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Roland Yuno Rech à Godinne, 2015 (France)
Question : Vénéré Maître, je suis un moine de la tradition Theravada, je suis très heureux d’être ici et d’avoir pu approcher les techniques et les traditions du bouddhisme Zen. Je voudrais remercier le Maître et aussi ceux qui ont organisé et qui s’appliquent à transmettre le message de Shakyamuni Bouddha pour le pratiquer dans la vie quotidienne. Hier matin et ce matin, j’ai appris du moine Jacques sur le bouddhisme Zen, qui a expliqué beaucoup de choses utiles pour notre centre de Waterloo. J’ai beaucoup de questions mais j’aimerais juste en poser une très importante. J’ai entendu parler de la vie du grand Maître Deshimaru, de son œuvre et de sa responsabilité en France, en Europe et au Japon. Il était une sorte de pionnier qui a implanté la graine dans la terre d’Europe. Maintenant, le bouddhisme et en particulier le bouddhisme Zen se développe rapidement en terre d’Europe, sous la direction de Maître Roland et des autres maîtres également. Je voudrais mieux connaître au sujet de la vie de Maître Deshimaru, qui était considéré comme le Bodhidharma des temps modernes et son travail et sa mission au Japon et surtout en France et en Europe et comment le bouddhisme et particulièrement le Zen ont contribué à apporter la paix et l’harmonie dans la vie de famille et la vie sociale.
Roland Yuno Rech : La première chose, c’est en ce qui concerne la mission et l’œuvre de Maître Deshimaru. S’il a été considéré comme le Bodhidharma des temps modernes, c’est parce que comme Bodhidharma, il avait une foi, une confiance extrêmement claire dans le fait que l’essence du Dharma de Bouddha résidait dans la pratique de la méditation. Donc il est arrivé en Europe avec son zafu — son coussin pour le zazen — et sa grande confiance dans la pratique de zazen et il a enseigné tous les jours à partir de la pratique de zazen en disant : « Le zazen lui-même est l’éveil du Bouddha. Si vous sous asseyez en zazen et que vous pratiquez avec la posture juste, la respiration juste, l’état d’esprit juste, vous êtes semblable à Bouddha. » A partir de cet enseignement du zazen, de la méditation, il a aussi transmis l’ordination, donc il a transmis les préceptes, qui sont très importants, comme vous le savez. Il les a enseignés d’une façon moderne, qui pour les occidentaux, redonnait un sens profond à ces grandes valeurs du bouddhisme qui s’expriment dans les préceptes.
En Occident depuis presque un siècle et demi, parce que les religions traditionnelles ne sont plus très suivies. A cause de cela, il y a une crise qu’on appelle la crise du nihilisme, c’est-à-dire que les occidentaux ne trouvent plus de base pour mener une vie suivant les préceptes, suivant la morale. La pratique de zazen enseigne qu’à partir de la pratique de la méditation, tous les grands préceptes du bouddhisme et de toutes les religions retrouvent leur fondement dans l’expérience de l’éveil de zazen. Par exemple, le respect de la vie et la non-violence, c’est le premier précepte : « Ne pas tuer ». Néanmoins, partout dans le monde il y a des guerres et beaucoup de violence. Comment rendre ce précepte « ne pas tuer » vraiment vivant ? Cela ne peut pas être seulement : « il ne faut pas tuer ». Mais il faut arriver au point où je ne peux plus tuer. Ce n’est plus possible, parce que quand je suis en face de quelqu’un d’autre, je suis complètement en unité avec l’autre, je deviens l’autre, et cela c’est possible grâce à la pratique de la méditation.
Si on abandonne son attachement à son petit ego, on peut être en totale compassion avec l’autre. A ce moment-là, il n’est plus possible de faire souffrir quelqu’un d’autre, de le blesser et encore moins de le tuer. Autrement dit, une valeur fondamentale qui est le respect de la vie et l’interdiction de tuer retrouve son sens profond à travers l’expérience de l’éveil. C’est la même chose avec le précepte de « ne pas voler ». Dans la société, il y a beaucoup de vols, même si ce ne sont pas des vols qui peuvent être condamnés par la loi. Exploiter les autres est une forme de vol et en fait, la société fonctionne sur la base de l’avidité, stimule l’avidité.
Alors comment la pratique de la méditation bouddhiste et en particulier le Zen, peut remédier à cette avidité? Cela ne suffit pas de dire aux gens « il ne faut pas être avide », « il ne faut pas tuer », « il ne faut pas voler ». Il faut réaliser que d’une part on ne peut rien posséder. Donc voler pour posséder, pour prendre pour soi, cela ne veut rien dire, cela n’a pas de sens. Parce que profondément, tout le monde est comme vous, tout le monde est moine parce que tout le monde naît sans rien et quand nous allons mourir, nous n’emporterons rien avec nous. Cela veut dire qu’en réalité, on ne peut rien posséder. On peut juste emprunter et on peut seulement partager. Cette compréhension est le grand remède contre l’avidité : je ne peux rien posséder. En plus de cela, si nous nous éveillons à notre véritable nature de Bouddha, nous réalisons notre vraie richesse intérieure et nous n’avons pas besoin de beaucoup de choses pour être heureux. Shakyamuni Bouddha était l’homme le plus heureux du monde ! Il ne possédait rien, seulement un bol et un kesa. Et cela c’est un exemple extraordinaire.
