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Sengyo van Leuven à Saint-Thierry, 2015 (France)
Question 1 : Plus je fais zazen, moins je sais ce que c’est « faire zazen ». J’ai l’impression que quand je fais zazen, les choses se passent au-delà de moi-même. C’est à dire, des fois il y a des pensées qui viennent, des fois l’esprit est complètement clair, ouvert sur tout ce qui se passe autour de moi.
Sengyo van Leuven : Oui, tout à fait. C’est comme ça effectivement, ça n’est pas par notre volonté que les choses se produisent.
Q1 : Mais après, le problème c’est qu’est-ce qu’il faut enseigner ?
S.V.L. : Rien. Rien parce qu’on ne peut rien enseigner. Les personnes doivent réaliser par elles-mêmes. L’enseignant ne peut pas réaliser pour les autres. On enseigne comment prendre la posture juste, la posture de l’Eveil, comment respirer, comment doit être la posture de l’esprit, l’état d’esprit, laisser passer les pensées, ne pas juger, de toujours ouvrir les mains, le lâcher-prise, retourner au corps, et par ce retour constant abandonner le corps, abandonner corps-esprit et réaliser la Voie.
Q1 : Oui. Des fois on retourne sans arrêt, sans arrêt, on réalise sans arrêt, sans arrêt, mais des fois on se fait prendre…
S.V.L. : Des fois, on est un peu pris dans les illusions du « Moi ». Avec l’expérience de la pratique on s’en rend compte de plus en plus vite qu’il y a ce piège, ou qu’on est tombé dedans, mais ce n’est pas ça le danger. Le danger, c’est de ne pas le voir. Et c’est pour ça qu’on continue à se fier à un guide, à un maître tout au long de sa vie, on continue à pratiquer avec son maître le plus longtemps possible. Et même si le maître n’est plus là, il faut continuer à être prudent sur la Voie et toujours se remettre en question. Ne pas être satisfait de soi-même, imbu de soi-même, rester modeste et justement, ne pas savoir. Ça c’est la meilleure réponse qu’on puisse donner : « je ne sais pas ». Parce qu’effectivement, moi, je ne sais pas.
Ce dont je peux parler, ce sont des expériences faites. Ça c’est mon enseignement. Je ne peux pas parler d’autre chose, je ne peux pas, moi, parler de quelque chose. C’est par l’abandon de soi qu’on réalise. Et cette réalisation s’imprègne de cette expérience. Là, on enseigne. Donc, si tu sais de moins en moins ce que c’est zazen, c’est que quelque part tu es sur la bonne voie. Ça veut dire que toutes les sécurités, les convictions, les concepts commencent à tomber, à ne plus être aussi sûrs, aussi bien définis.
Ça veut dire qu’il y a une plus grande ouverture. C’est effectivement cela qu’on doit voir. Donc ne t’inquiète pas, on n’est de toute façon jamais prêt, on n’est jamais arrivé à la fin non plus, c’est toujours ici et maintenant à réaliser, à actualiser. Il faut continuer éternellement, c’est le vœu qu’on a fait en tant que bodhisattva. Et même si ce corps lâche, le vœu continue. Ce qui fait que quand les quatre agrégats se mettent de nouveau ensemble, ce vœu est de nouveau présent et cet agglomérat qui s’est formé rencontre de nouveau la Voie. Et nous-même, d’instant en instant, de naissance en mort, à chaque instant de notre vie, nous faisons la promesse de revenir, de continuer la pratique en se plaçant au-delà, sur l’autre rive.
On ne doit pas transporter les gens sur l’autre rive. On doit se mettre sur l’autre rive et partir de là pour agir pour cette rive. C’est-à-dire en fait qu’il n’y en a pas, c’est le tout, il n’y a nulle part où aller, juste ici et maintenant à actualiser, c’est zazen qui fait zazen, il n’y a pas de « moi » dedans. Bonne chance, bonne continuation !
Question 2 : Dans le Zen il y a à la fois le silence et les mots. On passe des mots, des pensées qui nous traversent au silence, puis il y a les mots de celui qui dirige le zazen, les kusen. Quelle place accorder aux mots mêmes, à la pensée et au silence ? »
S.V.L. : Les mots de l’enseignement naissent du silence. Il ne s’agit pas d’une masturbation intellectuelle. Ça il faut bien le comprendre, sinon ça ne veut rien dire. Si on se livre à des commentaires ou à des réflexions purement intellectuelles elles n’ont aucune valeur. Et d’ailleurs, à ce moment-là on ne pourrait plus enseigner. On ne peut enseigner que ce qu’on a réalisé. C’est ce que Sensei [i.e. Roland Rech] me disait tout le temps. Et donc l’enseignement naît vraiment du silence. Ce n’est pas ma personne qui est en train de parler. C’est bien moi qui suis en train de parler, ce n’est pas quelqu’un d’autre, mais ce n’est pas moi. Tu comprends ?
Q2 : La source des mots, c’est le silence ?
S.V.L. : Oui, ils trouvent leur origine là-dedans, dans la pratique, dans ce qu’on a réalisé à ce moment-là et à ce moment-là on sent, comme les barrières tombent un peu, on voit bien où il y a des pièges, où quelqu’un est en train de trébucher. Ça nourrit la compassion de protéger et de guider, mais pas pour punir ou se moquer ou faire des réflexions malsaines, mais à partir d’une très grande compassion née de nos vœux de bodhisattva, tout en suivant le mieux possible les préceptes. Les préceptes sont là dans notre vie quotidienne pour nous guider. Mais tout doit être vu dans sa juste valeur, la lumière juste.
Q2 : Parce qu’il y a eu beaucoup d’écrits, par exemple Dogen, Bouddha…
S.V.L. : Oui, tout-à-fait. Ils sont très prolifiques, mais c’est justement parce que l’expérience est tellement difficile à exprimer qu’effectivement il y a des écrits. Mille écrits sur un même sujet. Et, on peut les lire, et les relire et, entendre et entendre de nouveau et de nouveau, ça ne va pas nous toucher jusqu’au moment précis où tout se joint. La conjoncture est bonne pour comprendre, et là quelque chose qu’on a déjà entendu mille fois avant, nous pénètre, on s’éveille à cela. Et ça ne peut être qu’à ce moment-là, pas plus tôt et pas plus tard. Voilà, c’est tout.