Mindfulness – une méditation non-spirituelle

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Roland Yuno Rech, Grube Louise, Mai 2014

Question : Depuis dix ans on entend parler de la « méditation profonde » et de « mindfulness », à l’investigation de Jon Kabat-Zinn aux Etats Unis et Christophe André en France. Comment considères-tu « mindfulness » ?

Roland Yuno Rech : Le point clé c’est que c’est une pratique de méditation non-spirituelle. Alors il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle « spirituel ». Mais il est clair que si l’on veut utiliser la méditation pour obtenir quelque chose que ce soit : remédier au stress, remédier à la dépression, augmenter ses performances, c’est dans une certaine manière mettre la méditation au service de l’égo humain. Alors que le sens profond de la méditation, c’est-à-dire ce qu’on appelle la dimension spirituelle, c’est d’abandonner l’attachement à l’égo humain. Autrement dit, la véritable méditation commence exactement au-delà de ces exercices de mindfulness. La méditation commence à partir de l’instant où on devient mushotoku. On pratique sans arrière-pensée d’obtention de quoi que ce soit. C’est donc cette utilisation de la méditation dans des buts divers et variés, mais toujours pour obtenir un résultat pour son petit ego, qui trahit vraiment le sens profond de la méditation au sens de l’enseignement du Bouddha.

Mais pour autant, je ne condamne pas du tout cela, parce que je pense que la pratique mushotoku est très difficile et que les gens, qui sont dans de grandes souffrances psychiques, les gens qui sont complètement stressés, profondément déprimés, dont l’ego est vraiment délabré, fonctionnent mal, et ils ne parviennent à aucune satisfaction. Je pense que ce serait leur demander un effort beaucoup trop grand et qu’ils ne peuvent pas pour le moment aller au-delà de ce besoin de leur ego de se reconstruire.

Donc, je pense que l’enseignement de « pleine conscience », de « mindfulness », dans un sens thérapeutique destiné à réparer l’ego, c’est bien mais c’est, « le premier niveau », la première approche qui va permettre à certaines personnes d’entrer dans une pratique de méditation qu’ils n’auraient jamais abordée autrement, car ils n’avaient pas la motivation spirituelle pour autre chose et qu’ils n’ont pas les moyens psychiques de même imaginer d’abandonner quoique ce soit.

Mais, par contre, ce qui est important, c’est que les gens qui enseignent ce genre de pratique aient l’honnêteté d’en déterminer les limites et par exemple, c’est ce que j’ai entendu Christophe André dire. J’ai fait des émissions de télévision avec lui, je l’ai invité au temple de La Gendronnière pour faire des stages et je crois (en tout cas, en ma présence) qu’il avait cette honnêteté. D’ailleurs à la fin d’un stage, il avait dit à ses élèves : « Si vous voulez aller plus loin, allez faire une sesshin à la Gendronnière ».

Donc, dans ce cas-là, je trouve que ce grand mouvement-là, cette mode presque, est quelque chose de favorable à la méditation. Parce que – il y a 20 ans – quand on annonçait « méditation », tout de suite les gens pensaient « secte », c’était mal vu et « méditation » avait une très mauvaise connotation. Maintenant, au contraire, tout le monde veut méditer. C’est formidable ! Sauf qu’il appartient aux enseignants du Dharma, aux dirigeants de dojo, aux Maîtres Zen, aux autres Maîtres bouddhistes, de bien faire la différence avec cette approche qui est le premier niveau, une sorte d’introduction, et qu’il convient, si on le souhaite, d’aller plus loin.

Maintenant, Jon Kabat-Zinn ou Christophe André (qui pratiquent par ailleurs le Bouddhisme), sont capables de montrer cette limite. Mais le problème est qu’ils forment des thérapeutes qui, eux, cherchent juste à avoir un moyen de gagner leur vie supplémentaire, dans la panoplie de ce qu’ils offrent au public et je crains que ces gens-là ne soient même pas capables de discerner et de faire comprendre la différence à leurs patients.

Et puis, en plus de cela, cela peut aussi bloquer des gens qui se disent : « Mais après tout, cela me suffit, pourquoi aller plus loin ? » Il y a des gens qui viennent dans des dojos et puis qui repartent rapidement en se disant : « Mais non, moi je préfère la méditation de pleine conscience, la mindfulness, c’est plus facile ! »

Mais, dans l’ensemble, je trouve que l’évolution depuis 20 ans est plutôt favorable, à condition que tous les gens qui sont ici et tous les autres qui enseignent le Zen en parlent autour d’eux et soient capable de montrer la différence.
Généralement, à l’AZI, quand on entend parler du « bien-être », tous les Godos se méfient tout de suite et même plus, on va condamner le « bien-être », en disant : « C’est une dimension presque matérialiste des choses ». Mais moi, je trouve que ce n’est pas juste de réagir comme ça et qu’il est tout-à-fait légitime de rechercher le « bien-être ». Tout simplement, ce qu’il faut, c’est approfondir de plus en plus ce que c’est vraiment que « bien-être ». Peut-être que c’est, dans un premier temps, mieux dormir, être moins stressé, sortir de sa dépression (c’est quand même très important). Mais qu’est véritablement « bien-être » ?

Je crois que « bien-être », c’est d’être en harmonie avec l’essence de notre vie, « bien-être », c’est être éveillé. Voilà ! Mais je pense que pour certaines personnes, c’est déjà beaucoup trop loin, cette dimension d’Eveil, d’harmonie avec le Dharma ou la Nature de Bouddha. Alors, qu’ils recherchent déjà le « bien-être » au niveau où sont leurs besoins actuels. Maître Deshimaru, comme le faisait le Bouddha, ne condamnait pas du tout ces besoins humains ordinaires, mais il montrait toujours qu’il y avait une dimension au-delà, et c’est cela qu’il faut faire.