Question 9 : Le don par l’aumône aux moines de la part des laïques en échange d’un enseignement n’existe presque plus au Japon, et pas du tout en Europe. Comment survivre en tant que moine en Occident ?
RYR : En tant que moine, c’est très simple, il faut travailler. Maître Deshimaru l’a ordonné très rapidement pendant sa mission. Il disait : « Vous devez travailler ». L’idée que le moine ne doit pas travailler dans la société est une idée du Petit Véhicule. Les moines du Theravada n’ont même pas le droit de pratiquer dans la société, ils ne doivent vivre que d’aumône. Evidemment, cela rend leur pratique difficile en Europe parce qu’ils ne sont pas supposés exercer une activité professionnelle. Mais les moines zen, au contraire, sont supposés travailler. Donc, le problème ne se pose pas.
Q.9 : Au Japon, ce qui se passe est que les temples sont financés par les laïques, avec les kito et des choses de ce genre. C’est de là que vient l’argent. Mais c’est aussi comme un business familial, ce sont des temples familiaux.
RYR : Tu as raison de préciser cela. J’ai été aussi comme toi dans des temples au Japon où l’aumône est une pratique réelle, vécue. C’est-à-dire que dans le temple où j’ai été, une fois par semaine les moines mettent leurs sandales, prennent leurs bols, déambulent pendant toute la matinée dans toutes les rues et mendient avec le chapeau abaissé de manière à ce qu’ils ne voient pas la personne qui donne. La personne qui donne voit le moine, mais le moine se contente de s’incliner pour remercier sans voir la personne qui donne. Ils font cela comme complément de revenus pour le temple, mais même si ce n’est pas négligeable, ce n’est pas avec cela qu’ils peuvent vivre. Ils font ça comme un don des bienfaits du don, c’est-à-dire qu’avec cette aumône, ils donnent l’occasion aux gens d’obtenir des mérites par le fait qu’ils pratiquent le don. Et donc finalement, le moine donne autant que celui qui fait le don aux moines.
Question 10 : Chez nous, pour la cérémonie aux morts, on ne fait pas payer…
RYR : Normalement on doit faire un fuse. Tu fais bien d’en parler, parce que je répugne à « faire commerce » en quelque sorte. C’est une manière péjorative de parler du don pour les cérémonies, parce que je pense que l’esprit mushotoku est important. Quand on fait une cérémonie, si on sait qu’on va recevoir un fuse après, ce n’est pas très bon pour l’esprit de celui qui fait la cérémonie. C’est mon point de vue. Mais en même temps, je ne me plaindrai pas si les gens qui font des cérémonies reçoivent des fuse, surtout s’ils en ont besoin parce qu’ils ont fait le choix de se consacrer au zen et qu’ils risquent de manquer de ressources pour se maintenir dans le social.
Q.10 : Ici, quand on fait une cérémonie, il y a la boîte à fuse et les gens mettent de l’argent.
RYR : Oui, et après tout on pourrait imaginer de mettre un bol quelque part et dire : « c’est libre, vous pouvez donner ; ce n’est pas pour vous soutirer de l’argent, mais vous pouvez donner. »
Q.10 : A La Gendronnière, ils demandent un fuse. On peut donner une enveloppe et on donne ce que l’on veut. Mais si on n’en a pas les moyens, on n’est pas obligé.
RYR : On peut toujours donner quelque chose.
Question 11 : Comment peut-on aider quelqu’un qui souffre, qui est mourant, sans se perdre soi-même dans la souffrance ?
RYR : C’est difficile, il faut le reconnaître, d’être auprès d’une personne qui souffre et de lui donner sa présence. Mais il faut éviter de se dire : « Il faut que je fasse quelque chose ! », parce que si l’on pense qu’il faut aider, cela nous met dans un état de contrainte qui n’est bon ni pour nous, ni pour la personne. La meilleure chose à faire dans ce cas-là, c’est d’être dans un état complètement mushotoku, fortement dans sa présence, silencieux, quasiment comme en zazen (mais pas forcément sur un zafu, mais même sur une chaise), auprès du lit de la personne qui est en train de mourir et d’essayer d’avoir une pratique de zazen. Cela rayonne au-delà de nous-même et c’est apaisant pour la personne. Souvent, les personnes qui sont mourantes ont le souci de ne pas peser par leur souffrance sur les personnes qui leur sont chères, justement parce qu’elles savent qu’elles sont elles-mêmes chères à ces personnes. Souvent, elles n’osent rien dire, ou exprimer leur propre souffrance, ou même pas évoquer qu’elles vont mourir, parce qu’elles ne veulent pas faire souffrir leurs proches. Cela n’est pas bien. Il faut au contraire (je parle ici pour les personnes de l’entourage) ne pas hésiter à encourager la personne malade à exprimer tout ce qu’elle ressent, en montrant que l’on est tout à fait capable de l’entendre. Bien sûr, c’est une souffrance pour nous-mêmes, mais une souffrance maîtrisée par la pratique de zazen, et donc empreinte d’une certaine équanimité, la quatrième des pratiques du bodhisattva.
A Lyon, il y avait une dame qui était à l’hôpital et qui mourrait d’un cancer. Nous avons été plusieurs à être présents et cela a été très intéressant comme expérience. Mais nous avons quand-même été choqués. On ne peut pas ne pas souffrir de ce vécu-là. Mais je pense que, pour la personne, ce contact que nous avons eu avec elle a été un plus, je pense. Elle était apaisée, contente de voir les personnes avec qui elle avait pratiqué.
RYR : A ce moment-là, la plus grande souffrance est la solitude. Et voilà encore une forme de don : donner sa présence. Parfois les gens sont un peu maladroits et gênés, parce qu’ils se demandent : « Qu’est-ce que je peux faire ? » Mais il n’y a rien à faire. Il y a simplement à être là, cela suffit. Être là avec une forte présence.