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Patrick Pargnien à Bordeaux, mars 2020 (France)
Question : Tout cela (le virus et le confinement), n’a-t-il que le sens que nous lui donnons ? Ou bien a-t-il un sens propre ?
Patrick Pargnien : Ce que nous vivons à l’heure actuelle est une période d’autant plus inédite que notre génération n’a connu aucune guerre, aucune privation et que nous avons été nourris avec la croyance que la technologie et le progrès subviendraient à toutes les éventualités. Nous sommes donc, pour la plupart d’entre nous, comme des enfants qui se croient tout-puissants. Et donc ce virus, cette situation, vient fortement « ébranler » et fissurer cette construction mentale, cette croyance.
C’est une des raisons pour laquelle ce que nous sommes en train de vivre actuellement va, selon nos ressources intérieures, soit être un tremplin vers une ouverture de conscience (qui était déjà en devenir) et vers une acceptation du changement à venir, soit va immobiliser, figer la conscience, l’identité dans la peur … et donc cette identité va se tendre vers l’espoir que tout redevienne « comme avant ».
La peur est un virus que nous avons contracté très tôt dans notre existence et qui est tapi dans les moindres replis du tissu de l’être existentiel, du tissu psychique. Un dicton populaire dit que « la peur est mauvaise conseillère » et nous pouvons le vérifier dans certains choix de notre vie, que ce soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle collective. Elle est l’émotion « racine » qui sous-tend donc beaucoup de nos actions, de nos choix de vie et qui nous projette vers l’espérance d’une vie meilleure ou vers la crainte d’un avenir difficile. Elle nous coupe ainsi de nos ressources intérieures, de la force créatrice et de l’élan vital qui « atteint » sa plénitude dans l’ici et maintenant. Et à l’heure actuelle, rien n’est plus important que de s’accorder à ce « maintenant » qui est le «refuge » où le « moi-peur » ne peut pas absorber le champ de la conscience.
Il est certain que, chez les plus fragiles d’entre nous, il va y avoir des décompensations psychologiques, des dépressions et des expressions de violence. Ce qui a déjà commencé. Mais bien entendu, c’est aussi une situation qui va révéler des qualités de solidarité, de compassion, de créativité, nécessaires pour que nous puissions continuer à vivre en « intelligence du cœur » avec la nature et les autres.
Et l’enjeu majeur est que cela se manifeste, non seulement maintenant au cœur de cet inédit, mais aussi quand tout cela sera passé. C’est-à-dire intégrer, absorber la différence de chacun(e), des différentes formes du vivant et plutôt que d’en avoir peur, d’en voir toute la richesse.
Il est difficile de séparer « le sens que nous donnons » (ou que nous allons donner) et « le sens propre » (bien que je ne pense pas que nous puissions parler ici de sens propre) à ce qui se passe en ce moment, car cela touche toute l’humanité, avec ses choix qui s’appuient, hélas, plus souvent sur l’ignorance et l’avidité que sur le cœur conscient, avec tous les déséquilibres qui en découlent.
Déséquilibres, tout autant sur le plan de la relation que du vivant (vivant dont nous faisons partie, ce que l’humain que nous sommes a tendance à oublier, en en se positionnant toujours comme étant un être à part). Il ne faut jamais oublier « qu’avant » d’être des êtres pensants, nous sommes des êtres vivants et que – dans ce sens – nous faisons partie intégrante du vivant. C’est pour cela que nos actions, quelles qu’elles soient, constructives ou destructrices, ont une influence directe sur le monde…
Mais déséquilibres aussi sur le plan de la relation interhumaine, où nous développons de plus en plus le sens de l’individualité et surtout de l’identification à cette personnalité qui nous fait nous enfermer dans un égocentrisme à la recherche de son propre profit. Ce qui nous fait oublier que nous ne sommes pas seulement un «un séparé »,mais que nous sommes aussi l’humanité, et bien sûr le vivant … C’est l’enjeu sacré de tout chercheur et de toute chercheuse spirituelle engagé(e) dans une Voie, l’enjeu qui est à réaliser : émerger du rêve de la séparation pour s’éveiller à la Totalité.
Alors, ce que nous vivons en ce moment va être influencé par le sens que chacun(e), seul(e) et collectivement, va lui donner. Nous ne pouvons que souhaiter qu’il nous permette d’ouvrir les yeux sur le changement que nous devons opérer dans notre manière d’envisager notre présence dans le monde.
Mais nous ne pouvons pas réellement dire que cette situation et ce virus ont un « sens propre ». Ce virus est plutôt, d’une certaine manière, le fruit de ces déséquilibres, le fruit de nos actions qui n’ont pas été et qui ne sont pas alignées à cette grande Loi qu’est l’interdépendance et donc avec le respect de la vie.
Ce virus, avec toutes les conséquences qui s’en suivent, vient nous interroger sur les choix que nous avons posé, collectivement et individuellement. Il provoque aussi la question du sens profond de notre existence et de notre rapport à la vie et à la mort.
Entrer en retraite, en recueillement dans le sens de l’intériorité, est une des réponses les plus ajustées à donner pour laisser ces questions « infuser », « maturer » dans les terres profondes de l’Être, pour qu’elles puissent fertiliser les changements inévitables à venir …
Le sens que nous allons donner à cette situation va dépendre de la force et du courage de chacun(e) d’entre nous à se laisser toucher par ces interrogations, et des réponses qui vont pouvoir émerger de l’intimité de l’Être, de l’intimité du « temple intérieur » de chacun. Et à notre capacité d’être pleinement présent(e) à ce qui est, tel que c’est, et à s’accorder, à s’abandonner au mystère du chant du cœur conscient, intuitif …
En ces temps inédits qui nous font cheminer sur les sentiers de l’imprévisible et de l’inconnu, il est important aussi de ne pas rester focalisé(e) sur un seul point, c’est-à-dire le confinement, le virus et la peur de le contracter. Mais de cultiver l’intention de se confier au souffle, de s’y déposer et de voir, d’entendre, de ressentir, de percevoir dans notre cœur le mouvement de la vie qui continue dans toute son arborescence et son incroyable silencieuse beauté : dans un lever ou un coucher de soleil, dans la clarté mystérieuse de la pleine lune, le chant imperturbable d’un oiseau, la beauté éphémère d’une fleur, le rire d’un enfant, un simple regard (même distancié) et de pouvoir encore s’émerveiller de cela.
J’espère que cette réponse sur la question du sens que nous pouvons donner à cette situation et du sens propre qu’elle a, pourra te nourrir et t’inspirera pour cheminer et approfondir ce questionnement.
Tu trouveras ci-dessous, en « complément » de cette réponse, un poème que j’ai écrit lors d’une marche dans le désert …
De cœur à cœur, Patrick.
Cela est, et a toujours été
Mystère de l’instant présent
Je suis l’aube et le crépuscule du jour
Je suis les dunes imperturbables
Je suis le vent du désert
Sans attache
Qui clarifie les illusions du cœur
Je suis l’oiseau qui vole sans rêve de devenir
Je suis les larmes de désespoir de l’être humain
Ignorant sa nature réelle
Je suis le rire, le chant insondable de la Vie
Dans l’abandon de la fleur au rayonnement du soleil
Je suis homme et femme
Je suis un grain de sable et l’immensité
Je suis l’éternel et l’éphémère
Je suis Un et Tout
Je suis la contemplation de la Totalité
Et pourtant, je ne suis pas …