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Par Roland Yuno Rech, Sesshin des Pyrénées en novembre 2013 (France)
Si nous sommes réunis ici pour faire cette sesshin, plutôt que de nous occuper à satisfaire nos désirs ordinaires, c’est que nous sommes animés par l’esprit d’éveil: bodaïshin. L’esprit d’éveil apparaît lorsque l’on est frappé par l’impermanence, que l’on réalise que non seulement tous les objets de désir sont impermanents, mais aussi que son corps et son esprit le sont également : nous naissons, nous vivons et nous mourons.
Si notre vie se passe à chercher à satisfaire nos désirs ordinaires, il y a pour certains d’entre nous un manque profond, un sentiment d’absurdité d’existence, d’où la recherche d’une manière d’être plus libre, qui fait sens. C’est exactement la question que se posa Bouddha Shakyamuni. Ceux qui ont ce genre de recherche sont animés de ce que l’on appelle bodaïshin : l’esprit d’éveil, l’esprit qui désire s’harmoniser avec une vérité plus profonde. On veut s’éveiller à cette réalité, car on pressent bien qu’il y a une autre manière d’être dans la vie que celle qui consiste à être toujours en quête de biens matériels et de satisfaction, qui viennent souvent comme pour compenser un manque fondamental. Comme le bébé en quête d’amour, à qui ses parents se contentent de donner des bonbons, des jouets qui ne pourront jamais le satisfaire, seulement pour calmer son insatisfaction pendant un petit moment, mais elle réapparaîtra car ce qu’il désire c’est leur amour.
Les êtres humains s’inventent toute sorte de désirs qui les occupent. On perd beaucoup de temps et beaucoup d’énergie à chercher à les satisfaire. Souvent ils sont déçus quand ils y parviennent. Mais s’ils n’ont pas d’objets de désirs immédiats, alors ils se dépriment ; comme si le sens de la vie était seulement de courir après toutes sortes d’objets, sans fin. On appelle cela samsara: tourner en rond, dans ce monde d’illusions. Quand on prend conscience de cela, on s’oriente vers la Voie. C’est ce qu’on appelle bodaïshin, et on commence à pratiquer zazen.
En zazen, il faut prendre garde de ne pas continuer à poursuivre le même mode de pensée, c’est-à-dire s’attacher à ses objets de désir qui surgissent, ruminer ses pensées, fonctionner avec son mental dualiste qui discrimine sans cesse entre ce qu’il désire et ce qu’il ne veut pas, ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Il est important qu’apparaisse un autre fonctionnement de l’esprit. Pour cela on se laisse absorber totalement par la concentration sur le corps, autant que possible dans la meilleure posture que l’on puisse prendre, sans créer de tensions dans ce corps. Etre simplement calmement assis. Se contenter d’inspirer et d’expirer calmement par le nez et d’être pleinement présent à ce qui se passe à chaque instant. Dans cette pratique, on n’est pas en train d’attendre quelque chose, ni de vouloir obtenir quelque chose.
On ne doit surtout pas considérer cette pratique comme un exercice en vue d’un éveil futur. Zazen n’est pas un exercice. Comme le disait Maître Dogen, zazen est la pratique-réalisation de l’éveil. C’est une totale révolution du fonctionnement du corps et de l’esprit qui se produit lorsqu’on ne demeure plus sur aucune pensée, sur aucun objet. On se contente réellement d’être, juste assis.
C’est contacter cette dimension de la vie dans laquelle il n’y a pas besoin d’ajouter quelque chose, car on réalise intimement qu’il ne manque rien à cette qualité d’être, juste assis, ici et maintenant. Alors dans cette manière de s’asseoir sans plus poursuivre aucun objet, sans plus discriminer entre ce que nous voulons et ne voulons pas, ce que nous aimons et n’aimons pas, notre esprit cesse de créer des séparations et le sens de notre unité profonde avec tous les êtres nous apparait.
Et même si on n’en prend pas conscience, cela se réalise dans la pratique elle-même. C’est la raison pour laquelle, en zazen, on est enfin en paix. Nous ne sommes pas dans l’avoir, dans la volonté d’accumuler, nous sommes dans la qualité de l’être qui ne dépend de rien. C’est ce qui nous est donné à la source même de notre vie. Par la suite, on se comporte souvent comme si il fallait mériter d’être là, d’avoir le droit de vivre sur cette planète, comme s’il manquait quelque chose à notre existence. Alors que se sentir un avec tous les êtres, un avec tout l’univers, abolit cette sensation de manque.
On peut se réjouir du bonheur des autres, on peut avoir de la compassion pour ceux qui souffrent. Le sens de notre de vie devient tout simplement de donner confiance aux autres en cette capacité de retrouver la paix de l’esprit, la clarté, dans la pratique de cette simple assise qui nous harmonise avec le Dharma, c’est-à-dire le fondement de l’existence de tous les êtres. Etre pleinement dans son assise, c’est être au-delà de l’avant et de l’après, de la naissance et de la mort, expérimenter l’éternité dans cet instant, ne plus être esclave du temps mais le maîtriser, car le temps, c’est l’être. (Uji, Shobogenzo, Dogen).
En zazen, nous retrouvons cette unité profonde avec notre nature de bouddha qui est au-delà de la naissance et de la mort. Expérimenter cela, c’est ce qu’on appelle nirvana, extinction de toutes les causes de souffrance qui sont liées à notre ignorance. Zazen illumine cette ignorance et nous révèle ce que nous sommes depuis toujours en réalité. C’est pourquoi nous avons le sentiment de retourner à la maison après avoir longuement erré sur toutes sortes de routes.
Mais ce retour ne signifie pas s’enfermer chez soi, se replier dans sa demeure, mais au contraire continuer le cheminement, et non plus en quête d’un ailleurs, mais dans le partage de la joie d’être vraiment ici et maintenant avec tous les êtres.