Face aux attentats

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Roland Yuno Rech à Godinne, 2016 (France)

Question 1 : Je n’arrive pas à être sereine par rapport aux événements qui se passent dans le monde. J’ai peur pour mes enfants et j’ai ressenti ici infiniment de haine pour les personnes qui ne sont pas respectueuses de la vie. Je n’ai même pas de pitié pour ces personnes qui commettent ces attentats. Énormément de haine. Je voudrais savoir comment on peut réagir, comment vous réagissez.

Roland Yuno Rech : Oui, c’est une grande question parce que j‘ai éprouvé exactement la même chose et je pense que la plupart des gens éprouvent la même chose : une grande tristesse et une grande colère en même temps. Alors il faut faire quelque chose de ces émotions car si on reste avec, c’est négatif : cela nous empoisonne et ne sert à rien.

La première émotion est la tristesse par rapport aux gens qui ont été blessés. Les blessés c’est presque pire que les morts parce que certains vont rester handicapés. D’autres ce sont des enfants qui ont perdus leurs parents ou des parents qui ont perdu leurs enfants. C’est terrible et on ne peut qu’être triste, il n’y a rien à faire. Simplement peut-être ne pas constamment ruminer cette pensée et arriver à laisser passer.
Bien sûr dans un premier temps c’est comme une sorte d’obsession, ça revient toujours. Mais je pense que la vie normalement reprend le dessus et notamment si tu es une mère de famille, tu dois t’occuper des enfants, on va parler de la peur après. Pleurer à longueur de journée ça ne peut pas durer trop longtemps, il faut quand même arriver à laisser passer.
Mais par contre, je crois qu’il faut aller au fond de sa tristesse, il ne faut pas l’éviter. Il est bon de l’éprouver et de ne pas laisser passer trop rapidement. Même si tu pleures toute la journée, c’est mieux de pleurer.

L’attitude du zen par rapport à ce genre de situation, ce n’est pas d’éviter l’émotion, c’est au contraire de la vivre pleinement. C’est la tristesse que l’on éprouve lorsqu’on a de la compassion pour la souffrance des autres, c’est inévitable. Mais il y a quelque chose qui permet de transformer ça, c’est justement la véritable compassion dans le bouddhisme et dans le zen. Ce n’est pas seulement d’être triste de la souffrance des autres mais c’est de voir qu’est-ce qu’on peut y faire pour y remédier. Il y a certainement des moyens de remédier à la souffrance des gens, ne serait-ce peut-être pour les gens qui sont proches en venant en aide directement aux victimes, ou en aidant les personnes plus lointaines en soutenant des associations qui vont leur venir en aide.

Pour ce qui est de la colère, la colère c’est un poison. Mais c’est aussi une émotion qui permet de mobiliser son énergie. Finalement, quand on est en colère on a envie de faire quelque chose. Des fois, c’est tout bête, on a envie de casser, de frapper mais ça ce n’est pas une solution. Par contre, la colère peut pousser à une action plus positive. Une des choses qui devrait à mon avis être faite – c’est vraiment un problème au niveau social et politique qui permet d’ailleurs de diminuer la colère en la canalisant autrement – c’est de se dire que les gens qui sont violents et qui deviennent des terroristes à un moment ou à un autre, ce sont aussi des gens qui souffrent profondément pour en arriver là. Donc, c’est qu’ils sont désespérés et je crois que là aussi il y a quelque chose à faire à un niveau vraiment social pour remédier à cette désespérance. C’est aussi ce qui permet de transformer la colère en compassion, c’est-à-dire avoir aussi de la compassion pour les bourreaux, les meurtriers parce qu’ils ont en fait un très mauvais karma. Déjà s’ils agissent comme ça c’est parce qu’ils sont dans une grande souffrance et, en plus le fait d’avoir agi comme ça ne peut qu’aggraver leur situation au niveau karmique.

Quoi qu’il en soit, dans l’enseignement du Bouddha, la compassion ne reste jamais à un niveau émotionnel. La pensée vient en premier, mais tout de suite après, ça déclenche une émotion. Le bouddhisme ne prêche pas la pitié et de rester dans l’émotion. Il faut se demander qu’est-ce que je peux faire pour remédier ? La compassion, c’est venir en aide.

Q.1 : J’ai peur pour mes enfants, et je suis enseignante donc je pense même à mes élèves.

R.Y.R. : Oui. En même temps la peur peut être une chose paralysante si on est assailli par la peur. On va s’enfermer chez soi, on n’osera même plus mettre un pied dehors et, encore même chez soi il peut arriver des choses. Mais la peur c’est aussi des fois une bonne conseillère, c’est-à-dire dans la période actuelle, je pense, qu’il faut éviter de se rendre dans les grands rassemblements. Ça ne met pas à l’abri de tous les dangers mais il est clair que les terroristes cherchent les rassemblements où ils vont pouvoir faire un maximum de victimes donc il est prudent, à mon avis, d’éviter les grands rassemblements. Mais on ne peut pas être totalement prudent parce que ça voudrait dire ne plus bouger. Et  à ce moment-là  il faut aussi se dire que naître c’est s’exposer à mourir un jour. Mettre un enfant au monde, c’est aussi l’exposer à ce qu’un jour il perde la vie parce que, quoi qu’il arrive, même s’il vit 90 ans, il finira par mourir et donc c’est aussi accepter l’idée de la mort qui est inévitable.

