmes réponses mythiques que dans des « pestes » précédentes.
Et la mort qui restait si longtemps cachée, se montre sans aucune pudeur à chaque bulletin informatif. On l’a cachée depuis si longtemps que maintenant elle est encore une autre belle gifle. Et on ne peut pas dire au revoir aux morts proches. Peu importe le pays, la langue, la peau, on tombe tous malades et on meurt tous de la même manière, bien que ce soit vrai qu’à plus d’inégalité sociale, plus des morts et de souffrance. Au Royaume Uni et aux Etats-Unis la mort affecte seize fois plus aux travailleurs peu qualifiés et aux ethnies. Et reviennent les frontières, « le nôtre » et « l’autre », « le nord et le sud ». Il est indispensable dans un monde si interdépendant établir une solidarité internationale, et « que la main invisible de l’économie de marché, la main invisible de l’Etat et la main intangible des valeurs, des normes et des vertus civiques aillent à l’unisson », Adela Cortina, professeure d’Éthique à l’Université de Valence.
Et cette crise nous arrive de la main de la lecture d’un virus de quatre lettres (a.u.g.c.), adénine, uracile, guanine, cytosine, combinée en douze (ccu cgg cgg, gca). Soixante-dix millionième de millimètre. Son code génétique tient dans quatre pages d’un journal. Son objectif : ouvrir la fermeture de la cellule humaine, le récepteur ACE2. Avec vingt fois plus de succès que el SARS. Une fois ouverte il insère un code ARN et commence à se répliquer. Sa taille, par rapport à l’être humain c’est comme une poule par rapport à la planète terre. Un être si minuscule peut nous amener à une énorme réflexion, vers un énorme apprentissage.
Disait Carolina Emcke : « Mon inquiétude majeure est de ne rien apprendre de la crise. Surtout me préoccupe que cette apprentissage que l’on est en train de faire, douloureux et amère, tombe dans l’oubli, que quand tout soit fini, on reconstruise nos sociétés avec les mêmes injustices, avec la même instabilité ». Quelle est la durée des changements qui se produisent sous l’effet de la peur une fois disparu le motif de celle-ci ?
Aussi, interrogeons-nous sur notre style de vie, qui est en train de nous amener à une destruction systématique de la planète, chaque fois plus fragile et vulnérable. C’est un bon moment pour nous interroger sur les trois instigateurs de la roue du samsara : l’avidité, la colère et la confusion-ignorance; représentées sous forme d’un coq, d’un serpent et d’un porc; ces trois poisons veillent sur notre propre existence et l’existence.
Quelle est la raison profonde de ce qu’arrive. Du pourquoi cela arrive. On en parle très peu de tout le réseau des causes et des conséquences qui nous ont amené jusqu’ici. On ne peut pas continuer avec une irresponsable consommation, cause de tant de préjudices écologiques sur terre, avec cette déprédation qui ravage les différents habitats naturels.
Les voies ferrées, les villes construites au Congo par les colons belges, ont permis que le lentivirus des macaques s’adapte au corps humain, se transformant dans le VIH. Quand l’immense zone humide de Sundarbans, dans le Bengale, a été transformée en une immense rizière par les britanniques, la bactérie aquatique connue comme le choléra, s’est propagée et a provoqué sept pandémies, la dernière à Haïti. On est allé au-delà des limites naturelles, éthiques et humaines; qu’est-ce qu’on mérite?, sommes-nous une espèce viable?, est-il possible un profond déclic de changement ?.
Xabier Euskitze, journaliste et bertsolari1 basque, l’a su bien exprimer: « Tant que la vie continue/ et elle belle/ Uniquement elle a enfermé en cage le genre humain/ et veux nous adresser un message/Vous n’êtes pas nécessaire./L’air, la terre, l’eau et le ciel se portent bien sans vous./Quand vous aller revenir, n’oubliez pas que vous êtes mes invités et non mes maîtres/.
Un changement réel peut arriver de la main d’un changement de conscience. De cette conscience d’unité, quand on s’aperçoit de la profonde interdépendance avec toute la vie, qu’on partage la même essence. « Le bodhisattva éveillé se manifeste dans le samsara, sans se séparer du nirvana. Il plonge dans l’océan des émotions négatives pour découvrir le trésor de la connaissance », Vimalakirti, Le soutra de la liberté inconcevable.
Nous avions la nostalgie du beau mur du dojo. De la pratique de zazen et de ce zafu avec la posture primordiale de la non-peur et le poids d’une flamme au dessus.
- personnage basque semblable au troubadour ↩︎