Maintenant, beaucoup de gens ont peur de perdre leur emploi, leur richesse, leur situation. C’est normal parce que beaucoup de gens ont des familles, des responsabilités sociales, mais fondamentalement, quand on voit l’exemple de Bouddha et des moines bouddhistes, on comprend qu’on n’a pas besoin de posséder beaucoup de choses pour être heureux. Je crois que c’est un enseignement très profond pour le monde actuel. Grâce à la pratique de la méditation, on comprend les deux premiers préceptes « ne pas tuer » et « ne pas voler » d’une manière très positive et cela donne un sens profond à notre vie. Parce que je crois qu’une des causes de souffrance des êtres humains de l’époque moderne, c’est un sentiment d’absurdité de la vie. Les gens travaillent et déploient beaucoup d’activités mais ils ne croient pas vraiment à ce qu’ils font. La pratique de la méditation redonne un sens aux valeurs fondamentales de toutes les religions et c’est de cela dont on a besoin pour trouver un sens profond à la vie, à travers l’expérience intérieure de la méditation.
Je pourrais expliquer tous les autres préceptes de la même manière. Donc, les préceptes, c’est ce qui donne un sens à la vie. Ce ne sont pas seulement des interdits, ce sont des valeurs positives.
Q. : Et comment les différentes écoles du bouddhisme peuvent-elles coopérer pour créer de l’harmonie et apporter de la paix dans le monde ?
R.Y.R. : J’ai beaucoup réfléchi à ces questions à travers l’Union Bouddhiste de France dont j’étais un des fondateurs. Au début, on a fait beaucoup de conférences ensemble. Il y avait un bouddhiste Theravada, un bouddhiste Zen, un bouddhiste tibétain et chacun parlait du Dharma à sa manière et cela donnait une bonne impression pour le public, c’était très bien. Mais finalement, je crois que le mieux, c’est que chaque école se concentre complètement à enseigner le Dharma dans son style, à sa manière et se concentre surtout à enseigner l’essence de sa tradition. Comme l’a fait Maître Deshimaru avec le Zen. Pour l’Occident en particulier, c’est important que le bouddhisme ne soit pas présenté sous un angle trop « oriental », avec les cérémonies, le côté « rituel oriental ». Maître Deshimaru a toujours enseigné des formes très simples et toujours à partir du zazen, de la méditation.
Alors évidemment on peut organiser à nouveau des réunions, des conférences avec plusieurs maîtres, moines, nonnes, de différentes écoles… Je suppose qu’ici en Belgique il y a l’Union Bouddhiste Belge qui peut faire cela, et donc c’est bien de participer, c’est bien de montrer un visage uni, parce que souvent les religions font de la compétition et veulent toujours montrer qu’elles sont meilleures que les autres, donc c’est très important. C’était l’enseignement de Shakyamuni lui-même de dire : « Il faut complètement respecter la religion des autres. » Si on critique la religion des autres, c’est très mauvais pour sa propre religion. Il y a souvent chez les religieux une espèce d’arrogance à croire que sa pratique, sa voie, sa religion est supérieure, est la meilleure. « Zen is the best ! » Si on dit ça, ce n’est pas bien ! Il faut complètement respecter toutes les autres voies et comprendre ce que chacune peut apporter.
J’aime beaucoup étudier les sutra du Theravada. Le Theravada et le Zen sont proches parce qu’ils sont très simples, purs. Pas trop de rituels, pas trop de formes. Ils se concentrent sur l’essentiel. Aussi, ce qui est très important, c’est de ne pas créer de séparations entre les moines et les laïcs. Par exemple, en Thaïlande j’étais impressionné que beaucoup de gens deviennent moines pendant un an ou deux ans, même des gens qui ont un très bon métier, qui sont médecin, avocat. Ils s’arrêtent et pendant un an, deux ans, ils deviennent moines. De cette manière, les moines et les laïcs peuvent avoir beaucoup d’échanges. En Europe, les moines Zen ne sont pas très différents des laïcs. C’est-à-dire qu’on doit travailler (Maître Deshimaru voulait que les moines travaillent dans le monde social) mais que l’on donne la priorité au Dharma. C’est difficile. Il faut toujours essayer de trouver le meilleur compromis. Mais c’est très fort, car cela veut dire qu’il y a un échange entre la pratique du Dharma et le monde social. En Asie, par exemple, les laïcs aident les moines en faisant des fuse, en donnant l’aumône, à manger et les moines enseignent le Dharma, c’est un échange. En Europe, c’est un peu différent. Bien sûr, les moines doivent enseigner le Dharma mais les moines ne dépendent pas des laïcs pour manger. Ils doivent eux-mêmes travailler, ce qui veut dire partager les mêmes difficultés de la vie sociale avec les laïcs. Mais ils travaillent avec un autre état d’esprit, c’est-à-dire non pas avec l’ambition de réussir, de devenir riche, d’avoir une position supérieure mais seulement de rendre service à la société à travers le travail. Voilà ça c’est une différence. Et je pense que c’est intéressant de réfléchir à ces aspects. Les moines Theravada montrent vraiment l’image la plus traditionnelle et authentique de ce qu’était le Bouddha, à travers le précepte de la pauvreté, ne rien posséder. Et ça c’est un très bon exemple pour les occidentaux qui sont très matérialistes.
Q. : Merci beaucoup à vous, Maître Roland, à Maître Deshimaru, merci au vénérable Jacques, merci à vous tous qui organisez cette sesshin ici, merci au frère Olivier qui m’a permis de venir ici. Dans le future, je vais informer les gens pour qu’ils pratiquent l’ouverture du cœur et de l’esprit et pour comprendre nos frères et sœurs qui travaillent pour le Dharma, de plus en plus.