La nature de Bouddha n’est pas un objet

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Par Roland Yuno Rech à Saint Laurent du Verdon en 2017 (France)

Pendant zazen continuez à bien vous concentrer sur votre posture et à être attentif à votre respiration. Ne laissez pas votre esprit stagner dans vos pensées, laissez-les passer. En zazen on est assis face au mur et notre attention est tournée vers l’intérieur, vers soi-même. Une sesshin, c’est devenir complètement intime avec son véritable esprit, sa véritable nature qu’on appelle nature de Bouddha, littéralement cela veut dire nature d’Eveil.

Dans le Sûtra du nirvana, il est dit que : « Tous les êtres ont la nature de Bouddha », ce qui veut dire que tous les êtres ont la capacité de s’éveiller. Mais à partir de cette phrase on s’est mis à spéculer sur la nature de Bouddha comme c’est souvent le cas. On a voulu faire de la nature de Bouddha quelque chose, comme une sorte de graine que chacun posséderait au fond de soi et du coup, il se crée une dualité entre soi et cette nature de Bouddha qui serait une sorte d’objet contenu en nous-mêmes qu’il faudrait saisir. Si l’on pense ainsi, on passe complètement à côté du véritable sens de la nature de Bouddha et donc de notre véritable nature car ce n’est pas quelque chose.
C’est pourquoi Maître Dogen a transformé cette phrase en disant : « Tous les êtres sont la nature de Bouddha ». Ce n’est pas une question de posséder quelque chose mais d’être ce que nous sommes réellement, au fond.

Lorsque Nangaku est venu voir le Sixième Patriarche, celui-ci lui a demandé : « Qu’est-ce qui vient ainsi ? »
Ici et maintenant se demander : « Qu’est-ce qui fait zazen sur ce zafu ? »
Au bout de plusieurs années de pratique, Nangaku finit par répondre : « Ce n’est pas quelque chose ». Il avait véritablement réalisé la nature de Bouddha, rien de saisissable.

C’est le sens du premier grand koan zen : « Est-ce que le chien a la nature de Bouddha ? » Joshu répond « Mu ! », rien ! Ce qui semble contredire le fait que tous les êtres ont la nature de Bouddha et cette nature de Bouddha est rien, rien de substantiel, rien de saisissable. Ce n’est pas un objet et si l’on ne peut pas saisir cette nature de Bouddha, c’est qu’elle est illimitée.
“Rien” n’est pas un néant mais rien que l’on puisse saisir parce que c’est trop vaste, infini, illimité. C’est exactement la véritable nature de notre existence, vaste, infinie, illimitée ; comme la nature divine impossible à enfermer dans un concept, aussi tous les mots sont vains pour l’exprimer. Mais l’important est de le réaliser.

C’est pourquoi Maître Eno demanda à Nangaku : « Mais y a-t-il pratique et réalisation ? » et Nangaku répondit : « Il y a pratique et réalisation, mais cela ne doit pas être souillé. »
Le Sixième Patriarche se réjouit en disant : « Cette non- souillure, c’est ce que les Bouddhas et Patriarches ont transmis et protégé », et ce fut le dernier enseignement de Maître Deshimaru, l’enseignement de “fuzenna” : non-souillure.

L’esprit sans souillure, c’est celui qui ne crée pas de division, de séparation ; c’est au-delà du mental ordinaire qui veut saisir, définir, avoir. C’est la conscience hishiryo en zazen qui ne saisit rien, qui ne stagne sur rien mais qui s‘harmonise naturellement et inconsciemment avec l’ultime réalité ou nature de Bouddha. Hishiryo, c’est le fonctionnement de notre esprit lorsqu’il cesse de discriminer, d’opposer. D’opposer par exemple, de séparer, la pratique de la réalisation de l’Eveil.

Pour la plupart des gens on commence à éprouver bodaishin, le désir d’Eveil, puis on se met à pratiquer et grâce à la pratique, finalement, on obtiendra l’Eveil, au bout d’un long trajet, d’un long effort. Mais, si l’on pratique avec cette pensée, on reste dans la dualité, dans la séparation, on veut utiliser la pratique ici et maintenant pour obtenir quelque chose plus tard. Cette attitude mentale est exactement ce qui s’oppose à la réalisation de l’Eveil, c’est rester dans l’avidité en voulant posséder.

Le véritable zazen, c’est ce qui nous fait lâcher prise d’avec cette mentalité. En mettant toute son énergie dans la posture du corps, toute son attention dans la respiration, le mode de fonctionnement du mental ordinaire s’arrête, on cesse de poursuivre quoi que ce soit ou de s’opposer à quoi que ce soit et on se met à fonctionner naturellement en harmonie avec la nature de Bouddha en réalisant un esprit vaste qui englobe toute chose sans rien saisir. C’est justement parce qu’il ne saisit rien qu’il est vaste, qu’il peut s’harmoniser avec toute chose.