Si on est toujours avec la peur de la mort, on ne peut plus vivre. Il faut, à un moment donné, accepter l’idée que le fait d’être né, nous met dans une situation dangereuse.
Il y a des personnes qui tombent malades dès l’âge de 5 ans, il y a des cancers irrémédiables chez des jeunes, il y a des tas de situations comme ça. Donc le fait de mettre au monde un enfant, le fait d’être né soi-même nous expose un jour, soit à avoir un accident soit une maladie soit de toute façon mourir, on ne peut pas éviter ça. C’est l’impermanence, la vie est comme cela alors je crois qu’il faut se faire une raison sinon on ne peut plus vivre.

Il y a des jeunes qui disent : « Je ne vais pas m’empêcher d’aller au café ». Je pense qu’ils ont raison mais il y a un petit risque. Statistiquement le risque est infime quand on considère une population de 60 millions de français. Les gens qui risquent de mourir dans un attentat, c’est infime mais ça peut nous arriver. Ça doit aussi nous stimuler à se dire « cette vie est précieuse, je ne dois pas perdre cette journée précieuse de ma vie, maintenant, parce que demain je peux mourir ». Et dans ce cas-là la pensée de la mort au lieu d’être morbide et paralysante est au contraire le meilleur stimulant pour bien vivre.

Question 2 : Les gens ont peur des attentats récents et la colère augmente contre ceux qui commettent ces attentats. Alors j’aimerais donner un enseignement ou faire un kusen sur ce sujet au dojo. As-tu un conseil pour moi ?

R.Y.R. : La meilleure manière de remédier à la haine, c’est l’amour. Cela parait bizarre et là, tout à coup tout le monde va lever les bras au ciel : « Comment peut-on aimer un terroriste ? ». Mais, en fait il faut avoir de la compassion pour les terroristes, tout simplement parce que s’ils sont devenus terroristes c’est à la suite d’un karma extrêmement douloureux qu’ils ont vécu, on ne devient pas terroriste comme ça par hasard.

Généralement les personnes qui sont embrigadées par ceux qui les manipulent pour en faire des terroristes, sont des gens qui sont désespérés et qui sont devenus nihilistes et donc, ceux qui les utilisent, qui les commanditent, ceux qui les poussent à aller jusqu’à des actes de terrorisme, utilisent leur désespoir et leur donnent un sens. Ils leur disent : « Si vous en êtes arrivés là où vous en êtes maintenant, c’est parce que la société est mauvaise et donc vous devez combattre cette société mauvaise ». C’est comme ça que se propage la haine. « Si vous êtes en prison, si vous avez commis des méfaits qui vous ont amenés en prison, c’est parce que vous êtes victimes de cette société pourrie, donc il faut la purifier en tuant les gens, en faisant la guerre sainte, le Djihad ».

A mon avis il faut expliquer ça, il faut remédier à la haine par la compréhension des causes et des conditions qui ont produit le terrorisme. Mais dès que l’on commence à vouloir expliquer les causes du terrorisme, on est immédiatement accusé de complaisance avec le terrorisme parce que expliquer, c’est pardonner. Dès qu’on comprend, on ne peut plus condamner. Mais justement il ne s’agit pas de condamner. Bien sûr, il faut bien condamner socialement et éviter que des gens qui ont des intentions terroristes puissent passer à l’acte. Je suis tout à fait pour cette répression du terrorisme, les mettre en prison, prendre toutes les mesures préventives pour éviter qu’ils en arrivent à commettre leurs actes mais ce n’est évidemment pas le remède fondamental, ce sont juste des mesures de protection. Le véritable remède, c’est de remédier aux causes de ce mouvement.

Comment se fait- il que la propagande de Daesh puisse toucher des jeunes ? C’est étonnant quand même  jusqu’à sacrifier leur vie, s’engager dans une guerre sainte qui va les amener à la mort très souvent. Donc c’est vraiment une grande question pour notre société. Il faut comprendre le mécanisme par lequel on en arrive là pour le guérir parce que c’est une maladie. Evidemment cela implique tout un travail d’éducation sociale et heureusement il y a beaucoup de gens qui s’engagent maintenant pour ce travail, notamment parmi les musulmans parce que les principales victimes des terroristes en fait ce sont des musulmans.
Voilà ce qu’il faut dire à mon avis, mais tu peux trouver tes propres arguments.