Gendronnière - Photo : Eric Tchéou

L’instant du milieu

Traductions ABZE disponibles (PDF) :             

Par Patrick Pargnien à Caussens en mai 2010 (France)

En cet instant, qu’est-ce qui demeure réellement ?
En cet instant, qu’y a-t-il d’autre à vivre que d’être ?
Que d’être pleinement ici, dans l’intimité de ce qui EST ?

Tout en vous réajustant d’instant en instant dans le corps, le dos, la colonne vertébrale, en recherchant cet équilibre entre tension et détente, expirez doucement, tranquillement, en allant jusqu’au bout de chaque expiration, et en l’accompagnant en fin d’expiration par une légère pression abdominale vers le bas.

Tout en vous réajustant, expirant ainsi tranquillement, accordez-vous à ce que Maître Keizan appelait « l’instant du milieu ». Cet instant n’est ni dans le passé, ni dans le futur. Ce temps qui n’est ni dans le passé ni dans le futur, par commodité, pour le designer nous utilisons la construction mentale de « présent » ou « l’instant présent ». Et tout en parlant de cet instant présent, c’est important d’être attentif qu’à travers cette construction mentale, nous n’essayons pas de nous représenter l’irreprésentable, de nous représenter ce qui ne peut que se vivre dans toutes les fibres de l’être.

Expirez doucement, tranquillement et tout en expirant ainsi, videz-vous. Pas seulement de l’air qui a été inspiré, mais aussi de toutes les idées, les pensées, les souvenirs, les images. D’une certaine manière, en expirant ainsi en pleine conscience, en pleine présence, nous mourons à cette conscience de soi pour renaître à la nouveauté de chaque instant. Pour vivre chaque instant avec un esprit neuf. Alors expirez doucement, tranquillement et soyez dans l’observation de tous les mouvements, les sensations, les perceptions, les constructions mentales, les phénomènes du monde extérieur, sans intervenir, sans vous y fixer.
Seulement être pleinement là.

Maître Keizan a écrit ce poème :

Les nuages blancs descendent et s’évanouissent.
Seul puissant et haut, le sommet de la montagne verte domine,
Eclipsant les cent monts.
Personne ne peut atteindre le sommet, personne ne peut le connaître.

Alors, nous pouvons être cette montagne verte, ce sommet. Nous pouvons le connaître quand il n’y a plus personne qui est là. Quand il n’y a plus cette identité « je » pour saisir ou pour rejeter, quand nous sommes vacants dans une totale disponibilité à ce qui est. C’est dans cette totale disponibilité que peut se manifester, se déployer l’intelligence du cœur, l’intelligence claire.

En cet instant, qu’est-ce qui demeure réellement ?
En cet instant, qu’y a-t-il d’autre à vivre que d’être ?
Que d’être ici dans l’intimité de ce qui EST?

Etabli ici dans le corps, établi maintenant dans la respiration, sans se saisir de quoi que ce soit, sans combattre, sans rejeter quoi que ce soit. Seulement là, dans l’observation de ce qui se manifeste, sans intervenir, comme une coupe vide, ouverte, vacante, le cœur de l’esprit disponible, nous sommes le sommet de la montagne verte. Nous sommes sa base. Nous sommes ses flancs. Nous sommes son intérieur, son centre, sa périphérie. Pas besoin d’atteindre son sommet, pas besoin de la connaître. Nous sommes intelligence du cœur. Absolument rien d’autre à vivre que d’être.